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Matérialisme

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Le matérialisme est une conception philosophique qui attribue à la matière la base de tous les phénomènes de la réalité, sa substance première : toutes les propriétés des choses sont formées de matière, tout phénomène peut s'expliquer comme le résultat d'interactions matérielles. Le matérialisme est donc un monisme ontologique. Il s'oppose au spiritualisme, qui peut être dualiste ou moniste. On l'oppose souvent aussi à l'idéalisme, pour lequel aucune réalité connaissable n'est extérieure à l'esprit humain.

Définition du matérialisme

Le matérialisme ne nous fournit pas de définition simple et univoque de ce qu'est la matière, concept ambigu[1], le matérialisme se ramène souvent à d'autres thèses philosophiques, épistémologiques ou métaphysiques : l'atomisme, le physicalisme, le réductionnisme, l'empirisme, le réalisme, le déterminisme, le scientisme, l'athéisme (bien qu'il y ait des matérialistes non athées : les Stoïciens ou Hobbes, et des athées non matérialistes : les bouddhistes ou Schopenhauer), etc.

Critiques du matérialisme

L’erreur du matérialisme, du point de vue idéaliste (Berkeley, Kant, Schopenhauer), est de prêter une réalité absolue à ce qui n’est qu’une donnée des sens et une représentation dans notre esprit : ce « réalisme naïf » est certes utile pour l’investigation scientifique mais il ne peut prétendre investir avantageusement le champ métaphysique ou religieux (d'autant plus qu'il part lui-même d'une hypothèse métaphysique). L'idéalisme ne nie pas l'existence de la matière, mais il la voit principalement comme un objet de la pensée, une causalité pure, dans lequel l'existence et l'essence coïncident, une "condition effective et active d'expérience, comme l'espace et le temps" (Schopenhauer), un concept lié à la catégorie de la substance (Kant). Tout ce qu'on peut affirmer (avec Kant) est la corrélation réciproque et phénoménale de l’esprit et de la matière, c'est-à-dire une position à mi-chemin entre le dualisme cartésien esprit/matière, le monisme antimatérialiste berkeleyien et le monisme matérialiste strict.

Du point de vue simplement philosophique, comme l'indique Jean-François Revel, l'erreur du matérialisme est de poser un absolu, la matière, à partir d'un point de départ dualiste, qui est l'opposition entre esprit et matière (héritée de Platon, entre autres). Le matérialisme est la seule doctrine philosophique qui adopte cet absolu, en dépit des données de la science et de l'expérience concrète ; croyant combattre ainsi la métaphysique, elle reste elle-même prisonnière des illusions métaphysiques les plus classiques.

De la même façon, Nietzsche[2] rattache le matérialisme, croyance en la "matière", au "besoin métaphysique", comparable en cela à la croyance chrétienne en une "âme immortelle".

Le philosophe allemand Markus Gabriel[3] indique deux objections qui pour lui réfutent le matérialisme :

  1. problème de l'identification : le matérialiste doit reconnaître l'existence de représentations idéelles pour être à même de les nier ensuite (puisque selon lui il n'existe que des "états de la matière") ;
  2. incohérence : le matérialisme, s'il est vrai, n'est pas matérialiste ; en effet, la vérité du matérialisme devrait se manifester sous forme d'états neuronaux du cerveau du matérialiste, mais la vérité ne peut être constituée de particules élémentaires (comment pourrait-on reconnaître parmi les états du cerveau ceux qui sont vrais et ceux qui sont faux ? On ne peut se représenter un concept matériel de la vérité)

Pour le philosophe Bernardo Kastrup[4], le problème principal du matérialisme est qu'il échoue à expliquer le phénomène de la conscience. De la même façon que les matérialistes soutiennent que "tout est matière", on peut soutenir selon lui que "tout est conscience" (idéalisme moniste) ; on évite ainsi de postuler l'existence d'un monde qui serait extérieur à la conscience et radicalement différent d'elle, monde matériel dépourvu de toute qualité en-dehors de celles seules que les cerveaux humains lui confèreraient :

Le concept d'un monde extérieur indépendant du phénoménal est un modèle explicatif, et non pas un fait empirique. Aucune qualité phénoménale ne peut être interprétée comme preuve directe de quelque chose [qui existerait] en dehors de la phénoménalité. (Bernardo Kastrup, On the Plausibility of Idealism: Refuting Criticisms, 2017)

Hans-Hermann Hoppe s'attaque au "naturalisme ontologique" (Ontological Naturalism) qui prétend que l'homme peut être complètement expliqué par des lois naturelles[5]. Il est impossible par exemple de déterminer ce que va être le discours d'une personne à partir de l'observation de son cerveau, ou de déterminer le sens d'une oeuvre d'art à partir de considérations physiques ou chimiques. Un comportement humain ne s'explique pas seulement par des lois causales, mais aussi par des éléments téléologiques. Le langage, par exemple, est un produit de la culture humaine et des relations interpersonnelles : son apparition ne peut être expliquée par des "lois naturelles".

Le libéralisme est-il matérialiste ?

Bien que le libéralisme soit souvent déformé comme un discours fondé sur les choses matérielles, au sens ordinaire du terme, il ne propose aucune thèse proprement ontologique ou métaphysique. Il n'est donc pas plus matérialiste, qu'idéaliste, athée ou non.

Dans le sens commun, on qualifie une personne de "matérialiste" si elle s'attache à la recherche des biens matériels, ou fait montre d'un comportement de consommation marqué (consumérisme). Il s'agit donc d'une évaluation éthique d'une attitude personnelle, qu'on pourrait appeler de "matérialisme économique", qui n'a qu'un rapport très lointain avec le libéralisme :

Ce qui est important dans ce qu’on appelle la « vie économique », ce n’est pas tant l’aspect matériel des choses que la présence de l’esprit humain. Il existe une fausse vision du libéralisme selon laquelle la seule chose qui intéresserait un libéral est la richesse matérielle, autrement dit l’argent. L’erreur est sans doute entretenue à dessein par les non-libéraux. Je leur retourne le compliment : ce sont les marxistes et socialistes qui s’intéressent aux richesses matérielles en prélevant des impôts, répartissant la richesse, etc. Ils oublient la dimension humaine des choses. Pour un libéral véritable, ce qui est important, c’est l’esprit humain et ce qu’il est capable de créer. La richesse matérielle n’en est qu’une conséquence éventuelle. (Pascal Salin)

Le principal reproche que Ludwig von Mises oppose au matérialisme, d'un point de vue épistémologique, est le relativisme qui en découle, et la tyrannie qui peut en être la conséquence :

Toute doctrine qui enseigne que certaines forces « réelles » ou « externes » déterminent ce qui se passe dans l'esprit humain, et donc tente de réduire l'esprit humain à un appareil qui transforme la "réalité" en idées de la même façon que l'appareil digestif assimile la nourriture, est incapable de distinguer entre le vrai et le faux. (The Ultimate Foundation of Economic Science: An Essay on Method, 1.8, The Absurdity of Any Materialistic Philosophy, 1962)

Pour ce même auteur le matérialiste n'aura donc d'autre solution que d'éliminer ceux qui professent des idées selon lui "en désaccord avec la réalité matérielle", le raisonnement et la discussion étant inutiles pour convaincre ceux qui sont dans l'erreur.

Les sophismes matérialistes

Beaucoup d'erreurs économiques trouvent leur source dans un point de vue matérialiste.

Frédéric Bastiat attribue à ce qu'on pourrait appeler un "fétichisme de la matière" les théories erronées de la valeur. Il écrit ceci à propos des économistes matérialistes :

Ce qu'ils ont cru, c'est que la Valeur était communiquée à la matière, soit par le travail de l'homme, soit par l'action de la nature. En un mot, trompés par cette locution elliptique: L'or vaut tant, le blé vaut tant, ils ont été conduits à voir dans la matière une qualité nommée valeur, comme le physicien y reconnaît l'impénétrabilité, la pesanteur, — et encore ces attributs lui sont-ils contestés. (...) Faut-il voir le principe de la Valeur dans l'objet matériel, et de là l'attribuer, par analogie, aux services? Je dis que c'est tout le contraire: il faut le reconnaître dans les services, et l'attribuer ensuite, si l'on veut, par métonymie, aux objets matériels. (Harmonies Économiques, chapitre V, "De la valeur")

Les erreurs matérialistes se retrouvent chez certains adeptes de la décroissance qui prétendent que "dans un monde aux ressources finies la croissance est forcément finie". Ils croient que la croissance ne peut être que matérielle. Ils oublient que la création de toute valeur est toujours une création d'information, et non une création matérielle ; grâce au progrès, la croissance peut être illimitée même dans un monde aux ressources finies, simplement en améliorant ce qui existe déjà, en répondant à de nouveaux besoins, en offrant de nouveaux services, etc. Elle peut même permettre d'économiser les "ressources finies" en améliorant l'utilisation qui en est faite.

De même la notion de « ressource naturelle » est un effet des vues matérialistes, qui croient que la valeur existe à l'état brut, "prête à l'emploi", et refusent de concevoir qu'elle découle d'abord de l'action humaine. Une ressource n'est jamais" naturelle", elle est toujours économique, produite par l'homme (le minerai ou le pétrole doivent être détectés, extraits, raffinés, conditionnés, transportés, distribués, etc.)

L'égalitarisme et les concepts de « justice sociale » fondée sur la redistribution relèvent également des sophismes matérialistes. Ils supposent que la richesse est quelque chose de figé (de même pour le travail : sophisme d'une masse fixe de travail), qu'il suffirait de partager de façon égalitaire pour résoudre tous les problèmes de pauvreté, alors que la richesse est quelque chose qui est produit, qui dépend autant de l'état du marché que de l'incitation des producteurs.

Matérialisme historique

Searchtool-80%.png Article détaillé : Matérialisme historique.

La conception matérialiste de l'histoire propre au marxisme repose sur la thèse fondamentale suivante:

« Dans la pratique sociale de leur vie, les hommes entrent en rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un certain degré de développement de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle répondent des formes sociales et déterminées de conscience. »
    — Karl Marx, Préface à la critique de l'économie politique

Cette conception s'intéresse aux conditions d’existence des êtres humains, aux rapports entre les classes sociales, et à leur influence sur les évolutions historiques, pour analyser les causes des développements et des changements qui s'opèrent dans les sociétés. Cependant cette conception n'est pas forcément conforme à l'histoire réelle ; ses adeptes ont un parti-pris qui leur fait représenter "arbitrairement" l'histoire en fonction de la théorie.

Dans le pire des cas, ceci conduit à la tentation totalitaire : il faut "forcer" le cours de l'histoire dans une certaine direction, en se fondant sur une "fausse" conviction que l'on « sait être » la façon dont l'histoire est en mouvement. La doctrine (le marxisme) va "à contre-sens" d'une recherche historique véritablement scientifique, et conduit à des projets politiques qui se soucient parfois peu de la morale, des intérêts et des convictions de la population.

Une façon d'évaluer les mérites du « matérialisme historique » serait de regarder les résultats réels des recherches historiques effectuées par les marxistes, les semi-marxistes (comme l'école des Annales) et les non-marxistes qui prétendent avoir été inspirés par le matérialisme historique. Il n'y a pas de preuve que le matérialisme historique soit véritablement scientifique, explique mieux certains faits historiques que d'autres théories et ait une réelle capacité à expliquer le présent (ce qui est une fonction "importante" de l'étude de l'histoire).

Le matérialisme historique constituait au XXe siècle une base idéologique dogmatique de l'URSS ; il y était enseigné de façon officielle (cet "Истмат", redouté des étudiants, était une matière obligatoire et éliminatoire aux examens). Les étudiants apprenaient que le développement de la société passait par les stades du communisme primitif, puis de l'esclavage, puis du féodalisme, puis du capitalisme, pour s'achever enfin dans le communisme et la société sans classe. Cependant il n'y eut aucun développement « scientifique » de cette théorie, que Karl Popper appelait une pseudo-science.

Citations

  • On reproche au libéralisme d'être matérialiste, de prôner la poursuite exclusive de la richesse aux dépens de toute autre valeur, alors qu'il n'a d'autre aspiration que de permettre l'épanouissement des êtres humains et la réalisation de leurs objectifs, spirituels, affectifs ou esthétiques autant que matériels. On lui reproche d'être sauvage alors que, fondé sur le respect intégral des autres, il exprime l'essence même de la civilisation. (Pascal Salin)
  • Les socialistes aiment blâmer le « capitalisme » et ses défenseurs pour leur matérialisme grossier, alors que c'est exactement le contraire : ce sont eux les matérialistes qui croient que tous les problèmes peuvent être résolus en dépensant de l'argent arraché à des victimes désignées pour « aider » leurs bénéficiaires désignés. (Faré)
  • Le libéralisme n'est ni matérialiste, ni spiritualiste ; il est cybernétique. C'est au contraire le socialisme qui est matérialiste, et qui, projetant sa grille de lecture sur le libéralisme, aboutit à des absurdités. Le socialisme ne voit du libéralisme que la richesse concrète qu'il produit effectivement, et non pas les principes abstraits sur lesquels il repose. (Faré)
  • Être un partisan inconditionnel du libre marché ne signifie pas pour autant que l‘accroissement des possibilités de consommation, permises par ce libre marché, oblige à adopter un mode de vie matérialiste. (Damien Theillier, Moralité et Tolérance du libéral, Libres ! 100 idées, 100 auteurs)
  • Il est vrai, en effet, qu'à l'axiome fondamental de la philosophie subjective : "le monde est ma représentation", on peut, avec autant de raison, semble-t-il, opposer celui de la philosophie objective : "le monde est matière", ou "la matière seule est" (parce que, seule, elle n'est soumise ni à la mort, ni au devenir), ou bien encore "tout ce qui existe est matière". Tel est l'axiome fondamental de Démocrite, de Leucippe et d'Epicure. Mais à examiner les choses de plus près, il y a un réel avantage à chercher non plus au-dehors, mais dans le sujet même, le point de départ d'un système ; on possède ainsi une avance d'un pas, qui est pleinement justifiée. Car la conscience est la seule chose immédiatement donnée, et nous passons par-dessus, lorsque nous allons directement à la matière et que nous en faisons notre point de départ. (Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et représentation, supplément : Le point de vue idéaliste)
  • La notion de matière est elle-même une notion métaphysique. La "matière" du matérialisme philosophique, à l'époque du mécanisme surtout, c'est le couple métaphysique matière-esprit, dont on a retranché l'esprit. C'est une antithèse tronquée. Et tronquer cette antithèse c'est accepter le système de pensée où elle a pu être énoncée, le vieux système platonicien et plotinien selon lequel le monde est une lutte éternelle entre l'Esprit et la Matière. (Jean-François Revel, Histoire de la philosophie occidentale - De Thalès à Kant, NIL, 1994)
  • Le matérialisme tout entier est à jamais perdu, s’il admet que tous les phénomènes de la nature sont inexplicables. Si le matérialisme se résigne à ce mystère, il cesse d’être un principe philosophique ; il peut toutefois continuer à subsister comme base des recherches scientifiques en détail. Telle est, en réalité, la situation de la plupart de nos « matérialistes ». Ils sont essentiellement sceptiques ; ils ne croient plus que la matière, telle qu’elle apparaît à nos sens, contienne la solution dernière de toutes les énigmes de la nature ; mais ils procèdent absolument comme s’il en était ainsi, et ils attendent que les sciences positives elles-mêmes les obligent à admettre d’autres hypothèses. (Friedrich-Albert Lange, Histoire du matérialisme)
  • La thèse matérialiste n’a encore jamais été prouvée ni expliquée en détail. Les matérialistes n'ont avancé rien d'autre que des analogies et des métaphores. Ils ont comparé le fonctionnement de l'esprit humain au fonctionnement d'une machine ou à des processus physiologiques. Ces deux analogies sont insignifiantes et n'expliquent rien. (Ludwig von Mises, Theory and History)

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Les matérialistes reconnaissent qu'il n’y a pas de définition intrinsèque de la matière, qu'on la caractérise comme le « premier substrat » (Aristote), le substrat non qualifié des Stoïciens, la substance étendue de Descartes, la substance spinoziste, une réalité non mentale, une réalité unique existant indépendamment de notre conscience, etc., sans parler des "quantons" de la microphysique qui mettent à mal le point de vue courant sur la matière (non-localité, non-séparabilité, complémentarité onde-corpuscule...). « De même qu'il convient fort de se méfier de la notion d'esprit, étant donné qu'il est aujourd'hui impossible de donner de ce mot aucune définition acceptable, à l'heure actuelle, comme les physiciens le savent bien, il est tout aussi impossible de donner du terme matière une définition satisfaisante. » (Bernard d'Espagnat). Certains matérialistes (Comte-Sponville) abandonnent le concept de matière et définissent le matérialisme comme une théorie de l'esprit, selon laquelle l'esprit ne trouve pas son origine en lui-même.
  2. Par delà bien et mal, I-12.
  3. "Pourquoi le monde n'existe pas", Jean-Claude Lattès, 2014.
  4. Bernardo Kastrup, "Brief peeks beyond", IFF Books, 2015.
  5. Hans-Hermann Hoppe - The Failure of ‘Ontological Naturalism’ (PFS 2019)

Bibliographie

Liens externes


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