Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !


Verstehen

De Wikiberal
Aller à la navigation Aller à la recherche

Le concept de Verstehen (mot allemand signifiant "compréhension") désigne une forme d'activité conceptuelle que certains théoriciens considèrent comme propre aux sciences sociales et aux sciences humaines, en contraste avec le concept de Wissen (allemand pour "savoir"), qui est conçu comme une forme d'activité conceptuelle propre aux sciences physiques. Ce concept a suscité de nombreuses controverses méthodologiques et théoriques dans les sciences sociales depuis la fin du XIXe siècle, concernant ces modes de pensée dialectiquement conçus et contrastés. Ces controverses ont atteint leur apogée dans la période immédiatement avant la Première Guerre mondiale, au moment où la sociologie devenait une discipline académique. Elles sont restées endémiques dans les sciences sociales depuis lors.

Comprendre les Phénomènes Sociaux : Le Rôle Fondamental du Verstehen en Sciences Sociales

Le Verstehen est une notion essentielle dans le domaine des sciences sociales. Il désigne une approche méthodologique qui vise à comprendre profondément les comportements, les motivations et les significations sociales des individus et des groupes. Le Verstehen, en tant que concept central des sciences sociales, désigne la tentative de saisir les actions, les pensées et les émotions des individus à travers une compréhension empathique. Contrairement à une approche purement objective, le Verstehen s'efforce de pénétrer dans le monde intérieur des personnes étudiées, en cherchant à comprendre leur point de vue, leurs motivations et leur contexte social. Il implique une immersion dans la perspective de l'autre et une tentative de saisir le sens que les acteurs attribuent à leurs actions.

Le Verstehen joue un rôle essentiel dans les sciences sociales car il reconnaît que les phénomènes sociaux sont intrinsèquement liés à la subjectivité humaine. Les individus ne se comportent pas simplement en réponse à des stimuli externes, mais ils agissent en fonction de leurs propres croyances, valeurs, normes culturelles et expériences personnelles. Par conséquent, pour comprendre pleinement les comportements sociaux, il est nécessaire d'adopter une approche empathique qui tente de saisir ces facteurs subjectifs.

L'application du Verstehen permet aux chercheurs en sciences sociales de répondre à des questions telles que : "Pourquoi les gens agissent-ils de telle manière dans une situation donnée ?" ou "Comment les individus interprètent-ils et donnent-ils un sens à leur réalité sociale ?" Cette compréhension en profondeur des motivations et des significations sociales contribue à une analyse plus nuancée et approfondie des phénomènes sociaux, tout en reconnaissant la complexité de la vie humaine.

Positivisme et Antipositivisme

La controverse autour de Verstehen et de son rôle dans les sciences sociales oppose principalement deux courants de pensée : les positivistes et les antipositivistes. La controverse entre positivistes et antipositivistes est profondément enracinée dans la pensée occidentale, et elle est susceptible de se poursuivre. Les différentes formes qu'elle a prises peuvent être retracées jusqu'à divers événements historiques liés à l'émergence des sciences sociales. Au cœur de la doctrine de Verstehen se trouve la conviction d'une différence intrinsèque entre l'esprit et tout ce qui n'est pas l'esprit.

Les positivistes adhèrent à l'idée que les méthodes éprouvées dans les sciences physiques peuvent et doivent être appliquées aux sciences sociales. Selon eux, les principes de l'observation empirique, de l'expérimentation, et de la quantification, qui ont si bien fonctionné dans l'analyse de la réalité physique, peuvent être transposés aux études des phénomènes sociaux. Pour les positivistes, la recherche en sciences sociales devrait suivre la même logique et les mêmes méthodes que celles employées dans les sciences naturelles, et ce, afin d'obtenir des résultats objectifs et mesurables.

En revanche, les antipositivistes insistent sur l'inadéquation intrinsèque des méthodes des sciences physiques pour les sciences sociales. Ils considèrent que les sciences sociales ont affaire à un domaine de connaissance totalement différent de celui des sciences naturelles. Les antipositivistes estiment que l'expérience humaine et sociale ne peut être réduite à des mesures quantitatives et à des expérimentations de laboratoire. Ils mettent en avant le caractère unique de la réalité sociale, qui est façonnée par des processus complexes et par la subjectivité des individus. Pour eux, la compréhension des phénomènes sociaux exige des méthodes spécifiques, notamment la prise en compte des contextes, des interprétations subjectives, et de l'empathie.

Ainsi, la divergence fondamentale entre positivistes et antipositivistes réside dans leur conception des méthodes appropriées pour étudier les phénomènes sociaux, et cette divergence sous-tend de nombreuses discussions et débats au sein des sciences sociales depuis plus d'un siècle.

Différences Méthodologiques entre les Sciences Sociales et les Sciences Physiques

Selon les antipositivistes, les sciences sociales se distinguent fondamentalement des sciences physiques par leurs méthodologies spécifiques. Voici un aperçu des contrastes méthodologiques entre ces deux domaines de recherche :

1. Focus sur l'Expérience Humaine : Les sciences sociales se concentrent principalement sur l'expérience humaine. Elles visent à comprendre les comportements, les interactions sociales, les motivations, les croyances, et les émotions des individus et des groupes. En revanche, les sciences physiques se basent sur l'observation extérieure d'objets et de phénomènes naturels sans prendre en compte la subjectivité humaine.

2. Méthode de l'Introspection : Dans les sciences sociales, l'introspection est considérée comme une méthode normale. Cela signifie que les chercheurs cherchent à comprendre les pensées, les sentiments et les expériences des sujets d'étude en se mettant à leur place. Ils utilisent l'empathie pour interpréter les réactions et les motivations des individus. En revanche, les sciences physiques privilégient l'expérimentation, où les phénomènes sont observés et mesurés de manière objective, sans considération pour les états d'esprit ou les motivations des objets étudiés.

3. Différences dans la Généralisation : Les méthodes de généralisation diffèrent également entre les deux domaines. En sciences physiques, la généralisation se fait souvent à travers des données mesurables et quantifiables. Les scientifiques cherchent des régularités statistiques et formulent des lois mathématiques pour expliquer les phénomènes. En sciences sociales, la généralisation se base sur des processus plus qualitatifs. Les chercheurs essaient de comprendre les motifs et les significations derrière les comportements humains en se basant sur des données qualitatives, telles que des entretiens, des observations ethnographiques, et des récits de vie.

En résumé, les sciences sociales et les sciences physiques diffèrent considérablement dans leurs approches méthodologiques en raison de la nature différente de leurs objets d'étude. Les sciences sociales s'appuient sur une compréhension approfondie de l'expérience humaine, tandis que les sciences physiques privilégient une observation objective et des mesures quantitatives. Cette divergence méthodologique reflète la controverse persistante entre positivistes et antipositivistes dans le domaine des sciences sociales.

Controverse Historique

La controverse entre les positivistes et les tenants du Verstehen (antipositivistes) dans le domaine des sciences sociales est profondément enracinée dans la pensée occidentale et s'étend sur plusieurs décennies. Cette controverse a ses racines dans les débats intellectuels qui ont émergé à la fin du XIXe siècle et qui se sont cristallisés autour de la question fondamentale de la méthodologie des sciences sociales.

Il est important de souligner que ces débats ont été influencés par des facteurs historiques, sociologiques et épistémologiques complexes. Ils ont été nourris par les transformations de la société et les avancées scientifiques de l'époque, notamment la montée de l'industrialisation, les changements sociaux rapides et les découvertes en psychologie et en sociologie.

La controverse entre positivistes et antipositivistes a été alimentée par des figures intellectuelles majeures telles que Max Weber et Émile Durkheim, qui ont contribué à façonner ces débats et à les ancrer dans le discours académique. Ces penseurs ont influencé les générations suivantes de chercheurs et ont contribué à la pérennité de cette controverse.

En dépit des avancées significatives dans les sciences sociales au cours du XXe siècle, la controverse entre positivistes et antipositivistes persiste. Les divergences d'opinion sur la manière d'aborder et d'étudier les phénomènes sociaux demeurent une question centrale dans le domaine. La probabilité de la persistance de cette controverse réside dans la complexité inhérente à l'étude des sociétés humaines et à la variété des méthodologies possibles. Les débats autour de Verstehen et de son opposition à Wissen continueront probablement d'animer les discussions intellectuelles dans les sciences sociales, tout en reflétant la richesse et la diversité des approches méthodologiques pour comprendre notre monde social.

Conception de l'Esprit et du Corps

Au cœur de la doctrine de Verstehen se trouve une distinction fondamentale entre l'esprit (Geist en allemand) et tout ce qui n'est pas l'esprit. Cette distinction repose sur une conception philosophique profonde qui a des implications majeures pour la méthodologie des sciences sociales.

Dans cette perspective, l'esprit représente le domaine de la subjectivité, de la conscience et de la compréhension humaine. Il englobe les pensées, les émotions, les croyances, les motivations et les expériences individuelles et collectives. L'esprit est intrinsèquement lié à la dimension humaine de l'existence, et il ne peut être réduit à des phénomènes purement physiques ou objectifs.

En revanche, tout ce qui n'est pas l'esprit concerne le monde extérieur, les objets physiques et les phénomènes observables. Cela englobe le monde naturel, les lois de la physique, la matière inanimée, et tout ce qui peut être étudié par les méthodes des sciences physiques.

La base de la doctrine de Verstehen réside dans la reconnaissance de cette différence fondamentale entre l'esprit et la matière. Les antipositivistes insistent sur le fait que les sciences sociales doivent adopter des méthodologies spécifiques parce qu'elles traitent de la sphère de l'esprit. Comprendre les motivations humaines, les interactions sociales et les significations subjectives nécessite une approche qui transcende les méthodes réductrices de la science physique. Cette approche repose sur l'empathie, l'interprétation qualitative et la compréhension profonde des processus mentaux et sociaux.

En somme, la conception de l'esprit et du corps comme étant deux domaines distincts de la réalité humaine sous-tend la doctrine de Verstehen, qui reconnaît la nécessité d'adopter des méthodologies spécifiques pour appréhender et interpréter le monde social complexe et subjectif dans les sciences sociales. Cette distinction philosophique continue d'alimenter la réflexion et le débat dans le domaine des sciences sociales.

Origines Philosophiques de la Controverse

Rétrospective sur la Distinction entre l'Esprit et la Matière dans la Philosophie Grecque Ancienne

Pour comprendre la controverse Verstehen dans les sciences sociales, il est essentiel de remonter aux racines de la distinction entre l'esprit et la matière. Cette distinction trouve son origine dans la philosophie grecque antique, où les premiers penseurs, notamment les présocratiques, se concentraient davantage sur l'étude de la nature physique et matérielle du monde. Cependant, cette focalisation a évolué avec le temps.

Vers la période de Socrate et de son élève Platon, des considérations épistémologiques plus profondes ont émergé. La philosophie grecque s'est graduellement élevée vers une position centrale de distinction entre le monde mental des objets idéaux et le monde physique des choses concrètes. Platon considérait que la connaissance des objets idéaux était d'un ordre de perfection supérieur à la connaissance des choses physiques. Cette dichotomie entre l'esprit et la matière a jeté les bases de réflexions philosophiques futures sur la nature de la réalité.

Influence de cette Distinction dans la Pensée Médiévale, Notamment dans le Contexte de la Théologie Chrétienne

Au fil des siècles, cette distinction entre l'esprit et la matière a été assimilée par la théologie chrétienne médiévale. Au Moyen Âge européen, lors de l'élaboration du dogme chrétien, la séparation entre l'esprit (ou le spirituel) et la matière (ou le matériel) a été intégrée dans la compréhension du sacré et du profane. Cette dualité a également eu des implications sur la manière dont on concevait la relation entre l'âme et le corps dans la perspective religieuse.

De plus, cette période a vu la résurgence du problème des universaux, une question philosophique ancienne. Les penseurs médiévaux, notamment les philosophes scolastiques, ont ravivé le débat entre le réalisme (l'idée que les universaux ont une existence indépendante) et le nominalisme (l'idée que les universaux ne sont que des abstractions). Cette controverse sur les universaux a reflété et renforcé la distinction entre l'esprit et la matière, ajoutant ainsi une couche complexe à la réflexion sur la nature de la réalité.

Ces développements intellectuels et philosophiques ont jeté les bases pour les débats futurs sur la méthode et la nature de la connaissance, des débats qui ont continué à évoluer à travers les âges et qui ont influencé finalement la controverse du Verstehen dans les sciences sociales.

Informations complémentaires

Bibliographie

  • 1948, Theodore Abel, "The Operation Called Verstehen"
    • Repris en 1953, In: Herbert Feigl, May Brodbeck, dir., "Readings in the Philosophy of Science", New York: Appleton, pp677-687
  • 1967, Friedrich Lutz, "Verstehen und Verständigung in der Wirtschaftswissenschaft" [Compréhension et communication en économie]
    • Repris en 2008, In: Nils Goldschmidt, Michael Wohlgemuth, dir., "Grundtexte zur Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik" [Textes fondamentaux sur la tradition de l'école économique de Fribourg], Tübingen: Mohr Siebeck, pp279-296
  • 1968, Don Martindale, "Verstehen", In: David L. Sills, dir., "International encyclopedia of the social sciences", Vol 16, London: Macmillan and the Free Press, pp308-313
  • 1971, Wilhelm Bickel, dir., "Verstehen und Gestalten der Wirtschaft". Festschrift pour le 70e anniversaire de Friedrich A. Lutz, Tübingen: Mohr Siebeck
  • 2008, Harald Hagemann, introduction à la reprise du texte de Friedrich Lutz, "Verstehen und Verständigung in der Wirtschaftswissenschaft" [1967}[Compréhension et communication en économie], In: Nils Goldschmidt et Michael Wohlgemuth, dir., Grundtexte zur Freiburger Tradition der Ordnungsökonomik [Textes fondamentaux sur la tradition de l'école économique de Fribourg], Tübingen: Mohr Siebeck, pp273-278