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Efficience et rationalité

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L’efficience des marchés et la rationalité des acteurs sont accusés d’être des « dogmes » responsables de la crise de 2008 (revue Esprit, novembre 2009). C’est une méprise. Ces notions ne sont pas dogmatiques. Elles signifient que les acteurs sociaux et les agents économiques sont guidés par le sens commun. En dépit d’incertitudes et de biais cognitifs, des inférences raisonnables opèrent un agencement sensé eu égard aux informations en circulation.

Le modèle de la rationalité des acteurs appréhende les comportements comme résultant de choix individuels compréhensibles. L’individu souscrit à une croyance ou décide d’une action sur la base de raisons qui font qu’il perçoit telle option comme légitime, acceptable ou avisée. On dira qu’un facteur est la cause de l’adhésion d’un individu à un choix s’il est, à ses yeux, la conséquence d’un faisceau de raisons dont les éléments lui sont acceptables, et s’il n’existe pas, pour lui, à portée de vue, un système de raisons préférable qui l’amènerait à souscrire à un autre facteur plutôt qu’à celui-ci.

Ce qui vaut dans l’ordre de la connaissance fonctionne aussi dans la sphère économique. L’efficience ne signifie ni prescience ni perfection présente, mais ajustements en fonction d’informations nouvelles qui infirment en permanence les précédentes. Cette hypothèse heuristique ne saurait être mésinterprétée en loi normative.

L’efficience des marchés signifie qu’ils font office de main invisible reflétant un kaléidoscope d’informations, y compris des prévisions fausses mais rationnelles, qui établissent une vérité virtuelle des prix, apte à être rectifiée grâce à l’interaction d’un éventail d’individus ayant des valeurs et des goûts divergents. L’anticipation sur la valeur future entraîne fluctuations permanentes et corrections incessantes. Les arrivées de résultats sont l’équivalent des relevés de sondes météorologiques. Ces données parcellaires révèlent des écarts entre valeurs effectives et fictives. Elles ne recoupent pas les attentes des acteurs et produisent des inférences excessives (projection de la singularité de données fragmentaires vers la généralité). Mais en fonction d’un contexte donné et de ressources disponibles, les acteurs sont capables de faire des choix appropriés, et s’ils sont inopinés il y a très souvent une bonne explication, même si elle n’est pas toujours perçue par celui qui n’est pas partie prenante.

Sur les marchés, les attitudes expectantes ont des ressorts rationnels, sans qu’il faille conclure à la sagacité de l’économiste par rapport à la courte vue de l’acteur économique. Les réticences des seconds ne résultent pas d’une distorsion déraisonnable entre perception et appréciation. Ils ont conscience des limites de leur modeste expertise. Pour d’évidentes raisons de disponibilité, ils ne disposent pas des mêmes délais que les économistes pour scruter les données disponibles puis forger leur jugement. Mais proportionnellement, ils ne sont pas moins lucides. Si leur rapport à la confiance est plus problématique, c’est surtout parce que la spéculation financière est distincte de la spéculation intellectuelle. Engager du crédit intellectuel ou ses deniers propres n’a pas le même enjeu.

Sans doute vaudrait-il mieux désigner ces notions sous le label de virtualité de l’efficience des marchés et de règle de la rationalité des conduites. Mais malgré leur inachèvement, même partiellement fictives, elles demeurent plus fécondes que les hypothèses et modèles concurrents.

Bibliographie

  • Eugène Fama, « The Behavior of Stock Market Prices », Journal of Business, 1965.
  • Marc Crapez, Un besoin de certitudes. Anatomie des crises actuelles, éd. Michalon, 2010.


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