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Entrepreneur institutionnel

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Depuis les années 1990, l'approche institutionnelle est devenue l'une des théories les plus en vue dans l'analyse organisationnelle. Plutôt focalisé, à ses débuts, sur le processus mimétique (routines, mèmes) par lequel les organisations finissent par adopter le même genre de comportement dans un domaine d'activité, l'accent a changé au cours de ces dernières années en se concentrant sur les problèmes du changement institutionnel et de la relation entre la structure et l'agence. Par l'intermédiaire de Nelson Philips, la théorie de l'entrepreneur institutionnel s'est dirigée vers une approche discursive de l'institutionnalisation. Plus largement, l'entrepreneuriat institutionnel désigner un acteur isolé mais plus souvent des groupes d'individus et d'entités qui, par une action collective, cherchent à transformer les institutions.

L'entrepreneur, un changeur endogène des institutions

Shmuel N. Eisenstadt fut le premier à introduire le concept d'entrepreneur institutionnel en 1980. Ensuite, Paul DiMaggio en 1988[1], a réintroduit la notion d'agence à l'analyse institutionnelle. De nouvelles institutions surviennent lorsque des acteurs (entrepreneurs institutionnels) organisés et dotés de ressources suffisantes voient en eux une opportunité de réaliser et de réussir des actions dont ils apprécient fortement la valeur. Cela suppose à la fois une réflexion de la part de l'entrepreneur institutionnel et une réflexivité de son propre intérêt.

Hormis Philip Selznick, la plupart des études institutionnelles de l'organisation ne tenait pas compte des acteurs dans leur rôle d'émergence[2] institutionnelle ou de changement institutionnel. Les premiers institutionnalistes considéraient que tout changement institutionnel était provoqué par des chocs exogènes qui remettait en question les institutions existantes dans un domaine d'activité.

La notion d'entrepreneur institutionnel est apparu comme une voie de recherche possible afin de fournir des explications endogènes au changement institutionnel. L'entrepreneur institutionnel est un acteur stratégique disposant de ressources suffisantes qui mobilise d'autres acteurs dans sa démarche. Il explique comment les acteurs peuvent ainsi orienter les institutions en dépit des pressions du statu-quo[3].

Les individus qui poursuivent leur propre intérêt, individuellement et collectivement, peuvent agir de manière entrepreneuriale pour modifier les schèmes institutionnels qui sont largement suivis comme des pratiques les plus connues et des valeurs culturelles socialement acceptées afin d'améliorer leur propre bien-être subjectif. Un tel entrepreneuriat institutionnel se produit comme une réponse aux inefficacités institutionnelles dans la maximisation de la valeur individuelle ou organisationnelle. Les entrepreneurs institutionnels sont le fer de lance des tentatives collectives pour infuser de nouvelles croyances, de nouvelles normes et valeurs dans les structures sociales. Ils facilitent ainsi le passage à des normes plus valorisées. Souvent, de telles tentatives impliquent des acteurs d'apparence légitimes tels que des agences de régulation (par exemple, les gouvernements) pour faciliter et accélérer l'acceptation sociale, mais les changements peuvent également procéder de manière plus organique avec des acteurs sociaux propageant des innovations individuelles par imitation jusqu'à ce que la nouvelle pratique soit largement diffusée et acceptée.

Est-ce que la notion d'entrepreneur institutionnel est un oxymore ?

Comment l'action d'un individu peut-il changer l'ensemble d'une institution (monnaie, langue, propriété privée, etc) ? La question se pose donc de savoir si l'entrepreneur en tant qu'agent individuel n'est pas un concept contraire à la notion d'institution, voire ne constitue-t-il pas un oxymore ? En effet, l'institution intègre un vaste nombre de pratiques individuelles. Ces actions individuelles peuvent se reproduire, varier ou même contrer une pratique précise, mais une action individuelle, à elle seule, ne peut pas établir, maintenir ou abolir une pratique car une institution se compose de nombreuses actions. Même un acteur individuel très puissant, en établissant une nouvelle pratique, doit compter sur d'autres acteurs qui prennent (ou qui sont forcés de prendre) un certain type d'action.

Face à des arrangements institutionnels existants, ceux qui disposent de privilèges établis, sont susceptibles de défendre le maintien car ils profitent de la situation actuelle. Le premier défi institutionnel des entrepreneurs est d'imposer un changement institutionnel qu'ils soutiennent eux, mais non pas les personnes en situation pour effectuer le changement. Pour ceci, ils ne pourront rarement réussir de façon isolée. Ils tentent de développer des alliances et des coopérations avec d'autres entrepreneurs institutionnels, dont certains bénéficient déjà des arrangements institutionnels mais qui désirent en modifier et de fructifier les gains en retour. Les recherches insistent pour montrer que les entrepreneurs institutionnels agissent toujours « en contexte ». Ils sont encastrés sociologiquement. Plusieurs conditions furent étudier sur les raisons d'apparition de l'entrepreneur institutionnel :

  • La position[4] dans l'environnement social. L'entrepreneur institutionnel doit disposer d'une "permission" (capacité) de jouer un rôle actif dans cette position sociale parmi les différents acteurs sociaux de premier plan.
  • Une perception sur les opportunités d'accès aux ressources nécessaires pour s'engager dans cette activité d'entrepreneur institutionnel
  • Sa situation favorable soit à la marge ou au centre d'une organisation, soit dans les interstices de plusieurs organisations

Une branche des théoriciens de l'entrepreneur institutionnel[5] reprochent l'importation de la notion d'entrepreneur dans la théorie institutionnaliste avec sa conception d'un acteur individuel stratégique. En tant que tel, il comporte de fortes connotations positives, chargées émotionnellement dans l'imaginaire populaire. L'entrepreneur est le leader héroîque, celui qui fait ce qu'il faut faire, même dans des conditions défavorables. Il est le destructeur créatif schumpétérien, le transporteur du progrès. Par conséquent, les livres d'histoire de l'entrepreneuriat institutionnel sont généralement des histoires à succès qui représentent des entrepreneurs qui ne sont pas contraints par un contexte socioculturel et qui ont une démarche de résolution rationnelle directe des problèmes. Cela conduit, en somme, à une vision managériale de la création et de la destruction d'institutions. Cette approche réduit la théorie institutionnaliste à une perspective fonctionnelle dans laquelle un agent (individu) peut déclencher un changement une fois que toutes les exigences de terrain sont en place. Hors, l'entrepreneur institutionnel n'est pas un deus ex machina dont il faut considérer l'évolution sur une frise de temps linéaire. Bien souvent, l'analyse de l'entrepreneur institutionnel est tenue à l'écart des efforts collectifs, des échecs et des tentatives répétées, des retours d'expérience, des commentaires externes et des interdépendances dans lesquels l'histoire des institutions est si riche.

Dans cette perspective, les institutions ont tendance à devenir des outils pour résoudre des problèmes particuliers plutôt que des modes de vie et des expressions de cultures (sous-cultures) sociétales. Et une fois que ces outils sont devenus de simples outils rationnels, ils sont facilement intégrés dans une logique capitaliste d'efficacité et de maximisation.

Il y a dans cette approche de l'entrepreneur institutionnel une confusion de la pratique et de l'action, autrement dit une assimilation de la logique d'action (praxéologie) avec la diversité et l'hétérogénéité des interprétations, les variations des pratiques et les autres formes de la thymologie. Ces auteurs considèrent qu'il peut y avoir plusieurs logiques à l'action en fonction des institutions, et que certaines sont innées voire uniques à une institution particulière. Leur erreur provient de la mauvaise prise en compte de la logique d'action qui est universelle et atemporelle et une confusion avec l'observation de l'action. La logique d'action n'est pas un acte de décision purement individuelle, elle ne l'a jamais été. Elle s'inscrit dans un cadre culturel où les interactions sont nombreuses. Par conséquent, l'analyse de l'entrepreneur institutionnel doit mettre en évidence la conscience et la réflexivité des acteurs et la compréhension de l'évolution des institutions constituées par l'action intentionnelle des acteurs, prise en compte dans une analyse processuelle et de leurs conséquences souvent inattendues.

Avec l'arrivée de l'innovation technologique des blockchains qui réduisent le coût de l'entrepreneuriat institutionnel, de nouvelles perspectives s'offrent à l'expansion des technologies institutionnelles notamment par les propriétés des réplicateurs dynamiques. Les individus choisissent les technologies institutionnelles en fonction de la baisse des coûts de transaction attendue dans les échanges grâce à ces technologies ainsi que par leurs anticipations concernant l'adoption de ces technologies par d'autres groupes dans l'attente d'atteindre une taille de réseau critique.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Paul DiMaggio, 1988, "Interest and Agency in Institutional Theory", In: Lynne Zucker, dir., "Instititutional Patterns and Organizations", Cambridge (Mass.): Ballinger Publishing Company, pp3-21
  2. Barbara Czarniawska, 2009, "Emerging Institutions: Pyramids or Anthills?", Organization Studies, 30(4), pp423-441
  3. En partant d'une autre considération, Milton et Rose Friedman ont utilisé l'expression, judicieuse d'ailleurs, de la tyrannie du statu quo. La motivation de l'entrepreneur institutionnel libertarien serait donc une recherche d'en terminer avec cette tyrannie de l'immobilisme.
  4. * J. Battilana, 2006, Agency and institutions: the enabling role of individuals’ social position, Organization, 13(5), pp653-676
  5. Principalement les théoriciens de l'action symbolique interactionniste, phénoménologique ou structurationniste

Bibliographie

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Liens externes