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Moloch
Comme le Moloch antique dévorait ses victimes, l’État absorbe les ressources et l’énergie de la société par la contrainte. Moloch ou Molech était une divinité dont le culte était pratiqué dans la région de Canaan. Il apparaît dans la Bible lorsque des enfants lui sont sacrifiés par le feu pour le nourrir. Cette métaphore souligne l’idée libertarienne que l’État n’existe qu’en se nourrissant du travail et de la liberté des individus.
Origine et sens de la métaphore du « Moloch »
Dans l’Antiquité proche-orientale, Moloch est évoqué comme une divinité à laquelle on attribue des sacrifices d’enfants. Peu importe que les pratiques réelles aient été ou non telles que décrites : ce qui demeure dans la mémoire collective est l’image d’une exigence sacrificielle absolue. Dès lors, Moloch est devenu dans l’imaginaire un symbole d’entité insatiable, qui réclame toujours davantage sans jamais se contenter.
La littérature a largement exploité cette figure. Dans Paradise Lost, Milton décrit Moloch comme un démon belliqueux appelant à la guerre totale. Plus près de nous, Allen Ginsberg, dans son poème Howl (1956), s’écrie « Moloch ! » pour désigner la mécanisation sociale, la ville-machine qui dévore les âmes à travers le travail aliéné, la froide rationalité et le béton des métropoles. Dans le langage courant, employer le terme « Moloch » revient donc à dénoncer un système qui consomme des vies, du temps ou des ressources sans jamais être rassasié. On l’emploie par exemple pour critiquer une industrie polluante, une bureaucratie tentaculaire ou encore une guerre interminable.
Cette métaphore a été transposée au domaine politique, notamment par la pensée libertarienne. L’État moderne y apparaît comme un organisme qui ne survit qu’en imposant des sacrifices à la société. La conscription durant les guerres mondiales, qui a réquisitionné des millions de vies et limité la liberté de mouvement au nom de la raison d’État, en est une illustration. De même, les « impôts exceptionnels » instaurés lors de crises, mais qui finissent par devenir permanents, rappellent la logique de l’exigence insatiable. À travers les monopoles légaux, comme certaines licences ou barrières à l’entrée, l’État protège des rentes au détriment d’innovateurs et de consommateurs, consolidant ainsi son pouvoir.
Au-delà des finances, l’État se nourrit aussi de la liberté individuelle. L’expropriation pour la construction d’autoroutes ou de barrages (eminent domain) en fournit un exemple concret : des intérêts privés sont sacrifiés pour un objectif public décidé d’en haut. Les réglementations cumulatives imposent quant à elles des coûts et des délais qui paralysent petites entreprises et associations, tandis que la surveillance de masse exige un sacrifice plus subtil : celui de la vie privée au nom de la sécurité, avec pour conséquence un climat d’autocensure.
Ainsi, qualifier l’État de « Moloch » revient à souligner son caractère d’appareil sacrificiel : il ne se contente pas de prélever de l’argent, mais réclame aussi du temps, des opportunités et des libertés, comme autant d’offrandes nécessaires à son maintien et à son expansion. Du dieu antique, le Moloch s’est mué en image de l’État moderne, dévorant richesses et libertés. « Le Moloch, le dieu antique, c’est clairement l’État pour beaucoup de nos contemporains »[1].
Le fonctionnement du Moloch
Le Moloch étatique se maintient et prospère grâce aux moyens politiques. Contrairement aux moyens économiques, qui reposent sur le travail, la création et l’échange volontaire, les moyens politiques s’appuient sur la taxation, la coercition et les monopoles légaux. L’État ne produit rien par lui-même : il se nourrit en permanence de la richesse générée par la société productive. Chaque prélèvement fiscal, chaque contrainte réglementaire ou chaque privilège accordé par la loi fonctionne comme une ponction de cette vitalité sociale au profit de l’appareil étatique.
À ce mode de subsistance s’ajoute un cercle vicieux d’interventionnisme. Chaque intervention de l’État, loin de résoudre définitivement un problème, engendre de nouveaux déséquilibres. Ces déséquilibres appellent d’autres interventions, qui alourdissent encore le système et élargissent son champ d’action. L’histoire économique récente offre de nombreux exemples : une subvention agricole entraîne des distorsions de prix, auxquelles on répond par des quotas de production, puis par des aides au stockage ou à l’exportation, et ainsi de suite. Le mécanisme est toujours le même : au lieu de s’arrêter, l’intervention s’auto-entretient et conduit à une expansion sans fin du pouvoir de l’État.
Enfin, ce processus s’accompagne du rôle central joué par une classe dirigeante qui tire avantage du Moloch et veille à sa pérennité. Bureaucrates, politiciens et bénéficiaires de rentes publiques s’allient pour défendre leurs privilèges et maintenir l’appareil de coercition. Les subventions, les protections de marché ou les postes administratifs en sont autant d’illustrations. Ainsi se forme une coalition d’intérêts qui vit du Moloch et s’assure qu’il continue de croître, souvent au détriment de la société qu’il prétend servir.
Les conséquences sociales du Moloch étatique
Le premier effet du Moloch étatique est l’exploitation et l’appauvrissement de la société. Les richesses issues du travail libre et de l’échange volontaire ne profitent pas directement à ceux qui les produisent. Elles sont absorbées, redistribuées ou détournées selon une logique politique, où les décisions dépendent moins de l’efficacité économique que des rapports de pouvoir et d’influence. Ainsi, les producteurs voient une part importante de leurs efforts prélevée pour financer des usages qui ne correspondent pas nécessairement à leurs besoins ni à leurs intérêts.
Cette logique engendre inévitablement des antagonismes de classes. D’un côté, ceux qui profitent des moyens politiques (subventions, privilèges, monopoles) invoquent la statolâtrie. Ils trouvent dans le Moloch une source de protection et d’avantages. De l’autre, ceux qui en sont victimes supportent le poids de l’impôt, des réglementations ou des restrictions. Le résultat est un conflit permanent, non pas entre producteurs et consommateurs dans un marché libre, mais entre bénéficiaires et exploités d’un système de prédation institutionnalisé.
Enfin, le Moloch constitue une entrave majeure au développement d’une société libre. Les interventions successives créent des distorsions économiques : prix faussés, innovation freinée, ressources mal allouées. Les mécanismes naturels de coopération volontaire – l’échange, la solidarité, la créativité sont affaiblis par la dépendance aux solutions imposées d’en haut. Dans le même mouvement, l’autonomie individuelle se trouve réduite : chaque nouvelle règle, chaque prélèvement ou chaque obligation supplémentaire grignote la sphère de liberté personnelle. Peu à peu, l’individu cesse d’être acteur de sa propre vie pour devenir simple rouage dans la machine étatique.
Libérer la société du Moloch : la solution libertarienne
La solution libertarienne repose sur trois piliers simples mais essentiels : le droit des personnes, la propriété et le contrat. Ces repères assurent la protection de l’individu et la reconnaissance de sa responsabilité. Ils s’accompagnent du principe de non-agression, qui interdit d’imposer sa volonté par la force ou la coercition. En valorisant la liberté de choix et la coopération volontaire, le libertarianisme fait confiance aux ordres spontanés : laissés libres, les individus coordonnent mieux l’information, innovent plus rapidement et inventent des solutions adaptées aux besoins concrets de la société.
Comme l’écrivait Ludwig von Mises : « L'Homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intérêts à un Moloch mythique appelé Société, mais en cherchant à améliorer son propre bien-être. »[2]. Cette citation rappelle que la véritable cohésion sociale ne naît pas de sacrifices imposés à une entité abstraite, mais de la poursuite libre et responsable de l’intérêt individuel, qui se transforme naturellement en coopération bénéfique pour tous.
Faire disparaître le Moloch par des règles strictes de dégagement de l'État
Réduire l’emprise du Moloch suppose l’instauration de garde-fous précis et contraignants. Les clauses de “coucher de soleil”, par exemple, garantiraient que toute loi ou réglementation cesse automatiquement d’exister si elle n’est pas réexaminée et reconduite : cela éviterait la prolifération de normes oubliées mais toujours en vigueur. La responsabilité individuelle dans la gestion du budget public pourrait aller plus loin : les citoyens-contribuables ne se contenteraient plus de payer, ils participeraient directement à la décision en cochant sur leur feuille d’impôt les postes de dépenses prioritaires (éducation, santé, sécurité, infrastructures).
La concurrence des juridictions renforcerait aussi ce pouvoir citoyen : chaque territoire ou collectivité pourrait adapter ses choix budgétaires et réglementaires, donnant aux habitants la possibilité de comparer et même de “changer de modèle” par un droit d’opt-out local. Enfin, la transparence radicale s’appliquerait à l’ouverture des marchés régaliens : par exemple, autoriser à la marge des entrepreneurs privés à proposer des services innovants dans la sécurité, l’énergie ou l’éducation, et publier en temps réel leurs résultats. Avec l’effet de cliquet, chaque ouverture réussie deviendrait irréversible, réduisant progressivement la place du monopole étatique.
Réactiver marchés libres et société civile
La libération de la société passe par la remise en mouvement de l’initiative privée et collective. Cela suppose de lever les barrières à l’entrée qui étouffent l’innovation et la diversité. Concrètement, un citoyen souhaitant ouvrir une petite entreprise concurrente d’un service public, créer une école alternative ou lancer une association locale devrait pouvoir le faire sans se heurter à une montagne de formulaires. Le principe du « silence vaut accord » garantirait qu’en l’absence de réponse de l’administration, le projet soit automatiquement validé, encourageant ainsi l’expérimentation et la responsabilité.
Le pluralisme des services donnerait ensuite un véritable choix aux citoyens. Ils pourraient opter pour une assurance santé mutualiste, rejoindre une coopérative énergétique locale ou encore inscrire leurs enfants dans une plateforme éducative associative. Dans le même esprit, les chèques ou vouchers éducatifs et sociaux mettraient le financement directement entre les mains des usagers, qui décideraient eux-mêmes de la meilleure affectation de leurs ressources, plutôt que de dépendre d’une répartition uniforme décidée par l’État.
Enfin, le libre-échange retrouverait une place centrale grâce à la création de ports francs à l’intérieur des continents. Ces espaces ouverts sans tarifs douaniers faciliteraient les échanges transfrontaliers, stimuleraient la concurrence et redonneraient du souffle aux économies locales. En multipliant les possibilités d’acheter, de vendre et d’échanger librement, ils court-circuiteraient l’entrepreneur politique, qui prospère grâce aux subventions et aux réglementations protectrices. À sa place émergerait l’entrepreneur créateur de richesse, soutenu directement par ses clients, moteur authentique de prospérité et d’innovation.
Chasser le Moloch de la protection sociale
Chasser le Moloch, c’est retirer à l’État son monopole sur la protection sociale pour rendre aux individus la maîtrise de leurs risques en fonction de leur choix de vie. Dans un marché libre, l’assurance devient un instrument d’autonomie : compagnies privées, mutuelles et coopératives rivalisent d’efficacité et de fiabilité, offrant à chacun la possibilité de choisir une couverture adaptée. Les contrats sont comparables, portables et ajustables, et la concurrence remplace la contrainte. La liberté d’option, renforcée par des mécanismes comme les franchises ou les bonus-malus, responsabilise l’assuré plutôt que de l’asservir à une logique fiscale.
La réassurance complète ce dispositif en neutralisant l’argument classique du Moloch selon lequel seul l’État pourrait faire face aux catastrophes. Grâce au partage des sinistres, aux assurances paramétriques ou aux cat-bonds, les risques extrêmes sont mutualisés à l’échelle mondiale, permettant aux plus petites structures locales de rester viables tout en protégeant leurs membres, y compris les plus vulnérables.
Ainsi, le terrain de la protection sociale n’appartient plus à l’État-Moloch mais à une mosaïque volontaire : micro-assurances pour les modestes, mutuelles réassurées pour la dépendance, dispositifs communautaires pour l’agriculture. Loin d’un sacrifice imposé, la solidarité devient choisie, diversifiée et transparente. À mesure que s’efface la tutelle étatique, l’assurance libre dessine un horizon où la société s’émancipe enfin du Moloch et bâtit sa sécurité sur la responsabilité et la coopération volontaire.
Informations complémentaires
Notes et références
- ↑ Serge Schweitzer, Loïc Floury, 2014, "Théorie de la révolte fiscale : Enjeux et interprétations – Ou pourquoi la révolte fiscale n’aura pas lieu", Aix-en-Provence : Presses Universitaires d’Aix-Marseille, pxx
- ↑ Ludwig von Mises, 1949, L'Action humaine, 2e partie, chap.8, [lire en ligne]
Bibliographie
- 1969, Jerome Tuccille, "A letter to Moloch", The Libertarian Forum, Vol 1, n°12, 1er décembre, p70