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Individualisme méthodologique

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Introduction

L'individualisme méthodologique est une conception ou démarche qui consiste à expliquer les phénomènes économiques et sociaux à partir de la prémisse selon laquelle tout phénomène social ou économique ne peut pas s'expliquer sans la compréhension d'un acteur humain. En effet, par définition, tous les événements qui fondent l'histoire humaine et donc l'histoire économique, politique et sociale, sont toujours le produit de l'action humaine individuelle, car seuls les êtres individuels agissent, les groupes et structures sociales ne sont pas des êtres à part entière, ils reçoivent uniquement une signification conçue à partir des intentions et projets des acteurs. Une explication individualiste des phénomènes sociaux commence toujours d'une conséquence de la logique du comportement des individus impliqués. Cette approche s'oppose donc au holisme ou à l'organicisme qui caractérise l'épistémologie d'une grande partie des universitaires et intellectuels français, quelle que soit leur discipline.

L'individualisme en économie est au cœur de la critique de toutes sortes de concepts tels que les moyennes ou les indicateurs (niveau de prix) et de tout agrégat macroéconomique tel que l'investissement sectoriel ou national.

La primauté accordée à la coordination des actions individuelles, à la science de l'échange ou à la "catallaxie", et d'une façon générale aux aspects procéduraux de l'interaction individuelle (droit, normes sociales, constitutions, etc.), caractérise les libéraux. Cette insistance sur la coordination des actions individuelles vient de ce que l'ordre social ou l'harmonie sociale par définition est un état où tous les individus réalisent leurs anticipations. C'est donc le problème économique ou social central par excellence.

Les économistes français Quesnay, Du Pont de Nemours (des physiocrates dont le nom vient du grec Physis qui veut dire nature et Kratos qui veut dire règle) et Turgot inventent et développent une économie politique fondée sur les droits naturels de l'homme et la Règle de Droit (contrairement aux anglais qui vont développer une économie politique fondée sur l'utilité et l'utilitarisme de Jeremy Bentham ; les économistes néoclassiques sont les fils de cet utilitarisme). Les Ecossais, à peu près à la même époque avec Adam Ferguson, Adam Smith, David Hume, inventent et développent l'idée du marché comme ordre spontané. Cette combinaison entre les deux courants donne aux économistes libéraux leur spécificité. Ils aiment toujours rappeler la phrase célèbre :

"Laissez-nous faire, laissez-nous passer. Le monde va de lui-même"

Cette phrase légendaire aurait été prononcée par des marchands en réponse à une interrogation de Louis XV qui leur demandait en quoi il pouvait les aider. En fait cette primauté est le fruit d'une réflexion et d'un débat scientifique fondamental et encore aujourd'hui ignoré par le courant dominant néoclassique sur l'impossibilité de coordonner les actions des individus aux buts multiples et souvent contradictoires, parfois mêmes inconnus d'eux, par une procédure de planification centralisée ou décentralisée. Car seul l'ordre spontané du marché fondé sur les droits de propriété et l'échange réciproque et volontaire sont capables de générer les incitations, les informations et les connaissances tacites nécessaires à la coordination des actions des individus. Cette impossibilité de planifier de manière externe – centralisée ou décentralisée – la coordination des actions individuelles explique l'importance accordée par les libéraux et les libertariens aux solutions de marché. Ils ne sont pas en faveur de ces solutions par goût ou par intérêt particulier, mais après une réflexion sur le problème central de la dispersion des connaissances dans un monde où l'ignorance est fondamentale et où les finalités sont multiples, contradictoires et ouvertes.

Coordination dans le phénomène social

Les acteurs individuels sont à la base de l'explication des phénomènes sociaux. En effet, l’acteur doit être considéré en principe comme ayant des raisons fortes de faire ce qu’il fait et de croire ce qu’il croit, selon un certain calcul, qu'il soit d'ordre subjectif, ou de coût-bénéfice. Tous les individus ont des besoins de jouissances différents, dont certains ont des motivations et des raisons pouvant converger vers un objectif déterminé. Les différents critères de choix individuels, implicites ou explicites, ne peuvent être enfermés ni dans un système d'explication unique, ni d'un point de vue uniquement utilitariste.

Les actions réciproques des différents acteurs, éphémères ou durables, sont façonnées à partir des attentes et motivations des individus dans leurs rapports mutuels. Seuls les individus pris dans leur singularité, les interactions concrètes d’individus, et non des entités sociales établies et statiques, constituent l'objet de la coordination dans le phénomène social.

Les critiques infondées de l'individualisme méthodologique

L'individualisme méthodologique est souvent la cible de critiques infondées. Un étudiant de Karl Popper[1] Joseph Agassi, inventa le terme d'individualisme institutionnel en remplacement de l'individualisme méthodologique, au prétexte que les structures institutionnelles existent et qu'elles affectent les choix individuels bien qu'admettant que seuls les individus ont des objectifs et des responsabilités. Mais, la plupart des chercheurs libéraux, notamment ceux de l'école autrichienne (à la différence de l'école néoclassique), soutiennent un point de vue similaire.

Lars Udéhn, pour sa part, reproche à l'individualisme méthodologique d'être un isolationalisme méthodologique. En prenant appui sur les exemples de la théorie du contrat social (contractualisme de James Buchanan) ou de l'équilibre général (Léon Walras, Gérard Debreu, Kenneth J. Arrow), les individus sont présentés comme isolés, sans relations sociales ou institutionnelles. Kenneth Arrow nie cette allégation, car les mécanismes des prix impliquent des interactions sociales ainsi que des structures. Les phénomènes sociaux ne peuvent être réduits à des individus isolés. Tout comportement individuel est toujours lié par des relations sociales. La théorie du contrat social ou la théorie de l'équilibre général impliquent que des individus communiquent entre eux, en adoptant des hypothèses tacites, des interprétations ou des règles de conduite. L'échange suppose le transfert des droits de propriété, dont les règles sont établies par des interactions sociales préalables. Les droits de propriété exigent un système de protection de ces droits (enforcement). A la différence de l'école autrichienne, l'école néoclassique et l'école contractualiste présupposent des relations entre des individus et le contexte institutionnel. Par contre, l'école autrichienne, soutient un individualisme méthodologique, en plaçant explicitement l'individu dans une situation du réel, et non sur un tableau noir.

Citations

  • «  L’individualisme méthodologique est la doctrine tout à fait inattaquable selon laquelle nous devons réduire tous les phénomènes collectifs aux actions, interactions, buts, espoirs et pensées des individus et aux traditions créées et préservées par les individus. » (Karl Popper, Misère de l’historicisme)
  • « Il y a quelque chose au monde que les sciences naturelles sont impuissantes à décrire ou à analyser. Il y a des événements qui n'appartiennent pas aux catégories d'événements que les procédures des sciences naturelles sont aptes à observer ou décrire. Il s'agit de l'action humaine. » (Ludwig von Mises)
  • « Ce ne sont pas nos sens, mais notre entendement — un processus mental — qui nous fait reconnaître des entités sociales. » (Ludwig von Mises)
  • « L'individualisme méthodologique consiste à expliquer les phénomènes économiques et sociaux seulement à partir des actions, réactions et interactions entre les individus qui composent la société. (...) Comment une société peut-elle avoir des valeurs ou des préférences indépendamment des individus qui la constituent ? Les concepts holistes imprègnent le discours ambiant et sont une source permanente d'erreurs de raisonnement. » (Bertrand Lemennicier)
  • « Comme l'a bien expliqué la philosophe américaine Ayn Rand, on peut comprendre la société en partant de l'individu, on ne peut pas comprendre l'individu en partant de la société (c'est-à-dire d'une vision collectiviste arbitraire). » (Pascal Salin)
  • « Qu'il existe des nations, des états et des églises, qu'il y ait coopération sociale dans la division du travail, cela ne devient visible que dans les actions de certains individus. Personne n'a jamais perçu une nation sans en percevoir les membres. En ce sens, on peut dire qu'un collectif social vient à exister par les actions d'individus. Cela ne signifie pas que l'individu est temporellement antécédent. Cela signifie simplement que ce sont des actions particulières d'individus qui constituent le collectif. Personne ne conteste que, dans la sphère de l'action humaine, les entités sociales ont une existence réelle. Personne ne s'aventure à nier que les nations, les Etats, les municipalités, les partis, les communautés religieuses, sont des facteurs réels qui déterminent le cours des événements humains. L'individualisme méthodologique, loin de contester la signification de tels collectifs, considère comme une de ses tâches principales de décrire et d'analyser leur devenir et leur disparition, leurs structures changeantes et leur fonctionnement. Et il choisit la seule méthode qui permette de résoudre ce problème de façon acceptable. » (Ludwig von Mises)

Notes et références

  1. Karl Popper était un grand défenseur de l'individualisme méthodologique en sciences "...la croyance dans l'existence empirique des ensembles sociaux ou collectifs, qui peuvent être aussi décrits comme un collectivisme naïf, doit être remplacée par l'exigence que les phénomènes sociaux, y compris collectifs, devraient être analysés en termes de personnes " Karl Popper, 1968, Conjectures and refutations: The growth of scientific knowledge. New York: Harper & Row, p341

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Voir aussi

Liens externes


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