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Innovation

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L'innovation est un concept qui est malheureusement largement confondu dans le langage grand public avec celui de l'invention. Or, ces deux termes complémentaires sont strictement bien différents. L'invention se rattache à la création d'un produit ou d'une idée. L'invention technologique est brevetable, celle des idées ne l'est pas. Depuis Joseph Schumpeter, dans son ouvrage, "Capitalisme, socialisme et démocratie", nous savons que ce ne sont pas les inventions mais les innovations qui engendrent le développement économique. L'innovation peut être interprétée comme l'application économique et discursive[1] d'une invention ou d'une novation d'idées. Ainsi, l'innovation est un concept beaucoup plus large que celui de l'invention.

La théorie évolutionniste de l'innovation

Selon la théorie évolutionniste du sentier de dépendance, le développement de la science et de la technologie est intégré dans des contextes d'utilisation spécifiques qui déterminent la direction et le calendrier de l'innovation. Les inégalités entre les chemins d'apprentissage dans les différents domaines d'expertise technologiques génèrent différentes structures de coûts et, a fortiori, produisent de l'incertitude dans l'adoption et le développement des nouvelles technologies. La littérature économique sur l'innovation[2] a identifié le phénomène du processus de l'innovation, qui tout en se développant, s'inscrit comme un « modèle dominant ».

E. Rogers considère que la diffusion d’une innovation dans une population suit le tracé d'une loi normale[3]. Le segment des récepteurs précoces est essentiellement composé de leaders d’opinion. En général, les premiers "early adopters" correspondent à 16 % de la population. Il y a alors de fortes pressions à la conformité avec celui-ci qui s'exercent sous formes de fortes pressions psychologiques (initié par des groupes dominants) et par des pressions sociales (acquisition de légitimité de l'innovation). Les théoriciens néo-institutionnels de l'organisation (Paul DiMaggio et Walter Powell[4]) indiquent qu'il existe des pressions vers un isomorphisme, c'est-à-dire une similarité de comportements et de stratégies au sein des entreprises qui composent l'industrie. Trois types de forces occasionnent cette similarité.

  • L'isomorphisme coercitif : les sanctions sociales ou les lois ont un effet exogène qui imposent une certaine forme de structure et de stabilité. Les entreprises au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires en réponse à cette coercition partagée.
  • L'isomorphisme mimétique : les entreprises observent la structure et la performance de l'autre (par exemple, par une analyse comparative). Les entreprises qui réussissent au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires parce qu'elles tentent de copier les succès de leurs rivaux, souvent en réponse à des environnements avec des incertitudes élevées.
  • L'isomorphisme normatif : les valeurs sont socialisées à travers les organisations en dehors des entreprises (par exemple, par les associations professionnelles) pour encourager l'adoption de caractéristiques structurelles sélectionnés. Les entreprises au sein de l'industrie adoptent des structures et des comportements similaires parce que leurs gestionnaires adhèrent aux valeurs et aux normes professionnelles partagées par les responsables d'autres entreprises (fournisseurs, clients, concurrents, et les organismes publics et para-public de réglementation).

Les formes de l'innovation

Selon Joseph Schumpeter, l'innovation est un processus de destruction créatrice, donnant l'impulsion fondamentale au développement économique. Il a fourni les cinq cas suivants du concept de l'innovation :

  • (1) Un nouveau bien ou une nouvelle qualité d'un produit
  • (2) De nouvelles méthodes et procédés de production et de distribution
  • (3) L'ouverture d'un nouveau marché
  • (4) De nouvelles ressources
  • (5) De nouvelles formes d'organisation

L'innovation est un processus de création destructrice. Elle a un effet déstabilisant sur l'économie et sur l'emploi en affaiblissant l'attractivité d'autres produits ou services. Jean Fourastié, en 1963, dans son livre, le grand espoir du XXè siècle, tout comme Alfred Sauvy[5], présentant sa théorie du déversement, montrèrent que le progrès technique est la source de la croissance économique et de la création d'emplois. L'innovation fait certes disparaître des entreprises, des procédés de production et des métiers qui y sont liés. Mais, en même temps, elle fait apparaître de nouvelles entreprises, de nouveaux procédés, de nouveaux métiers et de nouveaux emplois[6]. Dans l'histoire de l'humanité, l'innovation a toujours été globalement créatrice nette d'emplois. L'innovation est un moteur très important lors de la naissance des technologies du XXe siècle.

Dans le cas de l'innovation de rupture (par exemple, les fibres synthétiques, les lampes à incandescence, le micro-ordinateur), une véritable création est à l'origine de l'innovation. Mais, dans d'autres cas, il peut s'agir d'une simple modification d'un produit ou d'un procédé. Certaines innovations proviennent d'une transposition et d'une adaptation d'une technologie appliquée dans une autre industrie. Par exemple, le système de freinage de la navette spatiale européenne fut adapté à l'industrie automobile pour la conception des freins ABS. Alliée à une politique marketing, l'innovation permet de relancer un produit voire un métier. Par exemple, la société Microsoft lance sur le marché tous les deux ans une nouvelle version d'exploitation Windows.

La recherche de l'innovation, pour un entrepreneur, est une recherche d'un avantage concurrentiel durable en saisissant des opportunités. Sur un marché en concurrence, voire en hypercompétition, l'innovation fournit à l'entreprise un monopole provisoire. Ce monopole est temporaire car le marché en concurrence va faire émerger tôt ou tard un autre entrepreneur qui va mettre au point, à son tour, une innovation pour attirer les mêmes acheteurs. Il serait illusoire de considérer que l'origine de l'innovation provient toujours du côté de l'entreprise et des ingénieurs. Eric Von Hippel a montré l'importance des consommateurs et des groupes de communautés d'utilisateurs qui ont un rôle important dans l'innovation.

Empiriquement, on observe que l'innovation débouche sur un raccourcissement de la durée de vie des produits et à la prolifération des segments d'un même produit. Par exemple, l'entreprise ne fabrique plus un meuble pour s'asseoir, elle fabrique des canapés, des fauteuils, des chaises, des poufs, etc, en différentes couleurs et en différents designs. La production se complexifie sur des unités de produits de plus en plus nombreuses posant des problématiques sur l'effet d'expérience, les économies d'échelle et l'effet d'apprentissage.

Les efforts d'investissement pour l'innovation

L'innovation repose généralement sur un effort de recherche et développement (R & D) dépendant de la recherche fondamentale (nouvelles connaissances théoriques), de la recherche appliquée (application nouvelle de connaissances théoriques) et du développement (prototypage de produits). Au niveau d'un pays, on prend souvent l'habitude d'analyser le niveau d'innovation prospective en fonction de certains critères (dépenses de recherche en pourcentage du PIB, nombre de chercheurs pour 1000 actifs ou nombre de brevets déposés).

La part des dépenses de recherche en pourcentage du PIB se situe pour les pays développés entre 2 et 3 % du PIB. La France est située légèrement au-dessus du niveau de 2%, devancée par l'Allemagne, les Etats-Unis et loin derrière le Japon caracolant en tête avec presque 3% du PIB consacré aux dépenses de recherche. En comparaison, également, le nombre de chercheurs varie de 5 à 10 pour mille pour l'ensemble des pays développés. La France et l'Allemagne ont presque le même niveau (6 pour 1000), largement dépassés par les États-Unis ou le Japon (entre 9 et 10 pour mille). En ce qui concerne les brevets, les Japonais déposent 30 fois plus de brevets que les Français.

La réussite de l'innovation dans une organisation implique la présence de ressources de capacités ce qui en fait un avantage concurrentiel durable. Ces ressources proviennent de la flexibilité des structures, donc de la complémentarité ou de la substituabilité du capital, l'efficacité de ses systèmes d'information et de décision, et de son organisation entrepreneuriale (mise en confiance des intrapreneurs).

Le financement de l'innovation est avancé souvent comme le premier obstacle à l'innovation. Quelquefois, le regroupement d'entreprises en coopétition[7](entreprises en concurrence directe) ou des alliances inter-entreprises avec des partenaires verticaux (clients, fournisseurs) permet une coopération en recherche et développement afin de partager des charges qui ne seront rentabilisées qu'à moyen terme. Certaines entreprises collaborent avec les laboratoires de recherche financés par les impôts. Diverses solutions sont présentes pour faire face au coût de l'innovation. En France, l'ANVAR a pour mission de faciliter l'innovation en apportant aux entreprises des financements avantageux. Les aides régionales et les autres aides publiques sont généralement assez présentes dès l'amorce de l'innovation. L'Etat encourage l'innovation par sa politique de crédit d'impôt-recherche en défiscalisant les charges dues à la recherche. Mais d'autres moyens financiers, dans le secteur privé, comme les fonds de capital risque ou les sociétés d'amorçage, peuvent intervenir. Cette préoccupation des charges financières sur la pratique de l'innovation est, certes, légitime, mais elle fait oublier qu'il n'existe pas d'innovation sans une organisation entrepreneuriale et une mémoire organisationnelle, c'est-à-dire sans un esprit d'innovation créé et maintenu au sein de l'organisation et au travers d'un écosystème d'innovations[8] pour maintenir sans cesse en place des innovateurs.

L'innovation entrepreneuriale au sens autrichien

L'innovation entrepreneuriale ne se produit pas nécessairement à cause de divergences entre la quantité demandée par les consommateurs et la quantité fournie par les entreprises sur le marché de façon globale et agrégative. L'innovation se produit parce que certains entrepreneurs estiment (ou imaginent[9]) qu'il existe des opportunités encore inexploitées comme par exemple des écarts de prix entre produits substituables, par combinaison de produits complémentaires ou par l'apport de technologies[10] ou de nouveaux designs à certains produits ou services. Ces lacunes sont potentiellement précieuses et sont considérées avoir de la valeur aux yeux des acheteurs. Les entrepreneurs créent de la valeur en comblant ces lacunes. Cette notion se distingue de l'invention car un inventeur re-combine des connaissances anciennes et crée de nouvelles connaissances. L'innovateur n'a pas obligatoirement conscience de convertir des connaissances dans une forme d'économiquement utile. Sa problématique n'est pas d'ordre épistémologique même si elle en induit des conséquences. L'entrepreneur ne se considère pas comme un révolutionnaire qui a inventé une idée géniale. Il peut l'exprimer, certes, mais c'est en appliquant son idée qu'il devient génial, non pas en l'imaginant. Bien souvent, l'entrepreneur innovant se contente de combiner des idées existantes, de tester des expériences banales, et de saisir les connaissances locales pour créer des biens économiques, sans se comporter comme Archimède, criant "eureka" dans son bain.

La théorie de l'innovation autrichienne[11] intègre la connaissance, l'expérience et l'importance de la liberté dans la création de toute nouvelle catégorie conceptuelle et dans les initiatives entrepreneuriales fondamentalement innovantes. Pour Friedrich Hayek, l'être humain est capable de voir plus que ce qu'il ne voit. On est capable de voir ce que l'on est prêt à voir, c'est-à-dire que nous pouvons percevoir des phénomènes sensoriels, seulement si nous avons classé préalablement les données dans des catégories abstraites et souvent implicites qui nous sont parvenues physiologiquement. Il s'agit du processus d'apprentissage par l'utilisation de catégories préalablement créées. Cependant, l'être humain est aussi génétiquement doté d'une capacité d'innovation par la création de nouvelles catégories ou par le déplacement des données d'une catégorie à une autre, ce qui est souvent le cas lorsqu'on tente de résoudre des anomalies ou des énigmes, ou lorsqu'on se pose la question de savoir si un nouveau produit rencontrera son public. La nouvelle conscience perceptive nécessaire pour les nouvelles pistes de découverte crée, à son tour, une nouvelle catégorisation et de nouveaux horizons de perception. Cette innovation nécessite souvent non seulement la liberté de curiosité épistémique, mais aussi la liberté d'action afin d'être en mesure d'essayer différentes possibilités perceptives, d'une quantité numériquement infinie.

Dans la plupart des modèles théoriques de l'innovation, la structure temporelle des processus d'innovation est systématiquement ignorée. La production et l'innovation semblent être des actes simultanés. Pour l'École autrichienne, la dimension temporelle et évolutionniste de l'innovation est très importante. L'innovation suppose un processus séquentiel d'apprentissage, d'essais et d'erreurs, de plans de révisions, d'échecs de coordination et d'ajustement dynamique des processus. L'innovation est fondamentalement un processus de découverte et de création de ressources.

Erreur courante : l'innovation accroît le chômage

Cette erreur est largement répandue, y compris chez les "élites" dirigeantes. Par exemple un homme politique a déclaré ceci :

« Notre économie connaît des problèmes structurels attribuables au fait que beaucoup d’entreprises ont compris qu’elles peuvent être plus efficaces avec moins de travailleurs. Quand on va à la banque, on utilise le guichet automatique, on ne va pas au comptoir. À l’aéroport, on utilise la billetterie électronique plutôt que de s’enregistrer au comptoir. » (Barack Obama sur NBC en juin 2011)

Les innovations font disparaître certains emplois (en général peu qualifiés), mais elles en créent d'autres : il faut des ingénieurs pour les concevoir, des usines pour les produire et des travailleurs pour les mettre en œuvre. Refuser le progrès, c'est refuser que la productivité puisse être améliorée, et par conséquent que les coûts et les conditions de vie des gens puissent s'améliorer (une pensée aussi rétrograde est d'ailleurs une des motivations du protectionnisme : la volonté de maintenir coûte que coûte la situation présente).

Informations complémentaires

Citations

  • L’innovation est un produit de la liberté, elle est par nature implanifiable, et c’est ça précisément qui excite la férocité réglementaire, taxatrice ou castratrice des pouvoirs publics. (Olivier Méresse[12])
  • Le pari de l’innovation s’inscrit dans la nature même de toute activité économique. Une activité économique est une activité de création de richesses, donc une activité de création. L’innovation, parce qu’elle crée des nouvelles connaissances qui s’additionnent aux connaissances existantes, est par essence une activité économique comme l’activité de création de richesses est par essence une activité d’innovation. (Jean-Louis Caccomo)
  • L'innovation d’un pays est l'expression d'une culture capable de protéger et d'inspirer l'individualisme, l'imagination, la compréhension et l'expression de soi. (Edmund Phelps, Mass Flourishing, 2013)
  • Réaliser quelque chose de différent, voilà ce qui est vraiment bon pour la société et c’est aussi ce qui permet à une entreprise d’engranger des profits en monopolisant un nouveau marché. Les meilleurs projets seront aussi sans doute ceux qui seront négligés, ceux que la foule ne claironnera pas haut et fort ; les meilleurs problèmes sur lesquels travailler sont souvent ceux que personne d’autre ne tente même de résoudre. (Peter Thiel, De zéro à un)

Notes et références

  1. * Thèse également soutenue par la théorie de la traduction de M. Akrich, M. Callon et B. Latour, 1987, «A quoi tient le succès des innovations?», Gérer et comprendre, n°11, pp4-18, n° 12, pp14-30
    • 1986, M. Callon, "Éléments pour une sociologie de la traduction. La domestication des coquilles Saint-Jacques dans la Baie de Saint-Brieuc", L’Année sociologique, Vol 36, pp169-208
    • 1975, W.J. Abernathy et J. M. Utterback, "A dynamic model of process and product innovation", Omega, Vol 3, n°6, pp639-656
    • 1985, W. J. Abernathy et K. B. Clark, "Innovation: Mapping the winds of creative destruction", Research Policy, Vol 14, pp3-22
  2. Pour une critique de cette conception de la diffusion d'une inovation :
    • J. Bayer, N. Melone, 1989, "A critique of diffusion theory as a managerial framework for understanding adoption of software engineering innovations", Journal of Systems and Software, 9(2), pp161-166
  3. Paul DiMaggio et Walter W. Powell, 1983, "The iron cage revisited: Institutional isomorphism and collective rationality in organizational fields", American Sociological Review, n°48, pp147-160
  4. * Alfred Sauvy, 1980, La machine et le chômage, Dunod
  5. Benjamin Fairless, "More Machines Mean More Jobs", The Freeman, Mai, Vol 5, n°5
  6. A. O’Donnell, D. Carson, A. Gilmore, 2002, "Competition and Co-operation between Small Firms and Their Competitors”, Journal of Research in Marketing and Entrepreneurship, Vol 4, n°1, pp7-15
  7. C. Freeman, 1991, "Networks of innovators: A Synthesis of Research Issues", Research Policy, vol 20, pp499-514
  8. G. Morgan, 1993, "Imaginization: The Art of Creative Management", London: Sage
  9. Randall Holcombe examine le cas de la souris sans fil, qui n'a pas vu le jour parce que ce produit était trop demandé ou sous-approvisionné, mais parce que quelqu'un a remarqué l'écart entre la technologie sans fil et les innovations complémentaires. et, il s'est dépêché de remplir cet écart. Randall Holcombe, 2008, Entrepreneurship and Economic Growth, In: Benjamin Powell, dir., Making Poor Nations Rich: Entrepreneurship and the Process of Economic Development. Stanford: Stanford Economics and Finance and the Independent Institute, p66
  10. La théorie cognitive de Friedrich Hayek a été longtemps et souvent négligée. Elle est issue de son ouvrage en psychologie, "The Sensory Order", qui traite, comme son nom l'indique de l'ordre sensoriel, c'est-à-dire de la perception et de la catégorisation des données à partir d'un ordre physiologique et cognitif
  11. Olivier Méresse : “L’innovation est un produit de la liberté, elle est par nature implanifiable”

Bibliographie sur l'innovation

Searchtool-80%.png Article détaillé : Bibliographie sur l'innovation.

Liens externes