Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !


Léviathan

De Wikiberal
Aller à la navigation Aller à la recherche
Frontispiece of "Leviathan"

Le Léviathan de Hobbes est probablement le livre de philosophie politique le plus célèbre. Publié en 1651, il est intitulé en référence au Léviathan biblique, un monstre marin mentionné dans l'Ancien Testament. Ce livre traite de la structure de la société comme on peut le constater par le titre complet : Léviathan ou La matière, la forme et le pouvoir d'une république ecclésiastique et civile.

"La fin que vise la soumission, c'est la protection"

L'anthropologie hobbésienne nie que l'homme soit un animal social (le "ζώον πολιτικόν" d'Aristote). Les hommes s'assemblent non par une attirance mutuelle, mais par intérêt personnel. La crainte et la méfiance règnent toujours, même dans une société évoluée, et autrui reste une menace ("quand on va se coucher, on ferme les portes").

Dans l’état de nature, chacun a un droit illimité sur toutes choses et sur les autres (jus in omnia). C’est la guerre de tous contre tous : la vie de chacun est « solitaire, misérable, cruelle, animale et brève ». La raison humaine, constatant l’absurdité de cette guerre, va chercher les moyens de la paix. Nul n'est assez fort pour se garantir de la violence des autres. C’est en renonçant à ses droits que chacun peut tarir la source de la guerre. Ces droits sont transférés au souverain absolu (le Léviathan), qui est le représentant du corps politique. L’État est ainsi l’instrument de la société civile qui assure l’ordre et la paix. Le pouvoir absolu du souverain n’est pas contradictoire avec la liberté des sujets. La loi se borne à garantir la coexistence pacifique des individus.

La souveraineté

Hobbes fait du souverain (l'État, la République) un être raisonnable guidé dans son action par des considérations utilitaires, dont le devoir est de réussir. Pour certains, à partir de son interprétation libérale de la loi, Hobbes serait un des fondateurs du libéralisme :

«  La pensée de Hobbes est ainsi la matrice commune de la démocratie moderne et du libéralisme. Elle fonde l’idée démocratique parce qu’elle élabore la notion de souveraineté établie sur le consentement de chacun ; elle fonde l’idée libérale parce qu’elle élabore la notion de la loi comme artifice extérieur aux individus. »
    — Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme

«  Nul n'a fait l'autorité plus absolue que Hobbes. Aussi l'a-t-on souvent cité, dans les années récentes, comme le père du totalitarisme. C'est une lourde erreur, à bon droit combattue par ses meilleurs connaisseurs. [...] Hobbes est un individualiste et un progressiste, qui veut que chacun développe ses facultés en tâchant d'exaucer ses désirs, successivement excités. Seulement les hommes ainsi occupés peuvent se nuire. L'État est pour remédier aux dommages que l'entrecroisement de leurs appétits peut leur causer. »
    — Bertrand de Jouvenel, De la souveraineté

La soumission au souverain n'est pas absolue, elle n'efface pas le droit naturel de l'individu :

«  L'obligation qu'ont les sujets envers le souverain est réputée durer aussi longtemps, et pas plus, que le pouvoir par lequel celui-ci est apte à les protéger. En effet, le droit qu'ont les hommes, par nature, de se protéger, lorsque personne d'autre ne peut le faire, est un droit qu'on ne peut abandonner par aucune convention. »
    — Thomas Hobbes, Léviathan, chapitre XXI

Le rapport des citoyens avec le souverain n'est pas un rapport de subordination, mais un rapport d'autorisation : le souverain agit au nom des sujets, la volonté souveraine est l'expression de celle des sujets, les sujets agissent par le souverain. Le terme d'absolutisme, à strictement parler, n'est donc pas approprié pour décrire la théorie de Hobbes, même si c'est le terme consacré par l'usage. En revanche, pour Hobbes (et en contradiction avec la tradition anglaise du droit de Common Law), le souverain exprime sa volonté par la loi, il est la seule source de la légalité politique ("autoritas, non veritas, facit legem", Léviathan, XXVI).

La pensée de Hobbes se retrouve chez certains théoriciens antilibéraux, par exemple le juriste-philosophe allemand Carl Schmitt, qui occulte le volet libéral du Léviathan, justifie le contractualisme moderne par la « guerre de tous contre tous », et développe une vision absolutiste de la puissance étatique.

Objections

Les objections aux théories de Hobbes sont les suivantes. La peur de la mort, source de la légitimité du Léviathan, n'est pas abolie par l'absolutisme de ce dernier, même si elle est dorénavant circonscrite ; de là le besoin de limiter ce pouvoir, constante de la pensée libérale.

Une autre objection est que Hobbes fonde la justice sur l'intérêt collectif à vivre en paix plutôt que sur des motifs d'ordre moral (une exigence de justice) ou sur des droits individuels imprescriptibles (droits naturels). Sa conception de la justice est purement politique. L'état de nature hobbésien, vu comme "guerre de tous contre tous", ne peut fonder aucun droit individuel réellement attaché à la personne en tant que telle. Pour Locke, l'état de nature est davantage celui de la pauvreté et de la faim, de la nécessité de travailler et de s'approprier la nature.

Également, on voit difficilement comment peut se produire le passage de l'état de nature à l'état civil, c'est-à-dire d'une logique d'affrontement à une logique de paix fondée juridiquement. Hobbes l'explique par la rationalité de l'être humain, capable de discerner ce qui convient le mieux à sa préservation. Certains libertariens refusent cette explication de l'apparition de l'État et préfèrent une théorie de l'état prédateur (qu'on pourrait qualifier de hobbesienne, car c'est une forme de la loi du plus fort), qui impose la paix civile parce qu'il y trouve intérêt.

Un exemple au cinéma

Dans le septième art, se trouve un film réalisé par Fritz Lang : Métropolis. Ce film illustre très bien le concept du Léviathan (d'ailleurs, on a souvent dit de ce film que c'était le passage du Léviathan Homme au Léviathan État). En effet, ce film montre une société dirigée entièrement par l'État, où celui-ci au nom d'une rationalité et d'une "protection", enferme irrévocablement les personnes dans des actions ininterrompues et répétitives, sans qu'aucune issue d'espoir ou d'espérance ne soit envisagée. Dans le film, les personnes qui travaillent dans l'entreprise d'État doivent faire une maintenance perpétuelle d'une machine gigantesque, afin d'éviter une très importante inondation. Ces personnes, alors devenues des esclaves, sont dans la nécessité d'avoir un courage et une notion extraordinaire de la liberté pour s'échapper de leur condition, quitte à en subir les conséquences.

La notion de Léviathan renvoie ici à la notion de pouvoir autoritaire se parant des fonctions rationnelles et utilitaires, en vue de dominer les individus (totalitarisme).

Bibliographie

  • 1985, William E. Oates, "Searching for Leviathan: an empirical study", American Economic Review, Vol 75, n°4, pp748–757
  • 1989, Jeffrey Zax, “Is There A Leviathan In Your Neighborhood?”, American Economic Review, 79(3), pp560-567
  • 1990, Stefan Sinn, The Taming of Leviathan: Competition among Governments. Kiel Working Papers, n°433, Institut fur Weltwirtschaft, Kiel
  • 1992, S. Sinn, "The taming of Leviathan: competition among governments", Constitutional Political Economy, 3(2), pp177–196
  • 1999, A. Rutten, "Can anarchy have us from Leviathan?", The Independent Review, 3 (4), pp581-593
  • 2000, J. C. Lester, "Escape from Leviathan: Liberty, Welfare, and Anarchy Reconciled", London: Palgrave Macmillan
  • 2003, J. Rodden, "Reviving Leviathan: federalism and the growth of government", International Organization, Vol 57, n°4, pp695–729

Citations

  • L'étatisme a été le résultat (quasi) inévitable d'un long processus historique de transformations tumultueuses mises en branle par l'industrialisation, à la fin duquel, la volonté de pouvoir et la suppression des angoisses, les besoin de divinités terrestres et la recherche de sécurité, sont apparus et se sont mélangés à d'autres phénomènes et ont donné vie au Léviathan. (Gian Piero de Bellis)
  • Je crois que notre Léviathan Tout Puissant est une infinie source de sagesse, qui apporte la Confiance là où elle serait inimaginable sans Lui, qui fournit des Services Publics qui seraient inimaginables sans Lui. Je crois que la solution ultime à chacun et à tous les problèmes de la vie est que l'État devrait débloquer les fonds nécessaires en insérant les lignes appropriées dans le livre sacré du budget. Alléluia ! (François-René Rideau, Le Credo Citoyen)
  • Thomas Hobbes supposait que les gens se sauteraient à la gorge en permanence s’il n’y avait pas une sorte de tiers indépendant — l'État, bien évidemment — pour qu’ils fassent la paix. De fait, vous remarquerez immédiatement la curiosité de cette élaboration : les gens sont supposés être de méchants loups, qui pourraient devenir des moutons si un troisième autre loup en venait à les diriger. Si ce tiers ne peut clairement être qu’un loup, alors même s'il pouvait rétablir la paix entre deux individus, cela impliquerait de fait qu’il y aurait une guerre permanente entre le loup qui règne et les deux loups qui coopèrent ensemble de manière pacifique. (Hans-Hermann Hoppe)
  • Comme la Méthode [de Descartes] commence par « Je pense », le Léviathan pourrait commencer par « Je désire ». Hobbes en effet prend l'homme sous l'angle de l'appétit qui le porte à rechercher les choses : pour ceux qui aiment rapporter les modes de pensée aux formes sociales, on peut dire que Hobbes pense en bourgeois de tempérament acquisitif. Mais aussi en bourgeois de tempérament possessif et peureux : qu'arriverait-il si les appétits de tous étaient déchaînés sans frein ? Hobbes trace de l'anarchie qui en résulterait le tableau le plus effrayant. Et voilà qui explique pourquoi « Je » se soumet à une puissance qui bride sa conduite : c'est pour qu'elle lui assure la sécurité de sa possession et de sa personne contre les appétits des autres. La puissance publique s'explique comme garante de la liberté et de la propriété. (Bertrand de Jouvenel, De la souveraineté)
  • Qu'il se pare des vertus démocratiques ou qu'il apparaisse dans sa force brute, l'État poursuit inexorablement sa croissance, il devient nécessairement, logiquement, totalitaire. Il est bien, en ce sens, le Léviathan qui dévore les êtres, et il y arrive même avec leur assentiment. (Pascal Salin, 1994, préface à L'Etat - La logique du pouvoir politique d'Anthony de Jasay)

Liens externes


Philosophie.png Accédez d'un seul coup d’œil au portail philosophie et épistémologie du libéralisme.