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Ross Levatter
Ross Levatter est un radiologue américain (né en 1955 à Phoenix), devenu essayiste dans plusieurs revues et blogs libéraux. Diplômé de philosophie, médecin de terrain et polémiste mesuré, il a consacré une part importante de son travail intellectuel à relier économie, éthique du soin et libertés civiles, une démarche qui lui a valu le Thomas S. Szasz Award (2007) et qui se retrouve dans ses contributions à la presse d’idées. Aujourd’hui retraité de la pratique clinique, il demeure cité pour ses analyses sur la décision médicale individuelle et la critique des approches collectivistes en santé.
L'apport de Ludwig von Mises à sa future carrière de médecin
En octobre 1981, dans les pages de Reason, le jeune étudiant en médecine Ross Levatter signait « Remembering von Mises », un hommage centenaire à Ludwig von Mises, ce qui était déjà bien plus qu’un exercice de mémoire. À travers Mises (sa théorie monétaire, sa critique du calcul socialiste, sa praxéologie) Levatter découvre une boussole intellectuelle pour comprendre l’action humaine fondée sur les prix, les choix et le consentement. C'est depuis cet instant, qu'il emporte les séminales idées misésiennes jusqu'au lit du patient
- . La rencontre fondatrice : une entrée en économie par la monnaie. En 1981, Ross Levatter est étudiant en médecine quand il ouvre The Theory of Money and Credit de Ludwig von Mises. Ce n’est pas un détour anodin : Mises lui offre un langage pour penser la rareté, l’échange et le prix ; bref, une lecture de la décision sous contrainte. L’idée clef, pour un futur clinicien, est que les prix condensent des informations décentralisées et rendent possibles des arbitrages rationnels. Levatter transpose aussitôt : sans prix lisibles et sans responsabilité financière, le patient et le médecin perdent leurs repères, et la médecine glisse du soin réfléchi vers la dépense sans boussole.
- . Subjectivité de la valeur : du marginalisme à la décision médicale. Chez Mises, la valeur naît dans l’esprit du sujet. Levatter comprend que cette subjectivité ne concerne pas que le marché des biens : elle éclaire la médecine de choix (dépistage, confort, prévention). Deux patients, avec le même diagnostic, mais des préférences différentes ont une tolérance au risque, des histoires familiales et des projets de vie différents. Le « bon » soin n’est pas une moyenne statistique ; c’est un choix personnel informé. D’où sa future insistance sur le contrat volontaire patient–médecin et le refus d’égaliser autoritairement des préférences hétérogènes.
- . Calcul économique et socialisme : pourquoi la coercition clinique déraille. L’argument misésien contre le socialisme, l'impossibilité du calcul sans prix libres, devient, pour Levatter, une mise en garde appliquée à la santé : plus on remplace les échanges volontaires par des mandats (couvertures obligatoires, paniers uniformes), plus on détruit les signaux qui informent la décision. Sans signal-du prix, ni le patient ni l’hôpital ne savent ce que « coûte » réellement une option, et l’allocation (temps médical, plateaux techniques, lits) se politise. La qualité souffre, les files d’attente s’allongent, l’innovation recule.
- . Assurance vs épargne : une typologie misésienne des risques de santé. Mises distingue les risques assurables (rares, coûteux, imprévisibles) et tout le reste. Levatter y voit le canevas d’un dessin institutionnel :
- L'assurance catastrophe pour l’aléa grave (trauma, cancers agressifs, greffes).
- L'épargne médicale (MSA/HSA) pour les choix planifiés (grossesse non compliquée, chirurgie réfractive, check-ups élargis).
- Ce montage réaligne les incitations : chacun arbitre entre ce qu’il veut vraiment et ce qu’il accepte de payer, sans redistributions cachées qui brouillent le coût réel des décisions.
- . Praxéologie et clinique : raisonner de l’action au lit du malade. Dans Human Action, Mises érige l’économie en science de l’action. Levatter transpose le geste méthodologique : partir des fins du patient, des moyens disponibles, des contraintes (biologiques, financières, temporelles), et déduire l’option cohérente pour ce patient-là. Ce n’est ni du paternalisme (« je sais mieux que vous ») ni un suivisme (« tout ce que vous voulez ») : c’est une délibération rationnelle, où le clinicien expose bénéfices, risques, coûts, et où le patient choisit et consent.
- . De l’idéel au concret : dépistage, anévrismes et « optimalité » locale. Très tôt, Levatter voit que les grandes moyennes (« optimal social ») n’épuisent pas la décision individuelle. Le dépistage d’un anévrisme abdominal peut avoir un impact marginal colossal pour l’individu qui s’y soumet (et qu’on sauve), même si l’effet agrégé est discret. L’intuition misésienne est ici pratique : ce qui compte, c’est l’utilité pour l’acteur. Si la personne, bien informée, veut payer ce test, le marché doit le permettre, au lieu d’imposer un « non » centralisé au nom d’un optimum collectif abstrait.
L’assurance pour les risques, pas pour les choix personnels
- . Refus de la coercition étatique. Dans son article de 1998, Ross Levatter dénonce le rôle du gouvernement américain lorsqu’il impose aux employeurs et aux assureurs de couvrir certains soins, comme la grossesse. Pour lui, ces mandats représentent une coercition étatique qui fausse le fonctionnement naturel du marché. Ils ne traduisent pas une volonté de protéger les patients mais une imposition politique qui empêche la libre négociation entre employeurs, employés et assureurs.
- . Primauté du libre choix et du contrat volontaire. Levatter insiste : aucune organisation de soins n’empêche une femme de rester deux jours, ou même plus, à l’hôpital après son accouchement… à condition qu’elle paie pour ce service. Autrement dit, le problème n’est pas l’accès au service, mais l’obligation de le financer collectivement. Il affirme que la décision libre entre patient, médecin et assureur doit primer. Les soins doivent découler d’un contrat volontaire, non d’un diktat gouvernemental qui impose les mêmes conditions à tous.
- . Distinction entre risques assurables et choix personnels. L’auteur rappelle que l’assurance est faite pour couvrir des événements imprévus et coûteux (accidents, maladies graves) et non des événements prévus et désirés, comme une grossesse. Celle-ci, par nature, relève du choix personnel et doit donc être financée par l’épargne individuelle, non par l’assurance collective. Cette distinction est cruciale pour éviter les dérives économiques telles que la sélection adverse et l’aléa moral.
- . Rejet des subventions forcées et redistributions cachées. Les mandats bureaucratiques, en imposant la couverture des grossesses, organisent une redistribution obligatoire. Les femmes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas avoir d’enfants, tout comme les hommes, financent indirectement les frais liés aux grossesses d’autrui. Levatter souligne que cette redistribution est injuste et dissimulée, car elle ne se présente pas comme un impôt explicite mais comme une hausse généralisée des primes d’assurance.
- . Défense de la responsabilité individuelle comme valeur centrale. En conclusion, Ross Levatter défend une vision claire : chacun doit assumer le coût de ses choix personnels. Vouloir un enfant est une décision libre et légitime, mais la société ne devrait pas être contrainte d’en assumer les frais. Il propose de revenir à une logique de responsabilité individuelle, grâce à une combinaison d’assurance catastrophique (pour les vrais risques) et de comptes d’épargne médicale (pour les soins planifiés). Cette responsabilisation, selon lui, est la meilleure garantie d’un système juste, durable et économiquement sain.
Thomas Szasz, l’ami et la boussole
- . Portrait croisé Szasz–Levatter. Psychiatre iconoclaste, Thomas Szasz a dénoncé la « médicalisation de la morale » et l’État thérapeutique, s’opposant aux internements et traitements involontaires au nom de la liberté individuelle et du consentement. Radiologue et essayiste, Ross Levatter prolonge cette veine en dehors de la psychiatrie : il applique les mêmes principes à l’assurance et aux politiques de santé. Chez lui, la décision médicale est d’abord un échange volontaire entre personnes majeures et responsables ; l’autorité publique ne doit ni imposer des soins ni socialiser des choix privés via des mandats. Tous deux partagent la défense de l'individu : la personne concrète prime sur la moyenne statistique, le consentement éclairé sur la contrainte bureaucratique bienveillante, la liberté sur le paternalisme étatique.
- . Prix Thomas S. Szasz : motifs, portée, réception. Ross Levatter a été distingué par le prix Thomas S. Szasz (catégorie professionnelle), prix qui salue des auteurs et praticiens ayant défendu la liberté individuelle contre la coercition au sein du système de santé. Les raisons de cette distinction tiennent d’abord aux écrits de Levatter, où il parvient à articuler médecine et économie en rappelant que l’assurance doit rester limitée aux risques majeurs et ne pas servir à financer, par la contrainte, des choix individuels. Sa défense constante du consentement libre et de la responsabilité personnelle a marqué les jurés. L’attribution de ce prix l’inscrit pleinement dans l’héritage intellectuel de Thomas Szasz et confère une légitimité particulière à sa critique des politiques de santé fondées sur la coercition. La reconnaissance a été chaleureusement accueillie dans les cercles libéraux et libertariens, tandis qu’elle a suscité davantage de réserves parmi les partisans d’une santé publique paternaliste, qui invoquent l’intérêt collectif et les externalités pour justifier une intervention de l’État.
- . Héritage commun : responsabilité individuelle, limites du paternalisme médical, primauté du consentement. Szasz et Levatter se retrouvent autour de trois piliers essentiels. Le premier est celui de la responsabilité individuelle : chacun doit répondre de ses choix, qu’il s’agisse de soins souhaités ou de modes de vie, et en assumer le coût. L’assurance, dans cette logique, n’a de sens que face aux aléas graves, non pour couvrir des décisions prévisibles et volontaires. Le second pilier tient aux limites du paternalisme : même animé d’une intention protectrice, le paternalisme médical débouche rapidement sur la coercition, qu’il s’agisse d’internements imposés, de mandats d’assurance ou d’obligations de couverture, autant de dispositifs qui minent l’autonomie individuelle. Enfin, le troisième principe est la primauté du consentement : celui-ci n’a de valeur que si existe une véritable liberté de refuser un traitement, une couverture imposée ou une dépense mutualisée.
Dans cette perspective, l’axe Szasz–Levatter dessine une conception de la médecine et de l’assurance centrée sur la personne : un système où l’État ne dicte pas les comportements mais se borne à protéger les droits, laissant aux individus la liberté, et la responsabilité, de définir et d’assumer leurs propres préférences.
Informations complémentaires
Publications
- 1979, "Von Mises and Time - Preference", Reason papers, n°5, winter
- 1982, "Explaining Nozick", commentaire du livre de Robert Nozick, "Philosophical Explanations", Reason, October
- 1998, avec Rebecca Geshelin, "Who Pays the Price for Motherhood?", The Freeman, January, Vol 48, n°1, pp31-33 (Les auteurs expliquent que s’assurer pour des événements prévisibles, y compris la grossesse, n’a aucun sens économique.) [lire en ligne]
- 2001,
- a. Commentaire du livre de Thomas Szasz, "Fatal Freedom: The Ethics and Politics of Suicide", The Freeman, January, Vol 51, n°1 [lire en ligne]
- b. "Will You Name the Car Crash After Us?", The Freeman, October, Vol 51 [lire en ligne]
- 2002, Commentaire du livre de Thomas Szasz, "Pharmacracy: Medicine and Politics in America", The Freeman, August, Vol 52 [lire en ligne]
Liens externes
- "Health Care: A Future Free-Market Alternative", texte de Ross Levatter, diffusé le 23 septembre 2009 sur le site de la Foundation for Economic Education
- "Not with a Bang But a Whimper", texte de Ross Levatter, diffusé le 2 novembre 2009 sur le site de la Foundation for Economic Education
- Commentaire du livre de Thomas Szasz, "Primary Values and Major Contentions" (daté du printemps 1983), par Ross Levatter déposé sur le site qui lui est consacré Szasz.com
- Commentaire du livre de Thomas Szasz, "The Manufacture of Madness" (non daté), par Ross Levatter déposé sur le site qui lui est consacré Szasz.com
- Commentaire du livre de Thomas Szasz, "Insanity: The Idea and Its Consequences" (non daté), par Ross Levatter déposé sur le site qui lui est consacré Szasz.com