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Périclès
| Périclès | |||||
| Homme d'État | |||||
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| Dates | vers 495 av. J.-C.-429 av J.-C | ||||
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| Articles internes | Autres articles sur Périclès | ||||
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| Interwikis sur Périclès | |||||
Périclès (vers 495 – 429 av. J.-C.) est un homme d’État, stratège et orateur athénien. Issu d’une famille aristocratique, il joue un rôle central dans le développement de la démocratie athénienne et dans l’affirmation de la puissance de la cité au Ve siècle av. J.-C. Sous sa direction, Athènes connaît un rayonnement culturel exceptionnel avec l’essor des arts, de la philosophie et de l’architecture, notamment la construction du Parthénon. Défenseur de la liberté civique, il célèbre dans son célèbre Discours funèbre l’idéal d’une cité où chaque citoyen est maître de lui-même, idée qui fait de lui un précurseur des conceptions modernes de l’autonomie individuelle.
Contexte historique et politique
Au Ve siècle av. J.-C., Athènes est au sommet de sa puissance. La cité, sortie victorieuse des guerres médiques contre les Perses, s’affirme comme un centre militaire, politique et culturel du monde grec. Son originalité réside dans le système de la démocratie directe, où les citoyens libres participent eux-mêmes aux décisions publiques. L’ecclésia (assemblée du peuple) se réunit régulièrement pour voter les lois, débattre des affaires de la cité et décider de la paix ou de la guerre. Chaque citoyen n’est pas seulement spectateur de la vie politique, mais acteur à part entière : « Celui qui s’en désintéresse n’est pas considéré comme paisible, mais comme inutile », rapporte Thucydide dans le Discours funèbre (II, 40).
Cette démocratie ne sépare pas le civil du militaire. L’engagement aux affaires de la cité s’accompagne du devoir de défendre ses murs et son territoire. Dans une Athènes menacée par Sparte, la participation militaire est un prolongement naturel de la citoyenneté. Être libre, c’est à la fois pouvoir délibérer et être prêt à se battre pour préserver l’autonomie de la communauté.
C’est dans ce cadre que Périclès, stratège et orateur, prononce son célèbre Discours funèbre (II, 43-46), tel que Thucydide nous l’a transmis. Ce texte est à la fois un hommage aux morts tombés pour Athènes et une exaltation de l’idéal démocratique. Périclès y esquisse une vision grandiose de la cité : « Notre régime politique ne copie pas les lois d’autrui ; au contraire, nous sommes nous-mêmes un modèle pour quelques-uns. Son nom est la démocratie, parce que le pouvoir n’est pas aux mains d’une minorité, mais du plus grand nombre. » (Thucydide, II, 37).
Dans cette Athènes idéalisée, la liberté individuelle est reconnue comme fondement de la grandeur collective. Chaque citoyen, maître de ses choix privés, trouve dans la cité le cadre qui garantit cette autonomie. La tolérance envers les modes de vie et la possibilité de participer aux affaires publiques illustrent cette articulation entre l’individuel et le collectif. « Nous pratiquons la liberté non seulement dans notre vie politique, mais aussi dans nos relations quotidiennes : nous n’avons pas de ressentiment contre notre voisin s’il agit à sa guise. » (Thucydide, II, 37).
Ainsi, l’éloge funèbre devient bien plus qu’une oraison : il trace l’image d’une Athènes où la liberté personnelle et la participation civique se nourrissent mutuellement. C’est la vision d’une cité qui, dans les mots de Périclès, fait de chaque citoyen un être libre de ses choix et digne de participer à l’œuvre commune. Ce père de la démocratie athénienne préfigure par certains éléments le libéralisme. Il a ainsi a déclaré que les lois devraient rendre une justice égale à tous, malgré les différences qui existent entre les êtres humains. Il appelait à la tolérance envers les voisins d'Athènes, c'est-à-dire la belliqueuse Sparte. Et il a souligné les avantages du libre-échange et de la libre circulation :
« Nous ouvrons notre ville au monde, et jamais par des actes étrangers nous n’excluons les étrangers de toute possibilité d'apprendre ou d'observer, bien que les yeux d'un ennemi puissent parfois profiter de notre libéralité. »
Et, cette égalité, cette tolérance et cette ouverture n'ont pas sapé Athènes, pensait Périclès ; elles ont plutôt accru sa grandeur. Eamonn Butler[1] a classé Périclès comme l'un des premiers penseurs libéraux.
L’idée centrale : la maîtrise de soi
Au cœur de la pensée politique attribuée à Périclès se trouve une conviction simple et puissante : l’homme libre est d’abord maître de lui-même. Dans son éloge d’Athènes, Périclès rappelle que la grandeur de la cité repose sur des citoyens qui ne sont pas soumis à la volonté d’autrui, mais qui possèdent la faculté de disposer de leur propre existence. Thucydide rapporte cette formule saisissante : « Notre liberté s’étend aussi bien à la vie privée qu’aux affaires publiques » (II, 37). La cité n’impose pas un carcan uniforme à ses membres : chacun y est reconnu comme propriétaire légitime de sa personne.
Cette idée, que l’individu se possède lui-même, constitue une préfiguration de ce que la tradition libertarienne moderne appellera la self-ownership, la propriété de soi. Déjà, Périclès oppose la liberté civique à toute forme de servitude : l’homme qui n’est pas maître de lui-même ne peut être véritablement citoyen. Le philosophe libertarien, Murray Rothbard exprimera cette idée dans des termes proches : « Chaque homme possède une propriété sur sa propre personne, et personne n’a de droit sur elle, excepté lui-même » (The Ethics of Liberty, 1982). La filiation intellectuelle est frappante : de l’Athènes classique au libertarianisme moderne, la liberté se définit d’abord comme une autonomie corporelle et morale.
Être maître de soi, c’est également pouvoir exercer sa volonté sans intrusion arbitraire. Dans une cité comme Athènes, cette maîtrise se traduit par la possibilité de choisir son mode de vie, d’exprimer ses opinions et de contribuer au destin commun. Périclès insiste sur ce respect de l’individualité : « Nous pratiquons la liberté non seulement dans notre vie politique, mais aussi dans nos relations quotidiennes : nous ne nous irritons pas de voir chacun suivre sa fantaisie » (Thucydide, II, 37).
Ainsi, la liberté n’est pas conçue seulement comme une absence de chaînes, mais comme un espace de décision personnelle. La cité trace autour de chaque individu une frontière symbolique : celle de son corps et de sa volonté, que nul n’a le droit de franchir. En termes modernes, on pourrait dire que Périclès dessine les contours d’un principe de non-agression : vivre librement, tant que l’on ne porte pas atteinte à la liberté d’autrui.
Il ne s’agit donc pas d’un éloge anarchique du désordre, mais d’un équilibre entre l’autonomie individuelle et le respect mutuel. C’est ce que souligne l’historien Victor Ehrenberg en évoquant la démocratie athénienne : « Elle fut fondée sur l’indépendance de l’individu et la conscience que cette indépendance ne pouvait s’exercer qu’au sein d’une communauté d’égaux. » (The Greek State, 1969).
En somme, Périclès articule une vision où la cité est grande parce que chacun de ses citoyens est libre de lui-même. Cette intuition, encore limitée aux seuls citoyens athéniens, annonce déjà un principe universalisable : la liberté véritable naît lorsque l’homme peut se gouverner lui-même.
Fondements du proto-libertarianisme de Périclès
Si l’on considère la pensée de Périclès comme une esquisse du libertarianisme, il faut en dégager trois fondements majeurs : la primauté de l’individu, le respect mutuel comme règle de coexistence, et la propriété de soi comme garantie de la liberté civique.
1. La primauté de l’individu
Dans le Discours funèbre, Périclès ne décrit pas Athènes comme une machine collective absorbant ses citoyens, mais comme une cité qui tire sa grandeur de la liberté personnelle de chacun : « Notre constitution s’appelle démocratie parce que le pouvoir est exercé non par un petit nombre mais par le plus grand nombre » (Thucydide, II, 37). Cette égalité devant la loi n’est pas conçue comme nivellement, mais comme reconnaissance de chaque citoyen comme sujet libre. L’individu précède l’État ; la cité n’est qu’une association d’hommes libres qui choisissent de vivre ensemble.
Cette idée résonne avec la formule de Benjamin Constant, bien plus tard, lorsqu’il distinguait la liberté des Anciens et celle des Modernes : « Le but des Anciens était le partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. […] Le but des Modernes est la jouissance paisible de l’indépendance privée. » (De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819). Chez Périclès, on trouve déjà une tension entre ces deux formes de liberté, même si l’individu y conserve toujours une place centrale.
2. L’absence d’agression et le respect mutuel
Pour que cette autonomie individuelle existe, il faut que chacun s’abstienne d’imposer sa volonté à autrui. Périclès exprime cette règle avec clarté : « Dans nos relations privées, nous ne nous livrons pas à des actes de malveillance, et nous ne prenons pas en mauvaise part ce que fait notre voisin » (Thucydide, II, 37). La liberté n’est donc pas anarchie, mais une reconnaissance tacite d’une limite : l’autre est, lui aussi, maître de lui-même.
Ce principe rejoint le principe de non-agression cher aux libertariens modernes. Murray Rothbard le formule ainsi : « Aucun homme ou groupe d’hommes ne peut agresser la personne ou la propriété d’un autre » (For a New Liberty, 1973). Périclès, bien que dans un contexte antique, trace déjà cette frontière entre ce qui relève de l’usage libre de soi et ce qui constituerait une intrusion injuste dans la sphère d’autrui.
3. La propriété de soi comme fondement de la liberté civique
Enfin, l’idée que chaque citoyen est propriétaire de lui-même fonde le droit de participer à la cité. Être maître de son corps et de ses choix, c’est pouvoir prendre part aux décisions collectives et défendre la communauté. À l’inverse, celui qui n’est pas propriétaire de lui-même, l’esclave, est exclu de la citoyenneté. La liberté individuelle devient ainsi le critère d’inclusion dans la vie politique.
Le philosophe John Locke, près de deux millénaires plus tard, reprendra cette intuition en l’universaliser : « Tout homme a une propriété sur sa propre personne ; nul autre que lui-même n’y a de droit » (Second Treatise of Government, 1690). Ce qui, chez Périclès, valait pour le citoyen athénien, deviendra un principe universel du libéralisme et, plus tard, du libertarianisme.
Limites et portée
Si la pensée de Périclès laisse entrevoir un premier souffle libertarien, il faut aussi en souligner les limites. La liberté exaltée dans le Discours funèbre n’est pas universelle : elle est réservée à une minorité, les citoyens athéniens, qui ne représentent qu’une fraction de la population de la cité.
1. Une liberté réservée aux citoyens
À Athènes, les femmes, les métèques (étrangers résidents) et surtout les esclaves sont exclus du cercle de la citoyenneté. Leur condition les prive de cette « propriété de soi » que Périclès attribue aux citoyens. Le philosophe Aristote, élève de Platon, justifiera cette exclusion en affirmant que certains hommes sont « esclaves par nature » (Politique, I, 1254a), car incapables de se gouverner eux-mêmes. Le contraste est frappant : alors que Périclès proclame que la liberté d’Athènes repose sur le fait que chacun est maître de soi, cette autonomie reste un privilège, non un droit universel.
2. La liberté pensée dans un cadre collectif
La liberté individuelle chez Périclès ne se conçoit qu’en articulation avec la grandeur de la cité. Dans le Discours funèbre, il insiste sur le fait que l’autonomie privée et la participation civique nourrissent ensemble la puissance d’Athènes : « Nous considérons un homme qui ne prend aucune part à la vie publique, non comme un citoyen paisible, mais comme un citoyen inutile » (Thucydide, II, 40). L’individu n’existe pas hors de la cité : sa liberté trouve son sens dans le service rendu à la communauté.
C’est ici une différence fondamentale avec le libertarianisme moderne. Pour des penseurs comme Robert Nozick, la liberté de l’individu prime sur toute finalité collective : « Les individus ont des droits, et il est des choses qu’aucune personne ni aucun groupe ne peut leur faire sans violer ces droits » (Anarchy, State and Utopia, 1974). Là où Périclès subordonne l’autonomie à la cité, Nozick l’érige en absolu moral.
3. De l’intuition à l’universalisation
Ainsi, la portée de la pensée péricléenne est double. D’un côté, elle esquisse une intuition centrale du libertarianisme : la liberté repose sur la maîtrise de soi, sur le fait d’être propriétaire de son corps et de ses choix. Mais de l’autre, elle en reste à une application étroite et hiérarchisée, excluant la majorité des habitants d’Athènes et subordonnant l’individu à la survie de la cité.
Ce paradoxe est bien résumé par l’historien Moses Finley : « La démocratie athénienne fut à la fois la plus extrême affirmation de l’égalité civique et la plus grande négation de l’universalité de cette égalité. » (Democracy Ancient and Modern, 1973).
On peut donc dire que le libertarianisme de Périclès est un proto-libertarianisme aristocratique et civique, dont l’héritage sera repris et élargi, des siècles plus tard, par Locke, Constant, et Rothbard, vers une conception de la liberté universelle et absolue.
Informations complémentaires
Notes et références
Littérature secondaire
- 1995, Roland Baader, dir., "Die Enkel des Perikles : liberale Positionen zu Sozialstaat und Gesellschaft" [Les petits-enfants de Périclès : les positions libérales sur la société et le social], Gräfelfing : Resch
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