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Tolérance

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La tolérance, du latin tolerare (soutenir, supporter), définit le degré d'acceptation face à un élément contraire à une règle morale, civile ou physique. Plus généralement, elle définit la capacité d'un individu à accepter une chose avec laquelle il n'est pas en accord. Et par extension, l'attitude d'un individu face à ce qui est différent de ses valeurs.

La notion de tolérance s'applique à de nombreux domaines :

  • la tolérance sociale : attitude d'une personne ou d'un groupe social devant ce qui est différent de ses valeurs morales ou ses normes,
  • la tolérance civile : écart entre les lois et leurs applications et l'impunité,
  • la tolérance selon Locke : « cesser de combattre ce qu'on ne peut changer »,
  • la tolérance religieuse : attitude devant des confessions de foi différentes.

La tolérance comme moyen libéral dans la recherche de la vérité

Cette attitude a constitué l'apport libéral en vue de résoudre les crises issues des guerres de religion. Plusieurs auteurs, de Grotius à Pierre Bayle, ont développé la thèse suivant laquelle des individus de confessions différentes pouvaient coexister sans heurts tout en conservant leur foi propre. A noter que cette thèse était généralement admise en Orient depuis fort longtemps : ainsi l'édit n° XII du roi Ashoka le Grand (273 av. J.-C. - 232 av. J.-C.) affirmait : « On ne devrait pas honorer seulement sa propre religion et condamner les religions des autres sans motif valable ; ce faisant, on fait du tort autant à sa propre religion qu'à celle des autres. Le contact entre les religions est une bonne chose ».

XVIIe siècle

Dans l'Angleterre du XVIIe siècle, tourmentée par les conflits religieux et politiques, les Levellers ont également défendu la liberté de croyance et de culte. Pour l'un d'eux en particulier, William Walwyn, auteur notamment d'un libelle intitulé Toleration justified and Persecution condemned (1646), l'État ne peut contraindre quiconque à suivre la religion majoritaire. Se fondant sur saint Paul, pour lequel tout ce qui ne vient pas de la foi est péché, il estime qu'obliger un individu à adhérer à une foi à laquelle il ne croit pas revient à le transformer en menteur et en hypocrite, donc en pécheur. En outre, la persécution religieuse est vaine, car seuls les arguments rationnels, et non la force coercitive, sont aptes à convaincre autrui de la vérité. À ceux qui avancent que la diversité religieuse engendre le chaos, Walwyn réplique que c'est bien plutôt l'uniformité forcée qui crée le désordre. Cet argument sera utilisé à la même époque par certains sociniens (disciples de Lelio et Fausto Sozzini, rejetant la Trinité, et en particulier la nature divine du Christ). Mais surtout, usant d'un argument anticipant ceux de Hayek en d'autres domaines, Walwyn insiste sur la faillibilité humaine. Si bien qu'il est téméraire et présomptueux d'oser obliger des individus à adhérer à une foi qui, au final, peut se révéler être dans l'erreur ! Le "Niveleur" conclut que, derrière la défense de la persécution, se cache moins la quête de la vérité qu'une volonté de puissance politique.

Pour John Locke, la tolérance se justifie sur deux plans : en premier lieu, le magistrat civil n'est habilité qu'à s'occuper de protéger la vie, la liberté et propriété, il ne lui revient donc pas de gouverner les âmes. Ensuite, du point de vue même de la foi, le salut ne peut advenir qu'à ceux qui embrassent sincèrement la foi. Il est donc immoral et contraire aux préceptes chrétiens de contraindre quiconque à observer la religion du prince.

Dans sa Lettre sur la tolérance (1686), il détaille son argumentation de la façon suivante :

« [...]Ce qu'il y a de capital et qui tranche le nœud de la question, c'est qu'en supposant que la doctrine du magistrat soit la meilleure, et que le chemin qu'il ordonne de suivre soit le plus conforme à l'Évangile, malgré tout cela, si je n'en suis pas persuadé moi-même du fond du cœur, mon salut n'en est pas plus assuré. Je n'arriverai jamais au séjour des bienheureux par une route que ma conscience désapprouve. (...) Quelques doutes que l'on puisse avoir sur les différentes religions qu'il y a dans le monde, il est toujours certain que celle que je ne crois pas véritable, ne saurait être ni véritable ni profitable pour moi. C'est donc en vain que les princes forcent leurs sujets à entrer dans la communion de leur Église, sous prétexte de sauver leurs âmes : si ces derniers croient la religion du prince bonne, ils l'embrasseront d'eux-mêmes ; et s'ils ne la croient pas telle, ils ont beau s'y joindre, leur perte n'en est pas moins assurée. En un mot, quelque zèle que l'on prétende avoir pour le salut des hommes, on ne saurait jamais les forcer à se sauver malgré eux ; et, après tout, il faut toujours finir par les abandonner à leur propre conscience. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance

Cependant, Locke fait deux exceptions à son principe de tolérance. C'est d'abord aux catholiques qu'il en refuse le bénéfice. S'il le fait, ce n'est pas à cause de leurs options spéculatives (par exemple : la transsubstantiation), mais en raison de leurs considérations pratiques, telles que le déni d'être soumis à un prince excommunié et leur vœu d'obéissance à un souverain étranger (i. e. le Pape).

Ce sont ensuite les athées qui sont exclus de toute marque de tolérance. Pour le philosophe :

« Ceux qui nient l'existence de Dieu ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir parole ; et que, si l'on bannit du monde la croyance d'une divinité, on ne peut qu'introduire aussitôt le désordre et la confusion générale. »
    — John Locke, Lettre sur la tolérance

À la même époque, le philosophe Baruch Spinoza est plus hardi que Locke en ce qui concerne la liberté religieuse, la liberté d'expression et la liberté de la presse :

«  Il est évident que les lois concernant les opinions menacent non les criminels, mais les hommes de caractère indépendant, qu’elles sont faites moins pour contenir les méchants que pour irriter les plus honnêtes, et qu’elles ne peuvent être maintenues en conséquence sans grand danger pour l’État. »
    — Baruch Spinoza, Traité théologico-politique, chapitre XX : "Où l’on montre que dans un État libre il est loisible à chacun de penser ce qu’il veut et de dire ce qu’il pense"'

XVIIIe siècle

A la suite de Pierre Bayle, John Locke et Baruch Spinoza, face aux excès de l’État et de l’Église, la tolérance est une revendication essentielle des philosophes et encyclopédistes du XVIIIe siècle et des Lumières françaises. Voltaire notamment publie en 1763 son Traité sur la tolérance.

XIXe siècle

Au XIXe siècle, un catholique libéral comme Charles de Montalembert a développé l'idée suivant laquelle il fallait distinguer dogmatisme théorique et tolérance civile, car ils ne se situent pas sur le même plan. Du reste, celle-ci ne contredit pas celui-là, dans la mesure où être tolérant ne consiste pas à croire que chacun détient sa part de vérité (ce qui supposerait que la vérité objective n'existe pas), mais à comprendre que la recherche de la vérité ne peut se dérouler pacifiquement que si l'on laisse les adeptes d'obédiences diverses pratiquer librement leur culte. Combattre l'erreur par la force, c'est courir le risque de réprimer également la vérité. En voulant vaincre par le glaive politique de fausses doctrines, on détruit aussi ce que le libéral catholique nomme la "liberté du bien". Il justifie ainsi sa position :

«  Demander la liberté pour les autres en la demandant pour soi, ce n'est pas accorder des droits à "l'erreur", car là n'est pas la question ; c'est admettre "les exigences inévitables et invincibles de ses adversaires ; mais demander la liberté pour soi, en déclarant qu'on s'en servira pour la refuser aux autres, c'est perdre d'avance sa cause et la perdre en la déshonorant. »

Il écrit aussi très clairement que, ce n'est pas parce que de nombreux libéraux ont cédé aux sirènes de l'anticléricalisme le plus intolérant que l'Église doit les imiter en combattant, à l'inverse, la liberté :

«  Les libéraux portent en ce moment, dans toute l'Europe, la peine d'avoir combattu ou méprisé la religion, d'avoir cru qu'ils pouvaient se passer de force spirituelle, et ne tenir aucun compte de l'ordre surnaturel. Les catholiques commettraient à leur tour une faute, qu'un prompt châtiment viendrait atteindre, s'ils voulaient abandonner la liberté. »

Dans le même ordre d'idées, peu de temps avant Montalembert, Benjamin Constant, protestant pour sa part, estimait que l'athéisme était tellement indigent qu'il s'éteindrait de lui-même si la liberté de croyance était réellement respectée. Sa grande idée est que le seul moyen d'affaiblir une opinion erronée est d'établir son libre examen, et non de la censurer. Pour lui :

«  L'intolérance en plaçant la force du côté de la foi a placé le courage du côté du doute. »
    — Benjamin Constant, Principes de politique

Plus encore, Constant considère que la mise en concurrence des croyances les plus diverses contribuerait progressivement au triomphe de la vérité.

XXe et XXIe siècles

Pour les libéraux, la tolérance ne signifie donc nullement approbation de ce qu'autrui croit ou affirme, mais prône seulement la résolution pacifique et rationnelle des querelles doctrinales et morales. La tolérance se situe, par conséquent, aux antipodes du nihilisme ou du relativisme.

On notera que l'organisation de nos social-démocraties se situe à l'exact opposé de ce point de vue, puisque la multiplicité des modes de vie et de pensée y est présentée comme une source potentielle de conflits, devant être canalisée par un contrôle permanent de l'État (pensons à la laïcité obligatoire en France, à l'intervention des pouvoirs publics dans les programmes d'enseignement scientifique, etc.) D'une certaine manière, la social-démocratie a repris à son compte la célèbre formule datant de la paix d'Augsbourg (1555) et que Louis XIV s'appropriera avec la Révocation de l'Edit de Nantes (1685): Cujus regio, ejus religio (en clair : la religion du prince dicte celle du pays) de sorte que, l'État souverain étant aujourd'hui « laïque », tels doivent être les citoyens en s'abstenant d'exprimer publiquement leur foi. La liberté religieuse, combat libéral contre l'absolutisme politique, est donc loin d'être acquise de nos jours.

Les libéraux contestent donc ce que Ron Paul appelle « un interventionnisme social influencé par l’intolérance des habitudes et des modes de vie différents », qu'il s'agisse de paternalisme d'État ou de l'imposition d'une morale particulière ou d'un modus vivendi particulier :

«  Pour beaucoup de gens, l’idée erronée que la tolérance revient à approuver certaines activités les motive à demander à incorporer dans la législation des normes morales qui ne devraient être du ressort que des individus eux-mêmes, effectuant leurs propres choix. »
    — Ron Paul, Discours d’adieu au Congrès, 14 novembre 2012

La Tolérance : limitation de la souveraineté étatique

A ce titre, Émile Faguet notait dans son Libéralisme (1902) que l'État (français en particulier) n'avait jamais aimé la religion, car il l'avait toujours perçue comme un gouvernement des âmes susceptible de le concurrencer et de le déstabiliser.

«  Rien ne limite l'État comme une Église car il est incontestable qu'elle limite le gouvernement lui-même, puisqu'elle partage avec lui. »

C'est pourquoi, au final, la liberté religieuse est toujours la plus menacée, explique Faguet. Elle l'a été sous les Romains comme sous la monarchie anglaise ou française. Et d'ajouter :

«  L'État est toujours antireligieux, même quand il administre la religion, surtout quand il l'administre; car il ne l'administre que pour la supprimer que comme religion véritable. Tâchons cependant de ne point exagérer, mais disons que l'État a quelque tendance à ne pas aimer beaucoup même la morale. »

Le paradoxe de la tolérance : tolérer l'intolérance ?

Karl Popper définit ce paradoxe en 1945 dans La Société ouverte et ses ennemis :

« Une tolérance illimitée conduit forcément à la disparition de la tolérance. Si nous étendons une tolérance illimitée même à ceux qui sont intolérants, si nous ne sommes pas prêts à défendre une société tolérante contre l'assaut des intolérants, alors les tolérants seront détruits, et la tolérance avec eux. »

Il en conclut que nous sommes justifiés à ne pas tolérer l'intolérance : « Nous devons donc revendiquer, au nom de la tolérance, le droit de ne pas tolérer les intolérants. »

John Rawls conclut dans sa Theory of Justice qu'une société juste doit tolérer les intolérants, car autrement la société serait elle-même intolérante et donc injuste. Cependant, Rawls insiste aussi, comme Popper, sur le fait que la société a un droit raisonnable d'auto-conservation qui remplace le principe de tolérance :

« Si une faction intolérante n'a pas elle-même le droit de se plaindre d'intolérance, sa liberté ne doit être limitée que lorsque les tolérants croient sincèrement et raisonnablement que leur propre sécurité et celle des institutions de la liberté sont en danger. »

Citations

  • « Rappelons-le : dans l’acception du dictionnaire, on est intolérant quand on combat des idées contraires aux siennes par la force, et par des pressions, au lieu de se borner à des arguments. La tolérance n’est point l’indifférence, elle n’est point de s’abstenir d’exprimer sa pensée pour éviter de contredire autrui, elle est le scrupule moral qui se refuse à l’usage de toute autre arme que l’expression de la pensée. » (Jean-François Revel, Contrecensures)
  • « C'est mettre ses convictions à trop haut prix, que d'en faire cuire un homme tout vif. » (Montaigne)
  • « Si la tolérance naît du doute, qu'on enseigne à douter des modèles et des utopies, à récuser les prophètes de salut, les annonciateurs de catastrophes. Appelons de nos vœux la venue des sceptiques, s'ils doivent éteindre le fanatisme. » (Raymond Aron[1])
  • « Quand on veut vivre parmi les hommes, il faut laisser chacun exister et l'accepter avec l'individualité, quelle quelle soit, qui lui a été départie. » (Arthur Schopenhauer, Aphorismes sur la sagesse dans la vie)
  • « Le libéral se doit d'être tolérant avec les hommes et intolérant avec les idées, en ce sens qu'on ne peut pas admettre qu'une idée et son contraire soient également et simultanément vrais, mais les hommes sont tous également dignes de respect. En France, c'est le contraire qui prévaut sur la scène politique : on est intolérant avec les hommes et tolérant avec les idées. » (Pascal Salin)
  • « Le libéral est foncièrement un sceptique - et on pourrait dire qu'il lui faut un certain degré d'humilité pour laisser les autres chercher leur bonheur à leur guise, et pour adhérer de façon constante à cette tolérance qui caractérise essentiellement le libéralisme. » (Friedrich Hayek, Pourquoi je ne suis pas un conservateur[2])
  • « Le libéralisme proclame la tolérance pour toute croyance et toute conception philosophique, non par indifférence à l'égard de ces choses que se trouvent sur un plan "plus élevé" mais parce qu'il est persuadé que l'assurance de la paix à l'intérieur de la société doit primer toute autre chose. Et c'est parce qu'il exige la tolérance pour toutes les opinions, toutes les Églises et toutes les sectes qu'il doit les ramener toutes dans leurs limites lorsqu'elles se montrent intolérantes. » (Ludwig von Mises[3])
  • « Vivre et laisser vivre, disait la célèbre maxime viennoise, une maxime qui, encore aujourd'hui, me paraît plus humaine que tous les impératifs catégoriques, et elle s'imposait irrésistiblement à tous les milieux. (...) La haine entre les pays, les peuples, les couches sociales ne s'étalait pas quotidiennement dans les journaux, elle ne divisait pas encore les hommes et les nations ; l'odieux instinct du troupeau, de la masse, n'avait pas encore la puissance répugnante qu'il a acquise depuis dans la vie publique ; la liberté d'action dans le privé allait de soi à un point qui serait à peine concevable aujourd'hui ; on ne méprisait pas la tolérance comme un signe de mollesse et de faiblesse, on la prisait très haut comme une force éthique. » (Stefan Zweig)
  • « La meilleure réponse au fanatisme, c’est le vrai libéralisme. » (Bertrand Russell, 1951)
  • « L'intolérance, en plaçant la force du côté de la foi, a placé le courage du côté du doute. » (Benjamin Constant)

Annexes

Notes et références

Bibliographie

  • 2010, Ghislain Waterlot, "Aux sources de la pensée libérale, une généalogie de la tolérance. Castellion, Spinoza, Bayle, Locke", In: G. Kevorkian, dir., "La pensée libérale. Histoire et controverses", Paris, Ellipses, pp211-226
  • 2019, Mark Koyama, Noel D. Johnson, "Persecution and Toleration: The Long Road to Religious Freedom", Cambridge University Press. Cambridge

Voir aussi

Liens externes

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Faut Il être Tolérant Avec Les Gens Intolérant ? (for)


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