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Légalité des délits et des peines

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En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines dispose qu'on ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'une texte pénal précis et clair. On inclut également le principe de la non-retroactivité de la loi pénale plus sévère et la retroactivité de la loi pénale plus douce.

Premier corollaire de la légalité : interprétation stricte de la norme pénale

Article 111-4 du Code pénal : « La loi pénale est d’interprétation stricte »

L’interprétation stricte peut se définir comme « Rien que la loi pénale, mais toute la loi pénale ».

Le principe de l’interprétation stricte s’oppose à l’interprétation analogique, qui consiste à étendre une règle de droit d’une situation prévue par elle à une situation voisine.

Ce principe s’oppose également à l’interprétation restrictive, qui ferait échapper à la loi pénale des cas prévus par le législateur.

La prohibition de ces deux modes d’interprétation n’est pas comparable : l’interprétation analogique viole ouvertement la prévisibilité de la loi pénale et la sécurité juridique. L’interprétation restrictive ne contrarie que la séparation des pouvoirs, dans un sens favorable aux intérêts de la personne poursuivie.

Cependant, comme l’a fait remarquer la Cour européenne dans l’arrêt CANTONI, une loi est nécessairement imprécise et son contenu exact doit être déterminé par le juge. Le Juge pénal possède donc un pouvoir d’interprétation, mais cette interprétation doit être stricte, c'est-à-dire s’en tenir au texte et aux conséquences qu’une personne moyennement informée peut en déduire, sans quoi il viole le principe de prévisibilité.

La détermination de l’étendue du pouvoir d’interprétation du juge est délicate.

Il est par exemple admis que, face à un texte clair et précis, le juge est lié par la lettre du texte ; et qu’il peut se référer à la volonté du législateur lorsque le texte manque de précision.

Un célèbre décret de 1917 interdisait aux voyageurs de « descendre des trains ailleurs que dans les gares et lorsque le train est complètement arrêté », ce qui, littéralement, oblige les voyageurs à sauter du train en marche. Par arrêt du 8 mars 1930, la Cour de cassation a approuvé la condamnation d’un voyageur qui était descendu d’un train en marche, considérant qu’il fallait redonner au texte son sens évident. Il s’agit d’une interprétation téléologique, stricte, d’un texte pourtant clair et précis.

L’interprétation stricte a imposé la création du délit de filouterie, qui consiste à se faire servir une prestation (aliments, carburant) en ayant l’intention de ne pas la régler. En effet, la soustraction n’est pas frauduleuse puisqu’il y a remise volontaire de la chose par le propriétaire, et il n’y a pas de manœuvres constitutives d’escroquerie. Elle a également imposé la création de l’abus de biens sociaux, après le scandale « Stavisky » qui, dans les années 20-30 a montré les limites de l’incrimination d’abus de confiance.

La limitation du pouvoir d’interprétation du juge pose problème face aux progrès techniques, des situations non prévues par le législateur pouvant apparaître.

La question s’est ainsi posée de savoir si la soustraction frauduleuse d’électricité était un vol au sens du Code pénal, c'est-à-dire la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui. Par arrêt en date du 3 août 1912 (distribué), la Cour de cassation a considéré que l’électricité est bien une chose susceptible d’appréhension et pouvant dès lors faire l’objet d’un vol. Cette interprétation était très contestable dans la mesure où l’électricité n’a aucune matérialité et qu’il est admis que le vol ne peut concerner que des biens meubles. La Cour de cassation a été démentie dans son analyse par le nouveau Code pénal, 80 ans plus tard, qui a ajouté après l’article 311-1 sur le vol, un article 311-2 qui expose que la soustraction frauduleuse d’énergie est assimilée au vol. Ce qui signifie bien qu’elle n’en est pas un.

La question du vol d’information a renouvelé ce débat avec le développement de l’informatique. La Cour de cassation a rendu un arrêt de principe le 8 janvier 1979 dans une affaire de vol par photocopie (arrêt dit LOGABAX, distribué). Dans cette affaire, un salarié était poursuivi pour le vol des documents appartenant à son employeur, auxquels il avait normalement accès dans le cadre de son emploi. Il avait simplement réalisé des photocopies des documents, sans emporter les originaux. La Cour considère qu’au moment où le salarié photocopie les documents, contre l’intérêt de son employeur, il se comporte comme le propriétaire de ces documents, et qu’il y a donc soustraction juridique (à défaut de soustraction matérielle).

La solution a été appliquée à la copie de documents présents sur une disquette.

Le vol d’information est appréhendé par le biais de la soustraction du support des informations, artifice juridique d’autant plus contestable que les faits correspondent en réalité à l’infraction d’abus de confiance.

La chambre criminelle s’est encore fait remarquer par une interprétation très contestable de l’incrimination de viol le 16 décembre 1997 : l’article 222-23 incrimine de viol « tout acte de pénétration sexuelle commis sur la personne d’autrui par violence (…) ». Sans doute dans un souci d’égalité des sexes, la Cour a considéré dans cette arrêt que l’incrimination de viol pouvait être retenue dès lors qu’une pénétration sexuelle était imposée, qu’il s’agisse de la pénétration de la victime par l’agresseur où de l’inverse. Cette interprétation, manifestement contraire à l’article 222-23 qui vise la pénétration d’autrui, a été abandonnée dès 1998.

Une application retentissante du principe de l’interprétation stricte a été faite le 30 juin 1999 par la Cour de cassation, refusant d’appliquer l’infraction d’homicide involontaire à l’enfant à naître. La jurisprudence antérieure, des juges du fond, était contradictoire mais semblait dégager un critère, à savoir la viabilité du fœtus. Cette jurisprudence a été confirmée par l’assemblée plénière de la Cour de cassation qui, le 29 juin 2001, a précisé que « la protection de l’enfant à naître relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus ». Jurisprudence appliquée, a contrario, le 2 décembre 2003, par la condamnation de l’auteur de l’homicide lorsque l’enfant a vécu une heure après sa naissance.

Une incongruité est à relever : les arrêts refusant la condamnation de l’auteur de l’interruption involontaire de grossesse étaient rendus par cassation sans renvoi ; un dernier arrêt, du 4 mai 2004, pose quant à lui le principe selon lequel « l’enfant n’étant pas né vivant, les faits ne sont susceptibles d’aucune qualification pénale » - ce qui paraît étrange, dans la mesure où, si l’enfant n’est pas considéré comme une personne protégée par le Code pénal, la mère a été victime d’une infraction de violence involontaire. Cette volonté de couper court à tout débat, au risque de violer les droits de la mère, indiquerait que ces décisions sont plus politiques que juridique.

Il n’est pas sûr que l’interprétation stricte ait quelque chose à voir avec ces décisions.

N.B. : cedh 8 juillet 2004 : l’interruption brutale de la grossesse de la demanderesse n’entre pas dans le champ de l’article 2 (droit à la vie), la Cour refusant de répondre dans l’abstrait à la question de savoir si l’enfant à naître est une « personne » au sens de l’article 2, et la requérante n’étant pas privée de tout recours (poursuites pénales pour blessures involontaires sur la personne de la mère, recours administratif…).

Bien entendu, le principe d’interprétation stricte, corollaire du principe de légalité, a pour objet de protéger l’individu contre l’arbitraire et l’imprévisible : il ne s’applique pas aux interprétations favorables aux accusés.

Second corollaire du principe de légalité : application de la loi pénale dans le temps

Les règles générales d’entrée en vigueur des lois figurent à l’article 1er du Code civil : jusqu’au 1er juin 2004, cet article disposait : « la promulgation faite par le Roi sera réputée connue dans le département de la résidence royale un jour après celui de la promulgation ; et dans chacun des autres départements, après l’expiration du même délai, augmenté d’autant de jours qu’il y aura de fois 10 myriamètres (environ 20 lieues anciennes) entre la ville où la promulgation en aura été faite, et le chef lieu de chaque département ». Cette règle était contrariée par un décret du Gouvernement de la défense nationale à Paris, en date du 5 novembre 1870, qui prévoyait que les lois deviennent obligatoires à Paris un jour franc après promulgation, et partout ailleurs un jour franc après que le J.O. soit parvenu au chef lieu de l’arrondissement.

Depuis le 1er juin 2004, les règles sur la publication électronique des lois ont modifié l’article 1er du Code civil : sauf disposition spéciale contraire, la loi entre en vigueur le lendemain de sa publication au J.O.

La date d’entrée en vigueur étant établie, se pose la question, en droit pénal, de savoir quels faits peuvent être régis par la nouvelle loi.

La non rétroactivité de la loi pénale plus sévère

En droit civil, on considère que les situations contractuelles sont régies par la loi en vigueur le jour de la conclusion du contrat, tandis que les situations délictuelles sont régies par la loi en vigueur au jour du procès, c’est le principe d’application immédiate, qui avoisine la rétroactivité.

Le refus de toute rétroactivité en droit pénal est une exigence fondamentale des systèmes libéraux. Cette non-rétroactivité figure en bonne place dans la ddhc, article 8 : « nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit ».

Elle est reprise par Portalis : « la loi qui sert de titre à l’accusation doit être antérieure à l’action pour laquelle on accuse ».

La Cour de cassation a eu l’occasion d’appliquer ce principe dans des conditions très contestables le 17 juin 2003 : la qualification de « crime contre l’humanité » n’existant pas à l’époque des faits, les crimes de torture commis pendant la guerre d’Algérie bénéficient de l’amnistie du 31 juillet 1968. Cette application est contestable parce que l’hypothèse du crime contre l’humanité est justement visée par la Convention européenne comme l’une des exceptions au principe de non-rétroactivité ; et parce que les règles notamment d’imprescriptibilité qui y sont attachées visent justement à la poursuite des faits passés. Dans l’avenir, il est probable que de tels crimes soient dénoncés dans un délai de dix ans qui rend cette imprescriptibilité inutile. La Cour de cassation avait d’ailleurs admis la rétroactivité de l’imprescriptibilité de ces crimes dans l’affaire Barbie jugée le 26 janvier 1984.

La règle de la non-rétroactivité ne vaut que pour le droit pénal « de fond » (droit pénal général ou spécial), et non pour la procédure. En effet, le droit pénal de fond fixe les limites de la liberté individuelle ; il est donc essentiel que chaque citoyen puisse, à tout moment, connaître les limites de sa liberté sans être par la suite surpris dans ses prévisions par une loi rétroactive. Au contraire, il n’existe pas de droit à une procédure, et l’État est en principe libre de fixer les règles de fonctionnement du système judiciaire.

Le principe de non-rétroactivité pénale, découlant du principe de légalité, a vocation à s’appliquer à toutes les nouvelles lois. Il n’est cependant impératif que pour les lois défavorables à l’accusé, comme on l’a déjà expliqué à propos de l’interprétation stricte.

En outre, un principe concurrent s’applique aux lois pénales plus douces : le principe de rétroactivité in mitius, corollaire du principe de nécessité des délits et des peines.

La rétroactivité des lois plus douces

Le principe de nécessité figure à l’article 8 de la ddhc : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Le Conseil constitutionnel exerce en cette matière un contrôle limité à l’erreur manifeste d’appréciation. Il a ainsi censuré le 3 septembre 1986 la loi qui assimilait l’aide au séjour d’étrangers en situation irrégulière à des actes de terrorisme.

Le principe de nécessité impose l’application rétroactive des lois plus douces. Comment en effet prétendre qu’il est nécessaire d’appliquer une peine à tel acte alors que cet acte n’est plus considéré aujourd’hui comme troublant l’ordre social ? En principe cette rétroactivité entraîne l’application immédiate de la nouvelle loi aux infractions non encore définitivement jugées. Cette application peut même être un motif d’annulation pour la Cour de cassation.

Par exemple : Crim. 6 janvier 2004 applique la loi du 26 novembre 2003 qui interdit de prononcer la peine d’interdiction du territoire français aux étrangers venant en France pour des motifs médicaux.

En ce qui concerne les infractions définitivement jugées, en principe l’intervention d’une nouvelle loi plus douce n’est pas un motif de révision du procès. Pourtant, l’article 112-4 du Code pénal prévoit qu’en cas de disparition de l’incrimination, la peine cesse de recevoir exécution (sans que le principe de la condamnation disparaisse). Cet article 112-4 est encore une application du principe de nécessité des peines. On peut se demander si ce mécanisme de devrait pas également s’appliquer en cas de diminution du maximum légal : la personne condamnée à une peine supérieure au nouveau maximum ne purge-t-elle pas une peine non nécessaire ?

Exceptions

Exceptions au principe de non rétroactivité

Des exceptions au principe de non-rétroactivité de la loi pénale sont admises, de façon fort contestable, par la Cour de cassation.

Il s’agit, tout d’abord, des lois expressément rétroactives. Comment une disposition légale peut-elle contrarier une norme constitutionnelle et conventionnelle ? La validité des lois expressément rétroactives est pourtant acceptée par la Cour de cassation, sauf s’il s’agit d’une immixtion dans un procès en cours, constitutive d’une rupture de l’égalité des armes et d’une violation de la séparation des pouvoirs.

Il s’agit également des lois interprétatives. Le raisonnement juridique veut que, la loi interprétative ne venant pas modifier le droit, elle s’incorpore à la loi interprétée et s’applique comme elle (ex : crim. 23 janvier 1989). Comment une loi imprécise, puisqu’elle nécessite une interprétation législative, contraire à l’article 7 de la Convention EDH, pourrait-elle s’appliquer en raison d’un choix du législateur ? C’est encore une violation flagrante de la hiérarchie des normes.

Le statut des revirements de jurisprudence est ambigu : en droit interne, il semble que les revirements soient rétroactifs : Crim. 30 janvier 2002 : « en l’absence de modification de la loi pénale, et dès lors que le principe de non rétroactivité ne s’applique pas à une simple interprétation jurisprudentielle, le moyen est inopérant ». Cette formule est susceptible d'être interprétée de deux façons : soit la Cour nie l’existence de revirements, les qualifiant de « simple interprétation jurisprudentielle » pour se conformer au dogme de la légalité criminelle ; soit la Cour introduit une distinction entre la simple interprétation, rétroactive, et le véritable revirement, que l’on suppose non rétroactif.

Cette deuxième analyse permet de concilier la position française avec le droit européen : la Cour EDH a en effet admis la rétroactivité d’un revirement dès lors que ce revirement est prévisible (S.W. c/ R.U., 22 novembre 1995) : il s’agissait en l’espèce de la condamnation d’un mari pour le viol de son épouse.

On en revient toujours au critère matériel de prévisibilité du droit pénal, qui prime sur les considérations formelles.

Il existe également des exceptions au principe de rétroactivité in mitius.

Exceptions au principe de rétroactivité de la loi plus douce

La Cour a également pu admettre qu’une loi pénale plus douce prévoit une dérogation à son application rétroactive.

Par arrêt du 7 avril 2004, la Cour de cassation a encore refusé l’application rétroactive d’une norme moins sévère au motif que ce n’était pas le texte pénal qui avait été modifié, mais le Code des marchés publics. Les faits poursuivis n’étaient pourtant plus susceptibles de sanction pénale s’ils avaient été commis à l’époque où le juge a statué !

Voir aussi


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