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Opportunisme

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L’opportunisme désigne un courant, une méthode et un programme qui caractérisent les fondateurs de la Troisième République. Il marque l’abandon du messianisme révolutionnaire, au profit de principes d’ordre et de modération plus proches du libéralisme. Sa principale figure et son grand inspirateur est Léon Gambetta.

Le terme désigne par la suite une ligne de conduite politique qui détermine l'action à mener à partir des circonstances seules, sans principe établi ; dans sa forme extrême, il s'agit d'une aptitude du politicien à saisir toutes les occasions avantageuses pour lui.

Le parti républicain en 1871

Une nouvelle image pour les républicains

1793 et 1848 avaient donné une image très négative des républicains : esprits chimériques, utopistes, violents, tumultueux, ennemis de l’ordre, de la liberté, de la propriété, de la famille et de la religion. Après la chute de Napoléon III, les républicains vont opérer une révision fondamentale de leur attitude et de leur programme. Le discours de Bordeaux par Gambetta (20 juin 1871) va devenir le texte fondateur des opportunistes : la modération et la sagesse deviennent leur ligne de conduite. La violence est définitivement abandonnée comme mode d’expression politique. Le programme républicain vise à l’établissement des libertés politiques : liberté absolue du suffrage universel, sans pression administrative, liberté totale d’expression, liberté de réunion, liberté d’association. Mais cette liberté est cependant déniée aux congrégations religieuses, adversaires de la République. Les républicains se considèrent désormais comme les fils de 89 et non de 93, la Terreur étant passée sous silence.

Les vieilles barbes de 48

Les hommes de 1848 auréolés du souvenir de leur passé, cherchent à s’imposer à la tête des républicains mais l’exil leur a définitivement ôté le sens des réalités politiques. « Apôtres d’un évangile qui n’avaient plus cours, ils étaient un peu comme les ombres des Champs-Élysées, vénérés par les uns, salués avec déférence par les autres ou simplement regardés avec curiosité » (Émile de Marcère, Histoire de la république de 1876 à 1879). Le seul survivant de la Seconde République qui jouit d’une bonne réputation est Jules Grévy qui fait figure de constitutionnaliste expérimenté. Il personnifie le refus du pouvoir personnel. Il avait condamné le gouvernement de Défense nationale pour son illégalité.

Une nouvelle génération républicaine

La nouvelle génération « née entre le 2 décembre et l’invasion » impatiente d’agir sous l’Empire regardent d’un œil critique les « fruits secs des anciens temps » (Vermorel). Gambetta devient en 1869 le chef de cette nouvelle génération et son programme de Belleville celui des républicains. Le programme affirme la primauté du politique. Il appelle à la suppression des armées, l’élection des fonctionnaires, la réforme de l’impôt, la séparation de l’église et de l’état, l’instruction primaire laïque, gratuite et obligatoire et réclame les libertés des élections, de réunion, d’association et de commerce. Néanmoins son comportement autoritaire et sa volonté d’empêcher les élections pendant la Défense nationale heurte certains républicains tels Jules Ferry. Les opportunistes sont issus pour la plupart de la petite bourgeoisie. Ils se sont formés en luttant par la plume contre Napoléon III.

La République selon Gambetta

L'anticléricalisme

Le ralliement passager de l’Église au Second Empire, la question romaine et la période de l’Ordre Moral ravivent l’anticléricalisme républicain. Catholicisme et République paraissent exclusifs. Le 4 mai 1877, Gambetta lance son fameux : « Le cléricalisme ? Voilà l’ennemi ! » Il n’est pourtant pas un libre penseur et refuse de se rallier à une politique antireligieuse : il distingue la religion, les catholiques et le prêtre français qu’il oppose au « parti clérical» constitué par les jésuites et les congrégations. L’antijésuitisme est la manifestation la plus éclatante de cet anticléricalisme. Les jésuites sont accusés d’immoralité, de mensonge, de vol et d’assassinat mais aussi d’être des agents de l’étranger : « Invisibles et présents, ils sont partout et ne sont nulle part » écrit Dionys Ordinaire dans la Petite République française.

Le patriotisme

Les républicains ont rompu avec l’idée de la Grande Nation missionnaire de la liberté et préconisent la suppression des armées permanentes. Gambetta hostile à l’idée d’Etats-Unis d’Europe, exalte l’amour de la patrie : « Il y a quelque chose de supérieur à la République, de supérieur à la liberté de pensée : c’est la France » déclare-t-il à Périgueux (28 septembre 1873). La Revanche apparaît dans ses discours : « Pensons sans cesse à ce que nous avons à faire, mais n’en parlons jamais ». (Chambéry, 24 septembre 1872). La grande figure de la Révolution n’est ni Mirabeau, ni Danton mais Hoche, personnification de la République en armes. Cependant, La France doit « abandonner son esprit de propagande exagérée, de prosélytisme excessif ». : elle doit être une « république ordonnée, recueillie, pacifique, libérale (…) la politique extérieur d’une République française comporte, exige, impose la nécessité de respecter la constitution des autres peuples, quelle qu’elle soit ». (Lyon, 28 février 1876)

Le pragmatisme

Plus qu’une doctrine, l’opportunisme est une méthode : il faut procéder avec prudence, progressivité et pragmatisme. Les intransigeants accusaient Gambetta d’opportunisme, il choisit d’assumer le terme dans son discours de Belleville (27 octobre 1876). Gambetta en 1874 s’efforce de rallier les libéraux du centre droit appelant à la formation d’un grand parti conservateur : « que les anciens libéraux prennent le parti honnête et profitable de revenir à la liberté ». Par là, il renonce au projet républicain d’assemblée unique mais aussi au refus de la présidence de la république, non sans réticence dans le camp républicain. En effet, présidence et Sénat apparaissent comme un pis-aller que l’on souhaite réviser au plus vite. Gambetta cependant fait sienne la théorie des contre-pouvoirs et joue un rôle important dans le ralliement des républicains aux lois constitutionnelles.

Un libéralisme limité

La république des petits propriétaires

Gambetta voit la République comme le régime de la petite propriété : « Nous sommes un peuple de paysans, un peuple de travailleurs, un peuple de petits patrons et de petits propriétaires, un peuple d’épargneurs. » (24 mai 1878) Jules Ferry écrit à son frère : « la république sera paysannesque ou ne sera pas. (…) Ce sera plus bourgeois encore que les censitaires du père Philippe. » Gambetta nie l’existence d’une « question sociale » et se montre hostile au collectivisme. Les opportunistes ne croient pas que l’on modifie la société par décret mais lentement, graduellement. L’État doit cependant légiférer en matière d’assurance concernant la maladie, la misère, le chômage et les « incertitudes de l’existence ». Il ne doit pas se substituer aux personnes mais plutôt encourager les initiatives visant à créer des sociétés de secours mutuels, des caisses de retraite, etc.

L'école laïque

L’école ne dit pas seulement diffuser l’instruction mais de permettre à chacun de s’élever par « son travail et son mérite personnel ». La liberté de l’enseignement permet aux congrégations de faire du prosélytisme contre les principes de la Révolution. L’enseignement doit être obligatoire, laïque et gratuit. L’école doit former des patriotes et des citoyens.

Un État centralisé

Sous l’Empire, un grand nombre de républicains avaient prôné la décentralisation. Dès 1876, Gambetta affiche son admiration de l’organisation de l’État français et déclare en 1878 : « je suis pour l’unité, pour la centralité française ». Les impôts sont vus comme l’instrument d’une plus grande justice sociale. Gambetta préconise l’allègement de la fiscalité indirecte sur la consommation courante et l’instauration d’un impôt sur le revenu.

Entre libre-échangisme et étatisme

Hostiles au libre-échange par antibonapartisme et patriotisme, les opportunistes voient leur position évoluer et se montrent assez divisés sur la question. Gambetta considère en 1878 la liberté du commerce comme facteur de paix et de travail. Scheurer-Kestner estime que des droits de douane trop élevés sont un mauvais service rendu à l’industrie et à l’agriculture qui sont « délivrées du souci de faire des progrès ». Jules Ferry en revanche se prononce pour le relèvement des droits. Les républicains, depuis la monarchie de Juillet, étaient très méfiants à l’égard des milieux d’affaires et du capitalisme. En 1872, les opportunistes mènent campagne en faveur de la nationalisation des chemins de fer. Allain-Targé en 1877 défend « l’intérêt public » contre « l’intérêt privé du dividende ». Il critique les grandes compagnies et défend les petites compagnies. Le plan Freycinet (1879)[1] prévoit le rachat et l’achèvement des lignes de dix compagnies secondaires ainsi que des travaux concernant les voies navigables et les ports maritimes. Ce programme inaugure une formule originale de capitalisme d’État.

Les réseaux républicains

Les associations

Les républicains s’appuient sur un certain nombre d’associations. Les sociétés d’enseignement dont la Ligue de l’enseignement, fondée en 1866 par Jean Macé, qui milite pour l’instruction obligatoire et gratuite. Dans les années 1880, l’appartenance à la Ligue est devenue signe de républicanisme. D’autres associations mènent un action assez proche en diffusant des brochures, organisant des cours et instituant des prix tels la Société d’instruction élémentaire (1870) et l’Association philotechnique. Toutes visent à contrer l’école congréganiste. Les associations patriotiques comme la Société des volontaires de 1870-71 et les sociétés sportives de tir et de gymnastique proches du gambettisme vont dans les années 1880 se rapprocher de la mouvance nationaliste. L’Association générale d’Alsace-Lorraine (1871) apporte un soutien financier aux républicains. De nombreuses associations professionnelles sont également des relais du parti républicain.

La franc-maçonnerie

Les sociétés de libre pensée revendiquent la reconnaissance des enterrements civils qui prennent la forme de manifestations anticléricales et républicaines. La franc-maçonnerie avait été investie par les républicains sous l’Empire, étant le seul lieu où il était possible de s’exprimer librement. Mais c’est surtout l’aile gauche de l’opportunisme qui est initiée, Gambetta et ses amis étant beaucoup plus tièdes. Dans les années 1870 les loges s’affirment publiquement : en 1875 l’initiation de Ferry, Littré et Chavée est organisée comme une grande manifestation publique des liens entre maçons et républicains.

La presse populaire

Les journaux constituent une autre arme utilisée par les opportunistes. La presse populaire est alors en plein essor. La République française est fondée en 1871 par Gambetta avec l’appui financier des Alsaciens et des Lorrains. Challemel-Lacour assure la coordination de chaque numéro et inspire la ligne modérée du journal. Sa gravité et son austérité visent à transformer l’image du parti républicain : « fermeté dans les principes, modération dans le langage ». Par ses contacts avec de nombreux journaux de province, la République française joue le rôle d’une agence de presse : « la presse de province vit de nos articles » se félicite Gambetta en 1874. Trop élitiste, comparée au Journal des Débats, la République française se voit reprocher d’être un journal de notables. Aussi crée-t-on une feuille populaire à un sou (5 centimes), la Petite République française (1876) largement diffusée dans le monde rural : cet outil de pédagogie républicaine est confié à Dionys Ordinaire. En 1880, c’est le second quotidien français avec près de 200 000 exemplaires. Il contribue efficacement à enraciner la république dans les campagnes. D’autres journaux expriment la position des républicains modérés non gambettistes : Le Siècle, ancien journal d’opposition libérale sous l’Empire, dont le tirage est supérieur à celui de la République française en 1880 mais aussi Le Télégraphe créé en 1877.

Les lieux de sociabilité

Il convient enfin de souligner le rôle des lieux de sociabilité : les cafés (le café Frontin boulevard Poissonnière) les cercles (Cercle républicain de la Seine au Palais Royal fondé en 1871) et les salons (salon de Juliette Adam, boulevard Poissonnière)

Citations

  • Opportuniste ! Ah ! messieurs c’est un vilain mot : Gambetta ne le supportait pas. Moi, je le trouve odieux ! Il est mal fait, c’est son moindre défaut. Et puis, qu’est-ce à dire ? l’opportunisme, c’est une méthode, et une très bonne méthode, mais une méthode plutôt qu’un parti. Ce fut la réaction systématique et nécessaire de l’esprit de gouvernement contre son contraire, que je me permettrai d’appeler tout simplement l’esprit brouillon (...) l’esprit de désordre et d’intransigeance (...), ce qui est l’écueil, le péché mignon des partis révolutionnaires lorsque le pouvoir leur tombe dans les mains. (Jules Ferry, 13 mars 1891)
  • Les grandes puissances n'ont pas de principes, seulement des intérêts. (Henry Kissinger)
  • Il faut être ferme sur les principes, et souple avec les hommes. (Antonio Salazar)
  • Être dans le vent : une ambition de feuille morte. (Gustave Thibon)
  • Pour les politiques, les principes ne sont rien, le succès est tout. (Yves Guyot)
  • Un homme qui se vante de ne jamais changer d'opinion est un homme qui se charge d'aller toujours en ligne droite, un niais qui croit à l'infaillibilité. Il n'y a pas de principes, il n'y a que des événements ; il n'y a pas de lois, il n'y a que des circonstances ; et l'homme supérieur les épouse pour les conduire. S'il y avait des principes et des lois fixes, les peuples n'en changeraient pas comme nous changeons de chemise. L'homme n'est pas tenu d'être plus sage que toute une nation. (Vautrin donnant conseil au jeune Eugène de Rastignac, d'après Balzac)
  • Ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent. (Edgar Faure)

Sources

  • Jérôme Grévy, La République des opportunistes, Perrin 1998, 415 p.
  • Léo Hamon (dir.), Les opportunistes : les débuts de la République aux républicains, Entretiens d'Auxerre 1986, Paris 1991, 323 p.


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  1. David Le Bris, 2012, "Les grands travaux du plan Freycinet : de la subvention à la dépression ?", Entreprises et histoire, Vol 4, n°69, pp8-26