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Scientisme

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Étienne-Louis Boullée, Projet de cénotaphe à Newton, vue en élévation, 1784.

Le scientisme est un concept désignant une idéologie apparue au XIXe siècle, selon laquelle la connaissance scientifique doit permettre d'échapper à l'ignorance dans tous les domaines et donc, selon la formule d'Ernest Renan (1823-1892) d'organiser scientifiquement l'Humanité. Il s'agit principalement de l'idée, convertie en foi absolue, que les affaires humaines doivent être organisées selon les principes de la science. Dans cette perspective, le politique devient une gestion scientifique des problèmes sociaux.

Définition du scientisme

Il existe différents point de définition du scientisme :

  • la transposition des fondements et méthodes des sciences de la nature ou de la matière dans le domaine des sciences dites humaines.
  • la conviction selon laquelle tous les comportements humains peuvent être prédits selon les mêmes méthodes que les sciences exactes.
  • une dogmatique scientifique qui considère que le domaine humain peut être quantifié et mesuré de la même manière que les phénomènes dits physiques.

En faisant un « mauvais usage de la raison », tous les grands refondateurs de systèmes sociaux et collectifs, tous les grands architectes de la planification, tels Saint-Simon, Auguste Comte, Marx ou Lénine, furent des scientistes qui voulaient remplacer le gouvernement des hommes par le gouvernement des choses. Ils ont pensé naïvement que l'impérieuse science à elle seule révélerait, pourvu que l'on apprît à décrypter le « livre de la nature », au Technocrate-Roi un plan unique auquel tous adhèreraient au-delà de leurs intérêts particuliers ; cette fiction fut démontée de manière pratique par l'école autrichienne (cf. critique de Marx par Eugen Böhm-Bawerk, débat sur le calcul économique en régime socialiste), et dont La Route de la servitude développe tous les aspects y compris moraux (devenir dictatorial puis tyrannique).

Le scientiste accorde une grande importance à l'éducation qui, en libérant le plus grand nombre des illusions métaphysique et théologique tout en l’assujettissant dès le plus jeune âge pour le faire entrer dans le moule uniforme de l'Homme nouveau qu'il s'agit de créer, rend possible la gestion rationnelle de la société. Pour les scientistes les plus radicaux, le pouvoir politique doit être confié à des savants et non à des bureaucrates. À la limite, cette conception débouche sur la suppression de la démocratie : une solution « scientifique » élaborée par des experts compétents n'a pas à être discutée. La main invisible faisait collaborer muettement des individus totalement différents, mus par des intérêts propres (diversité qualitative), et extrêmement nombreux (complexité quantitative, polycentrisme) ; à présent, ceux-ci se voient encasernés dans une grande usine dont un despote fraternel se charge d'être le contremaître. Le scientisme n'est donc qu'une forme de collectivisme qui, désirant être le triomphe de la Raison, des Lumières et de l'efficacité (contre « l'anarchie de la production »), en vient à politiser toute l'existence des individus du groupe. Cette politisation et le besoin de maintenir chaque atome social dans un même assujettissement conduit à des délires irrationnels et des aberrations qui consacrent la défaite de la Raison :

« Présenter la théorie de la relativité comme « une attaque sémite contre les bases de la physique chrétienne et nordique » ou la contester parce qu’elle se trouve « en conflit avec le matérialisme dialectique et le dogme marxiste », revient au même. Repousser certains théorèmes de mathématique statistique en prétendant « qu’ils participent à la lutte des classes sur la frontière idéologique et qu’ils sont le produit du rôle historique des mathématiques au service de la bourgeoisie » [doctrines du marxisme scientifique] ou condamner cette discipline dans son ensemble « parce qu’il n’est pas suffisamment garanti qu’elle sert les intérêts du peuple », voilà qui revient à peu près au même. Les mathématiques pures ne sont pas mieux traitées et il parait qu’on peut attribuer certaines conceptions de la continuité « aux préjugés bourgeois ». Selon les Webb, la Revue des Sciences Naturelles Marxistes-Léninistes se réclame des principes suivants : « Nous représentons le parti dans les mathématiques. Nous combattons pour la pureté de la théorie marxiste-léniniste en chirurgie ». Nous ne saurions traiter ces aberrations, si incroyables qu’elles paraissent, comme de simples accidents (...): elles dérivent du même désir de voir diriger [par une élite éclairée par la science] chaque chose par « une conception d’ensemble du tout ». » (La Route de la servitude, PUF, p.117-118.)

Le positivisme est une forme de croyance dans la science qui a prévalu à partir de la diffusion des idées d'Auguste Comte. Le scientisme est une manifestation moins dogmatique, mais qui continue d'imprégner la société de façon plus diffuse, que l'on appelle aujourd'hui la technocratie, notamment bruxelloise.

A noter : le terme anglais "scientist" peut signifier à la fois scientifique ou scientiste.

Scientisme et économie

Scientisme-Hayek.png

L'Ecole autrichienne d'économie s'élève contre les prétentions à mettre l'action humaine en équations.

Ludwig von Mises qualifie de scientiste toute idée selon laquelle la seule approche véritablement scientifique de l'étude de l'homme et de l'économie serait d'imiter celle des sciences physiques et en particulier de la physique. Il considère cette approche comme stérile, approche qui ignore la réalité de l'action humaine intentionnelle, échappant à tout déterminisme strict et aux différentes tentatives de prédiction quantitatives :

(La méthode mathématique) est complètement viciée, elle part de fausses hypothèses et conduit à de fausses inférences.

De la même façon, Hayek appelle "scientisme" l'imitation de la méthode des sciences naturelles de la part des "scientifiques" sociaux :

"[...] dans le sens où nous utilisons ces termes, ils décrivent évidemment une attitude qui est décidément a-scientifique dans le vrai sens du terme, puisqu'elle implique une application mécanique et non-critique d'habitudes de pensée à des domaines différents de ceux pour lesquels elles ont été créées. Le point de vue scientiste, envisagé à l'aune de l'approche scientifique n'est pas une démarche sans préjugés : elle en surabonde, puisqu'avant de considérer quel est l'objet de son étude, elle prétend savoir quelle est la manière la plus appropriée de l'explorer". (The Counter-Revolution of Science)

Le terme d'économisme a un sens voisin.

On peut caractériser le scientisme par les trois éléments suivants[1] :

  • la société doit être organisée (planisme, rejet du concept d'ordre spontané) ;
  • l’organisation de la société doit reposer sur la science (élitisme et oligarchie résultant de la division de la société entre « savants » et « ignorants ») ;
  • la vérité se réduit à la seule connaissance scientifique (tyrannie collectiviste au nom de pseudo-sciences, depuis le lyssenkisme soviétique jusqu'à la "théorie du genre" social-démocrate)


Voir aussi économie et mathématiques et illusion mathématique.

Citations

  • Le scientisme est une démarche profondément anti-scientifique, qui prétend appliquer sans examen et sans changement la méthode des sciences physiques à l’étude de l’action humaine. (Murray Rothbard, Les oripeaux de la science, Chapitre premier d'Economistes et Charlatans)
  • Les aspirations présomptueuses selon lesquelles la « raison » devrait diriger sa propre croissance, ne pourraient avoir en pratique d'autre effet que d'entraîner la limitation de celle-ci, de la borner aux seuls résultats que peut prévoir l'esprit individuel qui dirige. Ces aspirations sont la conséquence directe d'une certaine espèce de rationalisme ; en réalité, c'est le résultat d'un rationalisme mal compris ou mal appliqué, qui échoue à reconnaître la mesure dans laquelle la raison individuelle est un produit de relations interindividuelles. Demander que tout, y compris la croissance de l'esprit humain, soit consciemment contrôlé, est en soi le signe d'une mauvaise compréhension du caractère général des forces que constitue la vie de l'esprit humain et de la société humaine. C'est le stade extrême des forces auto-destructives de notre civilisation « scientifique » moderne, de ce mauvais usage de la raison. (Friedrich Hayek, "Scientisme et sciences sociales", éd. Plon, 1953, p.108)
  • Le point de vue scientiste, en tant qu'il se distingue du point de vue scientifique, n'est pas une optique sans préjugé ; c'est une optique très partisane qui, avant même de considérer son objet, prétend connaître le moyen le plus convenable de l'étudier. (Friedrich Hayek)
  • Quand chacune de ces expériences conduit à son échec inévitable, les technocrates cherchent la solution au mauvais endroit ; au lieu de penser que l'erreur tient au fait même de contrôler, ils pensent que ce qu'ils doivent faire, c'est de "raffiner" le modèle et travaillent avec empressement à inventer une autre chimère. L'éducation reçue à l'université les empêche pratiquement de penser à une autre éventualité : l'économie mathématique les a éloignés du problème que tout économiste devrait connaître : comment le marché fonctionne dans la réalité. Ils sont bien peu nombreux, les économistes qui prennent une minute pour penser à ce qu'ils sont en train de faire ; l’emploi des mathématiques est une "donnée" qu'on ne met pratiquement jamais en cause. Cependant, comme toute erreur, il est condamné à disparaître avec le temps. (Juan Carlos Cachanosky)
  • Si la science un jour règne seule, les hommes crédules n'auront plus que des crédulités scientifiques. (Anatole France, L'hypnotisme dans la littérature)
  • Toute la conception moderne du monde repose sur l'illusion que les prétendues « lois de la nature » constitueraient les explications des phénomènes naturels. (Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus, 6.371)
  • Il est immoral d'être prétentieux, ou d'essayer d'impressionner (...) en étalant votre savoir. Car vous êtes ignorants. Nous pouvons être différents les uns des autres dans le peu de choses que nous connaissons, mais, face à notre ignorance infinie, nous sommes tous égaux. (Karl Popper)
  • L'illusion qu'ont certains de croire le réel rationnel provient de cette obligation où nous sommes de faire des modèles rationnels de ce réel. Il faut comprendre que si ces modèles doivent être rationnels, c'est parce qu'ils sont des objets abstraits et non des modèles du réel. (André Régnier, Les infortunes de la raison. Seuil, 1966)
  • De même que le type gominé dans une Ferrari paraît plus riche que le multimillionnaire fripé, le scientisme paraît plus scientifique que la véritable science. (Nassim Nicholas Taleb, Jouer sa peau: Asymétries cachées dans la vie quotidienne, 2017)
  • Recourir aux mathématiques quand ce n'est pas nécessaire n'est pas de la science, mais du scientisme. (Nassim Nicholas Taleb, Jouer sa peau: Asymétries cachées dans la vie quotidienne, 2017)
  • Le rôle de la science ne doit pas être celui de la religion d’État avant le siècle des Lumières : il n’existe aucune connaissance scientifique qui permette de justifier une planification de la société outrepassant la liberté des individus. (Michael Esfeld, Sciences et Lumières durant la crise du coronavirus, décembre 2020)

Notes et références

Ressources

Liens Externes


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