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Capital patient
Le capital patient est un financement à horizon long, faiblement liquide, conçu pour faire mûrir des projets jusqu’à une valeur durable c'est à dire attendre que le projet atteigne des résultats stables et soutenables, fondés sur de vrais fondamentaux (revenus et impact récurrents), sans artifices temporaires. Issu d’acteurs capables d’attendre (des fonds evergreen, des caisses de retraite, des family offices), il soutient la deeptech, l’industrie, les infrastructures et le climat. Son fil conducteur repose sur une gouvernance rigoureuse, des jalons clairs et des incitations alignées sur le temps long.
Définir le capital patient en termes autrichiens
Le cadre de l'école autrichienne d'économie part d’une idée simple : le taux d’intérêt constitue le prix du temps. Il traduit la préférence temporelle des individus, c’est-à-dire leur manière d’arbitrer entre consommation immédiate et consommation future. Quand cette préférence temporelle s’abaisse, l’épargne augmente et rend possible un engagement patient du capital. La patience se lit donc dans les faits : des épargnants acceptent d’attendre, et ce signal oriente les ressources vers des projets à maturation longue.
Avec Eugen von Böhm-Bawerk, la patience prend une forme concrète : la structure du capital s’allonge par des « détours productifs ». En d’autres termes, une économie qui dispose d’épargne réelle peut adopter des procédés plus longs (outillage plus sophistiqué, R&D, industrialisation) parce que l’attente trouve un financement. Ces détours accroissent la productivité et, à terme, le niveau de vie.
Sur le plan sémantique, “patient” renvoie à une allocation adossée à l’épargne réelle et au calcul économique. Il s’agit d’un capital engagé volontairement, avec une exigence de rendement cohérente avec le risque et la durée, une gouvernance rigoureuse et des jalons de création de valeur. L’idée clé : la patience n’est pas indulgence ; elle signifie discipline de long terme, soutenue par des prix qui informent correctement et par des investisseurs prêts à laisser le temps produire ses effets.
Cadre éthique : légitimité vs. illégitimité de la « patience »
La patience légitime naît de l’échange volontaire entre des propriétaires consentants. Elle prend la forme d’actions de long terme, d’obligations très longues où l’on accepte d’attendre parce qu’un contrat clair encadre les droits, les risques et les rendements. Ici, la durée s’appuie sur une épargne réelle et sur des engagements librement assumés ; la gouvernance veille à la transparence, aux jalons, à la responsabilité.
À l’inverse, une pseudo-patience apparaît lorsque la durée s’obtient par contrainte ou privilège. L’impôt réoriente des ressources sans consentement direct ; l’inflation dilue la valeur de l’épargne et finance subrepticement des projets qui vont échouer ; les garanties implicites et des sauvetages publics, quoi qu'il en coûte, socialisent les pertes, faussent le signal des prix et encouragent l’aléa moral. Cette « patience » repose moins sur la confiance contractuelle que sur la puissance publique, au risque d’évincer l’épargne authentique et de mal allouer le capital.
Conséquence morale : la fin, un horizon d’investissement plus long, n’autorise aucune entorse aux droits. Seule la patience issue du consentement, de la propriété et de la responsabilité respecte à la fois l’éthique et l’efficience. Le test est simple : l’allocation résisterait-elle sans privilège ni coercition ? Si oui, elle relève d’une patience légitime ; sinon, elle s’écarte du juste comme du durable.
Institutions pro-patience dans un ordre volontaire
Une monnaie prévisible, une propriété protégée, une fiscalité neutre, une liberté d’innover en finance et des assurances concurrentielles composent un écosystème où la patience devient un choix rationnel, et donc une ressource abondante pour les projets à maturation longue.
- Monnaie saine et libre concurrence monétaire. Quand le pouvoir d’achat reste prévisible, les calculs à dix ou vingt ans cessent d’être des paris. Des monnaies robustes, qu’elles soient indexées, adossées à des actifs ou simplement disciplinées par la concurrence, stabilisent le prix du temps et rendent finançables des « détours productifs » plus longs. Les entrepreneurs peuvent planifier l’outillage, la R&D et l’industrialisation sans sur-couvrir le risque d’inflation avec des instruments financiers coûteux.
- Droits de propriété stables et exécution contractuelle. La patience naît d’abord de la sécurité juridique. des titres de propriété clairs, un cadastre fiable, un arbitrage rapide, une exécution des jugements sereine sont autant d’éléments qui réduisent la prime de risque de durée. Lorsqu’un investisseur sait qu’un contrat sera appliqué et qu’un préjudice sera réparé, il accepte des maturités plus longues et des phases d’amortissement étirées.
- Fiscalité minimale et neutre. Une architecture fiscale qui n’érode pas l’épargne longue encourage la capitalisation patiente. une neutralité fiscale intertemporelle, une absence d’imposition sur les plus-values non réalisées, un traitement équitable des dividendes et des réinvestissements : ces règles protègent le rendement différé et évitent de pousser artificiellement vers des rotations rapides d’actifs. La discipline budgétaire publique rend cette neutralité crédible dans le temps.
- Libre entrée financière. L’innovation contractuelle allonge l’horizon quand les acteurs peuvent créer des titres adaptés à la durée : des actions perpétuelles, des obligations de très long terme, revenue-based financing[1], des marchés secondaires privés pour offrir des fenêtres de liquidité sans forcer la sortie des projets. Moins de carcans procéduraux, plus de standards de transparence : la variété des instruments épouse la variété des besoins.
- Assurances sociales privatisées et mutualisme concurrentiel. Des retraites capitalisées, des mutuelles et des fonds concurrents canalisent l’épargne vers des actifs longs par incitation, pas par contrainte. Les gestionnaires sont jugés sur la solidité intergénérationnelle et la cohérence du risque avec le rendement, ce qui favorise les placements stables (infrastructures, fonciers, participations industrielles) et une gouvernance attentive aux jalons de la création de valeur.
Politiques publiques « patientes » : critique libertarienne
L’État se présente volontiers comme un investisseur patient chargé d’allonger l’horizon collectif. Pour les auteurs libertariens, c’est un contresens d’incitations et de connaissance : la « patience » obtenue par la contrainte (impôt, inflation, privilèges) remplace la discipline du contrat par la sélection politique, brouille le signal des prix et finit par raccourcir l’horizon réel. Murray Rothbard souligne l’illégitimité des moyens ; David Friedman pointe l’absence d’incitations à bien dépenser « l’argent des autres » ; Walter Block, Hans-Hermann Hoppe, Linda et Morris Tannehill et Edward Stringham détaillent comment cette substitution mine la découverte entrepreneuriale et la responsabilité.
- . Banques publiques / fonds stratégiques : la sélection politique remplace le test de marché. Banques d’investissement publiques[2], fonds « souverains » sectoriels[3], guichets « d'intérêts nationaux »[4] : sur le papier, ils financent ce que le privé jugerait trop long. En pratique, la sélection se fait selon des critères politiques (emplois visibles, géographie électorale, prestige technologique) et non selon la profitabilité corrigée du risque. Le coût du capital est artificiellement abaissé ; les pertes potentielles sont socialisées ; la discipline des sorties est faible (soft budget constraint)[5]. Ces mécanismes évincent les investisseurs véritablement patients, ceux qui exigent une gouvernance rigoureuse et des jalons clairs, et favorisent la connivence entre les décideurs et les bénéficiaires. Edward Stringham rappelle qu’il existe des mécanismes privés de gouvernance et de certification du risque de long terme (assureurs, bourses privées, partenariats d’infrastructure) qui, eux, supportent la sanction des pertes. Pour Walter Block, si un projet mérite vingt ans, il doit pouvoir convaincre des épargnants volontaires ; sinon, la « patience » publique n’est qu’un camouflage de mauvaise allocation.
- Industrialisation « verte » dirigée : verrouillage technologique et rendements masqués. La transition énergétique est un terrain typique où l’État « choisit » des filières, fixe des quotas, subventionne des chaînes complètes. La critique libertarienne n’est pas anti-environnementale : elle vise le dirigisme technologique. Quand les pouvoirs publics imposent une trajectoire unique, ils verrouillent des solutions peut-être sous-optimales, masquent des rendements privés négatifs par des subventions récurrentes et empêchent la concurrence de tester d’autres combinaisons (stockage de l'énergie, nucléaire avancé, marchés de capacités, contrats privés à long terme). Hans-Hermann Hoppe insiste : l'incertitude réglementaire et la fiscalité instable élèvent la préférence temporelle des acteurs, donc elles raccourcissent l’horizon. Le couple Tannehill met en avant des alternatives volontaires : des droits de propriété définis, la responsabilité civile pour les dommages mesurables, des contrats d’assurance et de performance environnementale, des marchés de long terme entre producteurs et acheteurs. Ici encore, la « patience » authentique vient de prix non manipulés, de titres longs et d’une responsabilité claire, pas d’un pilotage politique des choix techniques.
- L’État « investisseur de dernier ressort » : aléa moral et effacement du signal-prix. Erigé en sauveteur permanent (banques, grandes entreprises, secteurs « stratégiques »), l’État installe une assurance implicite. Anticipant le sauvetage, les acteurs prennent plus de risques, externalisent les pertes et exigent moins de rendement pour la durée : c’est l’aléa moral. David Friedman résume le problème d’incitation : dépenser l’argent des autres pour les autres supprime le lien entre la décision et les conséquences. Murray Rothbard ajoute l’enjeu de légitimité : ces transferts violent la propriété des non-bénéficiaires. Walter Block et Hans-Hermann Hoppe notent que le sauvetage brouille les signaux de faillite (prix, spreads[6], faillites ordonnées[7]) qui, en temps normal, purgeraient les malinvestissements et libéreraient du capital vers des usages plus productifs. Pourtant, des substituts de marché existent : les mises en faillite pré-packagées[8], les chambres de compensation privées[9], les contingents convertibles[10], les consortiums d’assureurs de liquidité[11], autant de mécanismes où la perte n’est pas socialisée et où la patience doit être gagnée par la qualité des collatéraux et des cash-flows.
En somme, pour la tradition libertarienne, la vraie « patience » ne se décrète pas : elle émerge d’une monnaie prévisible, de droits de propriété sûrs, d’une fiscalité neutre et d’une libre entrée financière qui permet d’inventer des titres longs adaptés aux projets. Dès que la politique remplace la preuve par le prix et le contrat, la patience devient posture : coûteuse pour tous, et, paradoxalement, impatiente dans ses effets.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Le revenue-based financing (RBF) est un financement où l’investisseur avance une somme aujourd’hui et se fait rembourser par un pourcentage fixe du chiffre d’affaires mensuel jusqu’à atteindre un plafond total (le cap, par ex. 1,3× à 1,8× l’avance).
- ↑ Ce sont des banques détenues par l’État qui financent des projets jugés d’intérêt général (infrastructures, innovation, PME) via des prêts, des garanties ou des prises de participation, souvent à des conditions bonifiées et avec des objectifs politiques.
- ↑ Ce sont des fonds d’investissement publics dédiés à un secteur précis (énergie, tech, infrastructures, etc.). Ils mobilisent l’épargne de l’État (recettes de ressources, excédents, endettement) pour co-investir, prêter ou prendre des participations et structurer la filière sur le long terme.
- ↑ Ce sont des programmes publics de financement (appels à projets/guichets) dédiés à des priorités “d’intérêt national” : on y dépose un dossier pour obtenir des subventions, des prêts ou des garanties, selon des critères fixés par l’État (souveraineté nationale, emploi, transition énergétique, etc.).
- ↑ Soft budget constraint : situation où un acteur s’attend à être renfloué en cas de pertes, donc il dépense trop et prend plus de risques (ex. entreprises publiques subventionnées, banques “too big to fail”).
- ↑ Les spreads sont le thermomètre du risque et de la liquidité : plus ils s’écartent, plus le marché perçoit de risque ou moins la liquidité est abondante. Quand l’État offre des garanties ou prévoit des renflouements, il compresse artificiellement ces écarts : le risque paraît plus faible qu’il ne l’est, ce qui encourage l’aléa moral et peut conduire à une mauvaise allocation du capital. Credit spread = rendement d’une obligation d’entreprise − rendement d’un titre d’État de même maturité. Exemple : État 10 ans à 2,0 % vs entreprise BBB 10 ans à 6,0 % → spread = 4,0 pts (400 bps). Si l’État garantit/renfloue, le rendement privé peut tomber à 3,5 % → spread = 1,5 pt (150 bps), sans baisse réelle du risque : le signal-prix est faussé.
- ↑ Une faillite ordonnée est une procédure d’insolvabilité planifiée et encadrée (par un tribunal ou une autorité de résolution) qui vise à traiter la défaillance d’une entreprise sans chaos : on protège ce qui peut fonctionner, on répartit les pertes selon la hiérarchie des créanciers, et on évite l’effet domino.
Concrètement, cela signifie :
- Gel temporaire des poursuites pour éviter la panique et garder l’activité en marche.
- Plan de restructuration : cessions d’actifs, renégociation de dettes, éventuellement conversion de dettes en actions (bail-in).
- Continuité des fonctions essentielles (clients, salariés clés, contrats utiles), puis liquidation ordonnée de ce qui n’est pas viable.
- Respect des rangs (salariés, sûretés, obligataires, actionnaires) afin d’allouer les pertes de façon prévisible.
- ↑ Une faillite “pré-packagée” (prépack) est une restructuration déjà négociée avec les principaux créanciers avant le dépôt au tribunal : on dépose le plan et les votes en même temps, ce qui accélère l’homologation, réduit les coûts/incertitudes et préserve l’activité.
- ↑ Des organismes privés qui s’interposent entre acheteurs et vendeurs pour garantir le règlement : ils font la compensation (netting) des positions, exigent des marges, gèrent un fonds de défaut et appliquent des règles de risque afin de limiter le risque de contrepartie.
- ↑ Des obligations convertibles contingentes (CoCos) : titres qui se transforment en actions (ou sont amorties) si un seuil est franchi (ex. ratio de capital trop bas). Objectif : absorber les pertes et renforcer automatiquement les fonds propres, surtout pour les banques.
- ↑ Des consortiums d’assureurs de liquidité sont des groupes privés (banques, assureurs, fonds) qui mutualisent des engagements pour fournir rapidement du cash à une entreprise, un fonds ou un marché en cas de tension.