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Droit de résistance à l'oppression

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Le droit de résistance à l'oppression est un droit naturel, consacré en particulier par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 (article 2), et celle de 1793 (articles 33, 34 35).

Historique

Les origines bibliques et romaines

Ce droit n'a naturellement pas toujours été formulé aussi clairement, et son exercice a évolué au cours des siècles. On peut en trouver une expression mémorable dans le refus des Hébreux de se soumettre au joug pharaonique. En respectant la loi mosaïque, le peuple juif se soumet à l'autorité de Dieu, non au pouvoir d'autres hommes. Pour l'exprimer en termes contemporains, le Droit ne repose pas sur le consentement, le contrat, au contraire de la légitimité d'une organisation politique.

Par la suite, le droit romain offrira indirectement un socle à cette notion de résistance légitime, avec la maxime Vim vi repellere licet (« il est permis de repousser la force par la force »), que le droit canon actualisera bien plus tard.

Le droit canon contre la tyrannie

Au moyen âge, alors que le pouvoir des princes séculiers ne cesse de s'étendre, les autorités pontificales et plusieurs canonistes se prononcent en faveur de la déposition des monarques lorsqu'ils attentent aux intérêts de l'Église et de la chrétienté. En effet, dans le contexte de la Querelle des investitures et la promulgation des Dictatus Papae (1075), Grégoire VII et ses successeurs ont tenu à renforcer le pouvoir papal afin de rappeler aux princes qu'ils ne sont pas au-dessus du Droit naturel divin. Tous les décrets ont leur importance et leur raison d'être, mais deux d'entre eux constitueront en particulier un véritable séisme juridique : le 12e, qui déclare que le pape peut déposer les empereurs, et le 27e et dernier, qui délie les sujets de l'autorité d'un prince s'étant gravement méconduit. Avec la révolution papale, on assiste donc à un événement de taille : c'est la première fois que le pouvoir politique fait l'objet d'une désacralisation aussi nette depuis certains passages vétéro-testamentaires.

En publiant son Policraticus] (1159, l'évêque Jean de Salisbury pose aussi la question de la légitimité de résister par la force à un tyran. Dans cette logique, saint Thomas d'Aquin estimera même que le tyrannicide est licite. Pour saint Thomas d’Aquin, il faut distinguer la « loi de Dieu » et la « loi humaine ». L'oppression injuste des sujets n'est pas une situation que Dieu souhaite. Aussi, « l’homme n’est pas obligé d’obéir à la loi, si sa résistance n’entraîne pas de scandale ou d’inconvénient majeur »[1]. C'est d'ailleurs sur cette voie que s'engageront plusieurs pamphlétaires ou savants opposés aux abus du pouvoir monarchique, bien résolus à contrer la montée de l'absolutisme.

Certains auteurs appartenant à la Seconde Scolastique reprendront cette notion au XVIe siècle. Pour eux, il est légitime de se défendre contre les excès d'un prince tyrannique, catholique ou non. En revanche, tout citoyen est tenu de se conformer aux prescrits du souverain, fût-il impie, s'ils sont conformes au Droit naturel. Au sein de ce courant, le dominicain Francisco de Vitoria justifie la déposition d'un roi catholique par le Souverain Pontife[2]:

« Le pape peut déposer les rois et en constituer d'autres, comme il l'a déjà fait. Et aucun ne doit nier ce droit. »
    — Francisco de Vitoria, De Indis (1532)

Peu après, au XVIIe siècle, plusieurs jésuites de l'école de Salamanque, en tête desquels Juan de Mariana et Francisco Suárez, appuieront l'idée qu'il est permis au peuple de se préserver en renversant un monarque qui outrepasse ses droits. En clair, la souveraineté à été transférée par le peuple au prince, mais cela n'implique pas que les citoyens se voient ipso facto privés de leurs droits naturels. Le souverain temporel reste, certes, au-dessus de chacun de ses sujets, mais ne peut contrevenir aux droits de la communauté civile dans son ensemble, ni a fortiori se considérer comme supérieur aux lois naturelles. Mariana exposera cette idée dans son De Rege et regis institutione (1599).

C'est à la demande du pape Paul V que Suarez répondra directement aux arguments du roi d'Angleterre, Jacques Ier, qui estimait légitime de demander au peuple un serment d'allégeance totale. Pour le jésuite, qui reprend la thèse de Vitoria, étant donné qu'un roi chrétien reste un fidèle parmi d'autres, le pape peut inviter la population à le déposer s'il persévère dans ses écarts. Sa thèse anti-absolutiste, Defensio Fidei catholicae et apostolicae adversus anglicanae sectae errores (1613), suscitera évidemment une réaction violente des autorités temporelles, puisque son livre sera brûlé publiquement non seulement en Angleterre, mais aussi à Paris le 26 juin 1614.

Guerres de religion et tyrannicide

Searchtool-80%.png Article connexe : tyrannicide.

Pour revenir un peu arrière, en pleine guerre de religion, le droit de résistance à l'oppression, par voie du tyrannicide, a également été invoqué et même parfois appliqué par les monarchomaques protestants puis par la Ligue catholique (cf. l'assassinat du roi Henri III par Jacques Clément le 1er août 1589, acte que saluera Mariana et en lequel il verra « l'honneur de la Gaule ») pour contester le pouvoir politique en place.

Il est à noter que les protestants sont restés divisés sur la question, puisque Martin Luther considérait que, bien que le chrétien ne fût pas tenu d'obéir aux ordres impies, il lui était expressément interdit de se défendre par la force contre un pouvoir jugé arbitraire.

Or il faut noter l'avis opposé de Philippe Duplessis-Mornay et Hubert Languet, les deux auteurs présumés du pamphlet Vindiciae contra Tyrannos (1579), qu'ils ont signé du pseudonyme Junius Brutus (du nom du fondateur de la république romaine, qui condamna à l'exil le roi Tarquin le superbe). Selon ces deux publicistes, l'Alliance passée entre les croyants et Dieu prime tout contrat conclu avec un monarque et, partant, quelque soumission à celui-ci. Dans leur esprit, la passivité des sujets devant les méfaits d'un monarque inique est une attitude coupable. Cependant, comme pour saint Thomas, la résistance ne s'organise pas de la même manière selon que le prince est un « tyran en titre » (un usurpateur pur et simple) ou un "tyran en exercice" (dont la source du pouvoir est légitime; mais qui, par son action, a trahi la confiance populaire). Dans le premier cas, chacun est apte à le contrer; mais dans le second seuls des magistrats avisés seront tenus de s'opposer par la force au tyran. En effet, pour Junius Brutus :

« Les princes sont élus par Dieu, mais constitués par le peuple. Le prince est supérieur à chaque particulier, mais inférieur à tous, et à ceux qui représentent le tout, c'est-à-dire les magistrats ou les grands. Il intervient dans l'institution du roi un contrat entre le prince et le peuple; contrat tacite ou express, naturel ou civil, dont les officiers du roi sont les gardiens. Celui qui viole ce pacte est un tyran ab exercitio. Les magistrats ont le droit de le ramener au devoir par la force, s'ils ne peuvent faire autrement. »

Locke et la résistance à l'oppression

Un siècle plus tard, ce sera John Locke qui définira le droit naturel de résister à l'oppression en ces termes :

« [...]chaque fois que les législateurs tentent de saisir et de détruire les biens du peuple, ou de le réduire à l'esclavage d'un pouvoir arbitraire, ils entrent en guerre contre lui ; dès lors, il est dispensé d'obéir et il n'a plus qu'à se fier au remède que Dieu a donné à tous les hommes contre la force et la violence. Aussi, dès que le pouvoir législatif transgresse cette règle fondamentale de la société, dès que l'ambition, la peur, la folie, ou la corruption l'incitent à essayer, soit de saisir lui-même une puissance qui le rende absolument maître de la vie des sujets, de leurs libertés et de leurs patrimoines, soit de placer une telle puissance entre les mains d'un tiers, cet abus de confiance le fait déchoir des fonctions d'autorité dont le peuple l'avait chargé à des fins absolument opposées ; le pouvoir fait retour au peuple, qui a le droit de reprendre sa liberté originelle et d'établir telle législature nouvelle que bon lui semble pour assurer sa sûreté et sa sécurité, qui sont la fin qu'il poursuit dans l'état social. »

Le droit de résistance à l'oppression fiscale

L'oppression peut aussi être fiscale, selon certains auteurs, libéraux ou non. Ainsi, Adam Smith écrivait il au XVIIIe siècle dans ses Leçons sur la jurisprudence :

« Il ne fait pas doute qu'un impôt exorbitant, équivalant par exemple, en temps de paix comme en temps de guerre, à la moitié ou même au cinquième de la richesse de la nation, justifierait, comme tout abus caractérisé de pouvoir, la résistance du peuple. »

Dans les années 1930, le juriste Gaston Jèze dans ses cours de législation financière allait dans le même sens, écrivant qu'une pression fiscale intolérable était source d'oppression. Le droit positif a depuis longtemps contourné cet obstacle en invoquant un présumé "consentement à l'impôt"

Citations

  • « L'élimination physique de la Bête est bien vue par Dieu si grâce à elle on libère un peuple. » (Thomas d'Aquin)

Notes et références

  1. Thomas d’Aquin, Somme théologique, Vol II, q. 96, article 4 (traduit en français, Paris, CERF, 1984, t. 2, p607).
  2. Francisco de Vitoria, De Indis, I, 7, 1532, [lire en ligne]

Voir aussi

Liens externes

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