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The Liberator

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The Liberator (1831-1865) est un journal abolitionniste fondé à Boston par William Lloyd Garrison. Radical et intransigeant, il appelait à l’abolition immédiate et sans conditions de l’esclavage, refusant tout compromis politique. Il servit aussi de tribune à des penseurs comme Charles Lane, Angelina Grimké ou Lysander Spooner, qui y développèrent des idées liant abolition de l'esclavage, souveraineté individuelle et critique de l’État. Véritable carrefour de l’abolitionnisme radical, du pacifisme et du volontarisme, il a marqué durablement l’histoire intellectuelle américaine.

Présentation générale de The Liberator

Fondé en 1831 par l’imprimeur et militant abolitionniste William Lloyd Garrison, The Liberator fut publié chaque semaine à Boston jusqu’à l’abolition de l’esclavage en 1865. Garrison, figure majeure du mouvement antiesclavagiste américain, y exposait sans détour une ligne radicale qui refusait tout compromis avec les partisans de l’institution servile.

L’objectif du journal était clair : dénoncer l’esclavage comme une violation fondamentale des droits humains et appeler à son abolition immédiate et inconditionnelle. Fidèle à l’esprit évangélique et à une lecture morale des Écritures, Garrison soutenait également une posture pacifiste et non-résistante, affirmant que la lutte devait se mener par la persuasion morale plutôt que par la force[1].

Le public visé regroupait des militants abolitionnistes, des cercles religieux progressistes, mais aussi des intellectuels et activistes engagés dans les débats sociaux de l’époque. Si sa diffusion resta limitée dans le Sud esclavagiste, The Liberator rayonnait dans le Nord des États-Unis et ses textes furent repris par d’autres organes abolitionnistes comme le Herald of Freedom ou le Vermont Telegraph, contribuant à l’essor d’une véritable culture de la contestation radicale.

The Liberator et la pensée libertarienne

Dans les colonnes de The Liberator, l’abolitionnisme radical s’articule très tôt à une philosophie de la souveraineté individuelle : si chaque personne « se possède » elle-même (self-ownership), alors l’esclavage n’est rien d’autre qu’un vol total de la personne, et tout pouvoir qui l’érige en droit se discrédite lui-même. De là, nombre d’auteurs glissent d’une critique de l’esclavage à une critique générale de la coercition étatique : c’est le fil qui mène de l’abolitionnisme au courant anarchiste individualiste.

Cette convergence se lit chez Lysander Spooner, dont The Unconstitutionality of Slavery (1845) attaque l’institution au nom du droit naturel ; ses contemporains y voient déjà un « no-governmentalism » en germe. Autour du journal, une constellation d’abolitionnistes (Josiah Warren, Stephen Pearl Andrews, Lysander Spooner, Ezra Heywood) prolonge l’idée : si l’État peut légaliser l’esclavage, il peut légaliser toute oppression ; il faut donc saper sa légitimité à la racine. D’où le refus du vote, des partis et des charges publiques chez les Garrisonians de la New England Non-Resistance Society : la réforme doit procéder par suasion morale[2] et non par la conquête du pouvoir.

La figure la plus emblématique de ce tournant dans The Liberator est Charles Lane. En 1843, ses sept lettres sur « A Voluntary Political Government » y défendent une société où les services, y compris l’éducation, les routes, l’assistance, la poste, seraient assurées par des arrangements volontaires plutôt que par l’impôt et le monopole (Charles Lane, The Liberator, 1843). Cohérent, Lane refuse les impôts et l'urne. Il est brièvement arrêté pour une taxe de capitation impayée en 1843, et fait de l’anti-politique un principe d’hygiène morale (The Liberator, 29 déc. 1843 ; Cummins, 1967). Par capillarité, ces idées nourrissent Henry Thoreau (qui connaissait Bronson Alcott et Charles Lane) et sa « Désobéissance civile », où le citoyen retire son consentement et l’agent public sa charge : la « révolution » s’accomplit sans violence.

Ces thèses suscitent aussi la discussion conceptuelle : peut-on parler d’un « gouvernement volontaire » sans contradiction ? Des lecteurs comme Nathaniel Peabody Rogers et A. Brooke objectent qu’un gouvernement qui n’a plus la contrainte n’est plus un gouvernement, mais une association parmi d’autres (Rogers, Herald of Freedom, 24 mars 1843). La question annoncera les solutions ultérieures : Gustave de Molinari propose dès 1849 la concurrence des agences de sécurité ; plus tard, Auberon Herbert prône la taxation volontaire ; au XXᵉ siècle, Murray Rothbard et les époux Tannehill systématisent la critique du monopole étatique de la protection. En parallèle, le jeune Herbert Spencer (1842) étend l’analogie de la liberté religieuse : ce que l’État n’a pas à faire dans l’âme (Église), il n’a pas davantage à le faire dans l’école, la santé ou l’économie.

Ainsi, The Liberator ne fut pas seulement l’organe de l’abolition immédiate : il a servi de plaque tournante où l’antiesclavagisme s’adosse à une théorie de la non-coercition, donnant forme, par Lane, Spooner et les non-résistants, à une généalogie libertarienne qui marquera durablement la pensée américaine.

Thèmes principaux développés dans The Liberator

  • . Abolition immédiate. Dans la ligne éditoriale fixée par William Lloyd Garrison, The Liberator présente l’esclavage comme un vol de la souveraineté humaine, la négation du droit de chaque personne à se posséder elle-même, et exige son abolition immédiate et inconditionnelle, sans étapes transitoires ni compromis législatifs. Cette position « immediatist » s’appuie sur une éthique du droit naturel et sur l’idée que toute tolérance institutionnelle de l’esclavage délégitime l’ordre politique qui le protège (Lysander Spooner, The Unconstitutionality of Slavery, 1845).
  • . Non-participation politique. Garrison et ses partisans refusent le vote, les fonctions publiques et l’engagement partisan : participer, c’est reconnaître l’autorité d’un État qui maintient l’esclavage. La stratégie privilégiée est celle de la persuasion morale (moral suasion) plutôt que de la conquête électorale, conformément aux positions de la New England Non-Resistance Society[3]. L’objectif est d’ôter au pouvoir son fondement premier, le consentement, plutôt que d’occuper ses institutions.
  • . Pacifisme et non-violence. Le journal rejette la coercition, y compris au service d’une cause juste : la fin ne saurait jamais justifier des moyens violents. Cette éthique, nourrie par un christianisme non-résistant, structure les déclarations et les résolutions des non-résistants dans les pages du journal. La réforme véritable doit convertir les consciences, non vaincre des adversaires.
  • . Réflexions élargies sur l’État et la société. Au-delà de l’abolition, The Liberator ouvre un débat de principe sur l’État. Les lettres de Charles Lane (1843)[4] y défendent l’idée d’un « gouvernement volontaire » et examinent, secteur par secteur, ce que des arrangements libres pourraient assurer sans impôt ni monopole : propriété, éducation, secours aux pauvres, routes, poste, banques, justice. Ensemble, ces contributions dessinent la vision d’une société fondée sur des relations volontaires et non imposées, qui marquera la généalogie libertarienne.

L’impact intellectuel de The Liberator

  • . Un carrefour d’idées radicales. Plus qu’un simple organe abolitionniste, The Liberator devient un nœud de circulation entre abolition, anarchisme individualiste et volontarisme. Autour de Garrison et de la New England Non-Resistance Society, le journal accueille des textes qui relient le self-ownership (propriété de soi) à la dénonciation de toute coercition légale. Les lettres de Charles Lane (1843) y proposent une société fondée sur des institutions volontaires, tandis que Lysander Spooner attaque l’esclavage au nom du droit naturel et y voit déjà la remise en cause du gouvernement fondé sur la force.
  • . Influence sur Thoreau, Emerson, Alcott. Par capillarité, ce milieu nourrit Henry Thoreau, Ralph Waldo Emerson et Bronson Alcott. La « Désobéissance civile » de Thoreau (1849) prolonge l’esprit non-résistant et le refus de l’impôt déjà débattus dans et autour du journal (arrestations d’Alcott en 1843 et de Thoreau en 1846), en affirmant qu’une réforme authentique procède du retrait du consentement plutôt que de la conquête du pouvoir. Chez Emerson, l’essai « Politics » (1844) revisité à la lumière de ces débats explore la possibilité d’un ordre civil sans « code de force », où les fins publiques seraient assurées par la coopération volontaire. Alcott, pour sa part, incarne la cohérence non-résistante défendue par The Liberator.
  • . Débat sur le rôle de l’État. La critique de l’esclavage y débouche logiquement sur une critique générale de la légitimité de l’État : si l’État peut légaliser l’inhumain, sa prétention à l’autorité morale vacille. D’où un proto-libertarianisme naissant : contestation de l’impôt, du monopole de la justice et des fonctions « publiques » (école, routes, poste) au profit d’arrangements libres. En parallèle, le jeune Herbert Spencer (1842) étend l’analogie de la liberté religieuse à l’école, à la santé et à l’économie : ce que l’État ne doit pas faire à l’âme, il ne doit pas davantage le faire aux corps et aux biens (Spencer, « The Proper Sphere of Government », 1842).
  • . Un héritage durable. Cette matrice intellectuelle irrigue la fin du siècle : Auberon Herbert popularise la taxation volontaire (Free Life), Gustave de Molinari théorise la concurrence des agences de sécurité (1849), et Murray Rothbard systématise la critique du monopole étatique de la protection (1962 ; 1970). The Liberator apparaît ainsi comme le chaînon entre l’abolitionnisme radical et le libertarianisme moderne, via la mise en forme d’une politique de la non-coercition.

Bibliographie

  • 1966, Truman Nelson, dir., "Documents of Upheaval: Selections from William Lloyd Garrison’s The Liberator, 1831-1865". New York: Hill and Wang
  1. Lewis Perry, Radical Abolitionism, 1973
  2. La suasion morale (moral suasion) désigne l’appel à la conscience et au sens moral d’un individu ou d’un groupe pour modifier un comportement, plutôt que le recours à la contrainte légale ou à la force. William Lloyd Garrison et les sœurs Grimké (Angelina et Sarah) l’ont utilisée dans le mouvement abolitionniste américain du XIXᵉ siècle. Leur stratégie consistait à convaincre la société que l’esclavage constituait une violation de la dignité humaine et des droits naturels, plutôt que de chercher d’abord des réformes par la voie politique. La suasion morale repose sur l’idée que la fin ne justifie pas les moyens ; le changement véritable doit passer par la conversion volontaire des consciences, et non par la coercition. Le terme est aussi utilisé, dans l’économie politique moderne, pour décrire les exhortations d’un gouvernement ou d’une banque centrale visant à influencer les comportements économiques (par ex. limiter l’inflation ou orienter le crédit) sans loi contraignante , ce qu’on appelle parfois jawboning ou nudge. Cette forme est fortement critique car elle mêle persuasion et menace implicite.
  3. William Wiecek, The Sources of Antislavery Constitutionalism in America, 1760-1848, Ithaca: Cornell University Press, 1977 ; The Liberator, 1er October 1841, p3, "Third Annual Meeting of the New England Non-Resistance Society"
  4. Charles Lane, 1843, « A Voluntary Political Government », The Liberator, mars-juin 1843