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Austro-Public Choice

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Né de la rencontre entre l'école autrichienne d'économie et la l'école de Virginie, l’austro-public choice marie la finesse méthodologique du subjectivisme de l’école autrichienne et la lucidité désenchantée du public choice vis-à-vis des décideurs politiques. Cette alliance éclaire d’un même faisceau l’arène des marchés et celle de la politique, traquant dans chacune les incitations, les asymétries d’information et les rentes dissimulées, pour dévoiler les ressorts cachés des décisions collectives et les limites des décideurs de l’État et des collectivités publiques locales.

Ce mariage des traditions de l'école autrichienne avec l'école du public choice traite en partie de l'analyse économique de l'action politique. En tant que tel, le processus entrepreneurial non marchand entre également dans ce cadre d'analyse, notamment par son aspect quotidien pratiqué dans le contexte économique et politique reconnaissable dans l'entrepreneuriat politique. Pourtant, tous les économistes n'acceptent pas cette alliance forcée (Bernardo Ferrero: 2020). Thomas DiLorenzo et Walter Block (2016) démontrent que les chercheurs de la tradition du Public choice s'appuient sur un formalisme néoclassique qui les conduit à se séparer de l'école autrichienne.

Fondements méthodologiques

L'austro-public choice, c'est-à-dire l'étude des décisions publiques dans un cadre d'analyse de l'école autrichienne doit son nom à la même préoccupation que l'école du public choice tout en s'éloignant de sa méthodologie. Lors de la présentation de son prix Nobel d'économie en 1986, James Buchanan a défini les trois éléments constitutifs du fondement de la théorie des choix publics : la politique en tant que marché d'échange, l'individualisme méthodologique et l'homo economicus. Il apparaît que l'école autrichienne partage les deux premiers critères avec l'école du public choice, notamment le premier qu'elle définit par la catallaxie c'est-à-dire la science de l'échange, mais qu'elle s'écarte du dernier critère de l'homo oeconomicus.

Piliers partagés

Au cœur de l’austro-public choice se trouve un socle commun entre l'école autrichienne et l'école de Virginie : l'individualisme méthodologique. L’individu est l’unité fondamentale de toute analyse, qu’elle porte sur les marchés ou sur les institutions politiques. Ni l’État, ni la société, ni le marché ne sont des acteurs autonomes : ils ne sont que la résultante des choix, des interactions et parfois des erreurs d’êtres humains bien réels.

À cette base s’ajoute la figure de l’homo economicus, mais revisitée. Loin d’être un calculateur froid obsédé par le seul profit monétaire, l’individu cherche à améliorer sa situation selon ses propres critères : statut social, sécurité, reconnaissance, valeurs morales ou gains financiers. Ce réalisme élargi permet d’intégrer, dans une même grille de lecture, l’action économique et l’action politique.

Divergences méthodologiques

La convergence sur les principes n’empêche pas des écarts profonds dans la manière de pratiquer l’analyse.

Le public choice s’inscrit dans une tradition positiviste : modèles hypothétiques, scénarios simplifiés, « as-if explanations » où l’on juge la valeur d’une théorie à sa capacité prédictive plutôt qu’à la véracité littérale de ses hypothèses.

Les autrichiens, eux, restent fidèles à la praxéologie : un raisonnement déductif partant d’axiomes indiscutables, refusant les analogies floues et les hypothèses irréalistes. Pour Ludwig von Mises, assimiler l’État à une « super-firme » (politics-as-exchange) ne constitue pas une explication valide : c’est une métaphore séduisante, mais dépourvue de fondement praxéologique.

La différence notable avec l'école des choix publics repose, selon Roger Arnold, sur l'impossibilité de considérer l'État comme une entreprise, car les autrichiens n'utilisent pas la théorie micro-économique de l'École du Public Choice standard avec sa formulation mathématique, par exemple les courbes d'offre et de demande, ils utilisent la praxéologie. En effet, la théorie de l'État par James M. Buchanan et Gordon Tullock en tant que super entreprise, est susceptible d'être analysée par les outils agrégés de l'offre et de la demande.

Pour Ludwig von Mises, l'analyse de l'offre et de la demande est une construction mentale que l'économiste utilise pour analyser les conséquences des échanges volontaires. Dans son livre Bureaucratie, il démontre que l'État développe de nombreuses activités catégoriquement différentes de celles des entreprises commerciales. Par conséquent, il ne se prête pas à l'analyse de l'offre et de la demande. La praxéologie misesienne transcende la théorie micro-économique néo-classique fondée sur la théorie de l'utilité et de la recherche, donc des intérêts particuliers des agents économiques. Elle fournit une théorie générale de l'action humaine applicable au monde réel des individus agissants.

Or, la théorie de l'école des choix publics est plus étroite car elle est développée à partir de l'hypothèse de l'homme économique (homo oeconomicus). L'être humain doté de la connaissance y semble idéal et parfait, ou alors il est tiré par les études statistiques de la notion d'homme moyen.

Pour l'auteur autrichien, toute action humaine est un thème de la praxéologie. Par conséquent, l'étude du marché politique est analysable avec les mêmes outils que ceux qui analysent la catallactique (science des échanges). L'austro-public choice traite donc des actions réelles d'hommes et de femmes réels, qui vivent et agissent sur le marché des décisions publiques avec toutes leurs forces, leurs faiblesses et leurs limites.

Cette divergence méthodologique se reflète également dans la conception même des droits de propriété. Pour le public choice, ces droits sont souvent traités comme des données institutionnelles ou des paramètres d’analyse : leur contenu importe moins que la manière dont ils influencent les comportements au sein d’un cadre donné. L’école autrichienne, en revanche, voit dans la définition et la protection effective de ces droits le cœur même du processus de marché : sans droits clairement attribués, transférables et opposables, aucune coordination sociale efficace n’est possible. Autrement dit, le public choice les considère comme une variable du jeu politique, tandis que les autrichiens les envisagent comme une condition préalable non négociable.

Ce clivage méthodologique n’est pas qu’une question d’outillage intellectuel : il conditionne la manière même dont chacune des écoles conçoit le rôle des institutions et les limites du marché politique.

Concepts clés hérités de l’école autrichienne

Vigilance entrepreneuriale (Kirzner)

Pour Israel Kirzner, l’entrepreneur n’est pas seulement celui qui prend des risques financiers ou qui invente un produit : c’est d’abord un veilleur, capable de percevoir des opportunités là où d’autres ne voient que la routine. Cette vigilance repose sur une sensibilité particulière aux écarts informationnels ; ces décalages entre ce qui est et ce qui pourrait être, entre le prix actuel et la valeur potentielle, entre les usages existants et les besoins latents.

Dans cette optique, l’interventionnisme et la réglementation ne sont pas seulement des contraintes administratives : ils agissent comme des brouilleurs de signaux. En réduisant la fluidité des échanges et en altérant les indicateurs du marché, ils endorment la vigilance et réduisent l’incitation à la découverte.

Rôle de l’information

L’économie autrichienne place l’information au cœur de la coordination sociale. Les opportunités apparaissent précisément parce que tous les acteurs ne disposent pas des mêmes connaissances au même moment.

Mais il existe un obstacle plus profond encore : le problème métacognitif du « ne pas savoir qu’on peut savoir ». Tant que l’on ignore l’existence d’un savoir pertinent, aucune recherche active n’est déclenchée.

L’État, par ses politiques monétaires ou réglementaires, peut aggraver ce déséquilibre : manipuler les taux d’intérêt, altérer la masse monétaire ou imposer des obligations d’information biaisées revient à fausser le champ de vision des acteurs et à perturber la découverte entrepreneuriale.

Liberté entrepreneuriale

La liberté d’entreprendre n’est pas une clause décorative : elle constitue la condition sine qua non pour que la vigilance se traduise en action. C’est dans un espace libéré de barrières artificielles que l’esprit d’entreprise peut identifier, tester et réaliser des innovations bénéfiques.

Toute restriction réglementaire ne se contente pas d’ajouter un coût ou un délai : elle inhibe la dynamique même de l’exploration. Un environnement où l’initiative est soumise à autorisation préalable, quotas ou des normes excessives finit par rétrécir le champ de la découverte, laissant passer des gains collectifs qui ne se matérialiseront jamais.

Concepts clés hérités du public choice

Incitations politiques

Dans la perspective du public choice, les responsables publics ne sont pas des gardiens désintéressés du bien commun, mais des acteurs soumis aux mêmes logiques d’incitation que les agents économiques. Leur comportement est orienté par des objectifs personnels : réélection, prestige, extension de leur influence, augmentation de leurs budgets.

Charles Sprading l’avait résumé, dès le début du XX_me siècle, en une mécanique implacable : plus il y a de lois, plus l’ignorance des citoyens croît ; plus les infractions sont nombreuses, plus le contrôle se renforce ; et plus le contrôle se renforce, plus l’État étend sa sphère d’action. C’est un cercle de rétroaction qui, une fois enclenché, tend à l’hypertrophie de l’appareil étatique.

Politiques comme échanges ('politics-as-exchange')

James Buchanan a popularisé l’idée que les décisions politiques peuvent être comprises comme des transactions : citoyens et groupes d’intérêt échangent promesses, votes et soutiens, tandis que les élus offrent des politiques, des subventions ou des régulations en retour.

Cette vision a l’avantage de décrypter les interactions politiques en termes d’incitations et de coûts d’opportunité. Mais la critique autrichienne souligne que l’analogie avec le marché reste limitée : contrairement à l’échange volontaire sur un marché, l’échange politique repose sur un cadre coercitif où certains acteurs imposent leur volonté à d’autres, souvent sans consentement explicite.

Défaillances gouvernementales

Pour Buchanan, la formule « *Markets fail; governments fail* » rappelle que si les marchés peuvent connaître des imperfections, les gouvernements en connaissent aussi, et souvent plus coûteuses.

L’école autrichienne, avec Friedrich Hayek en figure de proue, insiste, notamment dans son ouvrage 'La route de la servitude', sur le danger structurel d’une extension excessive des fonctions de l’État : à mesure que l’intervention s’accroît, le champ des décisions libres se rétrécit, jusqu’à ce que la logique interne du système tende vers un contrôle total. Cette dérive n’est pas un accident, mais une conséquence prévisible d’incitations mal alignées et d’un monopole coercitif sans contre-pouvoir effectif.

Applications spécifiques

Concurrence fiscale

Peter Boettke met en avant la concurrence fiscale comme mécanisme de discipline des pouvoirs publics. Lorsque plusieurs juridictions coexistent et rivalisent pour attirer résidents et capitaux, elles sont incitées à protéger les droits de propriété et à offrir un meilleur rapport entre fiscalité et services.

Le citoyen peut alors « voter avec ses pieds » : choisir sa résidence, non pas seulement pour des raisons culturelles ou climatiques, mais en fonction du fardeau fiscal et de la qualité des prestations publiques.

La décentralisation et la diversité des régimes deviennent ainsi un laboratoire d’expérimentation institutionnelle, permettant d’identifier les modèles les plus attractifs et les plus respectueux des libertés.

Entrepreneuriat politique et marché des idées

Pour Murray Rothbard, l’arène politique fonctionne comme un marché des idées, où l’opinion publique électorale n’est pas spontanée mais « manufacturée ». Les « faiseurs d’opinion » (journalistes, chroniqueurs, intellectuels médiatisés), ne créent pas nécessairement les idées, mais les sélectionnent, les transforment et les propulsent vers le grand public.

Cette diffusion obéit à une logique comparable à celle de la distribution commerciale : un produit (ici, une idée) doit emprunter un circuit de distribution efficace pour atteindre son public cible. De la même manière qu’un bien physique ne trouve pas preneur sans réseau logistique, une idée ne s’impose pas sans relais médiatiques et stratèges capables d’ouvrir l’accès aux « rayons » de l’espace public.

Analyse des vides de propriété et de la prédation des décideurs politiques

Richard B. Coffman[1], à travers la métaphore du *mud farming* de Faulkner[2], illustre un principe central : lorsqu’un bien ou un service n’a pas de propriétaire clairement identifié, il devient vulnérable à la prédation.

Le *mud farmer* crée artificiellement un obstacle pour monnayer sa suppression : un comportement qui trouve son équivalent dans l’extorsion politique, où des menaces réglementaires ou fiscales sont brandies pour soutirer contributions et faveurs.

La leçon est limpide : seuls des droits de propriété clairs, exclusifs et opposables réduisent l’espace de ces pratiques parasitaires, qu’elles soient rurales et artisanales ou urbaines et légales.

La hiérarchie des droits dans l'approche de l'austro-public choice

  • Hiérarchie pervertie des droits. Dans les systèmes étatiques, la structure implicite des droits tend à s’inverser au détriment du véritable propriétaire. Le droit d’usage du citoyen, pourtant légitime, se retrouve subordonné à un « droit supérieur » que l’État s’octroie sur toute propriété privée. Ce droit fictif ouvre la voie à des formes légales ou illégales d’appropriation de facto par des prédateurs, qu’ils soient fonctionnaires, groupes d’intérêt ou acteurs opportunistes exploitant un vide juridique. Les zones de propriété floue deviennent ainsi un terrain fertile pour la capture parasitaire d'une rente économique.
  • . Tragédie des communs. Lorsque les ressources sont collectives et mal défendues, elles subissent la logique de la surexploitation : les bisons de la prairie américaine ou les parcs publics en sont des exemples classiques. N’appartenant à personne, elles peuvent être pillées par tous, sans incitation à la préservation. À l’inverse, la propriété privée clairement définie, qu’il s’agisse d’un troupeau ou d’une route à péage, aligne les intérêts de l’exploitant et ceux de la ressource. Le propriétaire a tout intérêt à maintenir la valeur et la productivité de son bien, car son capital en dépend.
  • . Solution proposée. L’approche de l'austro-public choice repose sur la mise en place de droits de propriété exclusifs, transférables et défendus par des moyens contractuels. La protection des biens et la résolution des litiges reposeraient sur des mécanismes privés : compagnies d’assurance, agences de sécurité, tribunaux arbitraux, plutôt que sur un monopole public. En retirant à l’État la capacité de s’arroger un droit supérieur à celui des propriétaires, on réduit drastiquement les opportunités de prédation politique et on rétablit un ordre social où la richesse découle de la création de valeur, non de sa capture illégitime.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Richard B. Coffman, 1992, "Mud'Farming and Political Extortion", The Freeman, July, Vol 42, n°7, pp258-259
  2. La métaphore du mud farming vient d’un épisode du roman 'The Reivers' de William Faulkner. Un fermier, la nuit, laboure volontairement un tronçon de route pour le transformer en bourbier. Le jour, il attend que les voitures s’y embourbent pour proposer, contre un prix élevé, de les tirer de la boue avec ses mules. Faulkner s’en sert pour montrer un type « d’entrepreneur » qui ne crée aucune valeur réelle : il fabrique artificiellement un problème pour vendre la solution. Économiquement, c’est une image de la prédation opportuniste qui prospère dans des zones où les droits de propriété sont flous ou mal protégés , un terrain « public » en pratique sans propriétaire vigilant.

Bibliographie

  • 1987, Peter Boettke, "Virginia Political Economy: A View from Vienna", Market Process, Vol 5, n°2, Fall, pp7-15
  • 2014, Peter Boettke, N. Snow, "Political economy and the science of association: a suggested reconstruction of public choice through the alliance of the Vienna, Virginia, and Bloomington schools of political economy", Review of Austrian Economics, Vol 27, n°1, pp97–110