Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !


Christel Vivel

De Wikiberal
Aller à la navigation Aller à la recherche

Christel Vivel, née en 1976, est enseignante en économie[1] à l'ESDES Business School[2] à Lyon. Elle a obtenu son doctorat en économie et gestion à l'Université Lumière de Lyon 2. Ses recherches portent sur l'entrepreneuriat et sur l'histoire de l'entrepreneur dans la pensée économique. Elle s'intéresse particulièrement à l'école autrichienne fondée par Carl Menger. Elle a soutenu sa thèse de doctorat en 2004 sur le thème de l'émergence d'une théorie autrichienne de l'entrepreneur[3]. Ses travaux ont été publiés dans de grandes revues scientifiques[4] et elle est reconnue au sein de la communauté des historiens de la pensée économique et des philosophes économiques ainsi que du monde académique de l'entrepreneuriat et de l'innovation. Dans son approche, elle analyse l'ambivalence du programme de recherche de l'école autrichienne qui oscille entre la volonté d'intégrer leur propre analyse au programme de recherche de l’économie néoclassique ou de construire des liens qui les unissent aux autres économistes hétérodoxes.

Ruptures méthodologiques dans la construction de la théorie autrichienne de l'entrepreneur

Dans ses travaux, Christel Vivel s'attache à mettre en valeur la façon dont les auteurs autrichiens, à partir de Carl Menger, ont élaboré une théorie de l’activité entrepreneuriale. Elle note la sinuosité de cette progression dans l'histoire de la pensée économique avec l'apparition marquée de ruptures et d'oppositions. Elle fait la distinction entre les travaux de Carl Menger, de Friedrich Wieser et de Joseph Schumpeter avec ceux de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayek. Pour les premiers, l'activité entrepreneuriale est analysable sous l'angle sociologique et historique. Elle est incluse dans une dynamique sociale plus large et elle est comprise grâce à l'étude de l’histoire du capitalisme et de la compréhension de l’apparition de nouvelles formes d’organisation de l’activité économique[5]. Ces auteurs se sont intéressés à la manière dont les différentes fonctions économiques interagissent avec une analyse qui surévalue le pouvoir économique et social de l’entrepreneur. Ludwig von Mises et Friedrich Hayek ont rompu avec cette orientation méthodologique en prenant en compte la coordination des activités des différents participants au marché avec le rôle joué par le système des prix et de la propriété privée. Ainsi, Christel Vivel note dans sa thèse que "L’activité entrepreneuriale est ainsi introduite comme un élément essentiel dans le déroulement du processus de diffusion de la connaissance nécessaire à la prise de décision individuelle chez [Friedrich] Hayek et dans le processus d’arbitrage et de spéculation chez [Ludwig von] Mises.".

Christel Vivel note une autre rupture dans la tradition de l'école autrichienne qui sépare les tenants de la nature équilibrante de l'activité entrepreneuriale, ligne suivie par Friedrich Hayek et Israel Kirzner avec les auteurs comme Joseph Schumpeter et Ludwig Lachmann qui mettent l’accent sur la nature créatrice et imaginative de l'entrepreneur. Pour les premiers, la fonction entrepreneuriale est de nature arbitragiste alors que la dynamique entrepreneuriale suit un processus disruptif pour les seconds. Christel Vivel rappelle, à juste titre, l’interdépendance existant entre le fonctionnement des institutions et des processus économiques, souligné par Ludwig Lachmann donnant l'avantage à un entrepreneur herméneuticien.

La nouvelle approche de l'activité entrepreneuriale que mène les auteurs autrichiens, souligne Christel Vivel, les conduit vers l'adoption des outils de la nouvelle économie institutionnelle en rectifiant certains critères méthodologiques. Cette perspective est d’ailleurs déjà bien engagée du fait du développement de la théorie de la firme et plus largement de la nouvelle analyse des organisations.

L'innovation sociale est le produit de la vigilance d'opportunités et de la construction de structures sociales inédites

Dans un article écrit en 2018, Christel Vivel se déclare convaincue que l'école autrichienne d'économie offre un cadre de référence pertinent pour intégrer l'entrepreneur social dans le concept de l’innovation sociale. En effet, elle précise que l'entrepreneur est un idéal type dans l'approche qu'en donne Israel Kirzner de sorte que la fonction entrepreneuriale (économique et sociale) peut être exercée par différents individus au fil du temps sans en cibler un particulièrement. L’activité entrepreneuriale dans l'innovation sociale ne se réduit donc pas au fondateur de l’association ou de l’organisation sociale.

L'entrepreneur est vigilant pour découvrir ces opportunités inédites et, ajoute Christel Vivel, il agit avec persuasion pour convaincre les autres acteurs sociaux. Dans l'économie de marché, c'est le rôle joué par la publicité avec sa fonction informative conjointe. Non seulement, l'entrepreneur propose une solution à un problème social mais il est aussi le transmetteur d'un espoir auprès des différentes parties prenantes en leur faisant prendre conscience qu’une solution au problème rencontré est possible alors qu'aucun n'avait jusqu'alors pu penser qu'une telle issue était possible.

Le paradigme autrichien donne aussi une dimension sociale de l’innovation, indique-t-elle, car cette dernière émerge grâce à l'identification de sources d'opportunités et par le principe de la sélection. Dans l'analyse du consommateur, la sélection exerce en effet un rôle majeur dans le processus de la production et elle existe aussi dans le choix alternatif effectué par les entrepreneurs organisateurs pour moduler la gouvernance dans les différentes structures institutionnelles possibles. Par conséquent, si le consommateur-citoyen n'adopte pas les innovations sociales initiées par l'entrepreneur, alors elles disparaissent. Comme elle le précise très bien, l'entrepreneur est situé dans un contexte d'incertitude donc l'innovation ne peut être préétablie et ne peut perdurer sans être flexible. Par conséquent, l’innovation sociale dépend non pas des connaissances a priori des acteurs ni de leurs motivations, mais de "leur capacité à faire face à l’incertitude, c’est-à-dire à mobiliser les ressources nécessaires et à les combiner pour parvenir à satisfaire une fin".

Toutefois, l'auteure voit l'innovation sociale à partir d'une épistémologie constructionniste ; c'est une co-construction sociale, selon elle, qui n’a de sens que par rapport aux individus qu’elle satisfait et qui émerge selon un processus d’essais et d’erreurs de confrontations de représentations sociales. L'innovation sociale est animée au sein de la société civile par divers acteurs entrepreneuriaux, peu importe leur sens économique ou social, puisque toute action est sociale. Christel Vivel s'exprime alors maladroitement en affirmant que l'innovation sociale est à la mode, ce qui pourrait faire croire que ce phénomène est furtif et instable comme peuvent l'être la couleurs de tendance pour un vêtement d'hiver ou de printemps. Car, il faut bien l'avouer, l'innovation sociale ne date pas d'aujourd'hui même si le concept n'est apparu que très récemment. De tous les temps, l'entrepreneur a cherché à innover socialement. L'auteure produit une métaphore malheureuse de l'entrepreneur social en le comparant à un spectre qui surgit de l'arrière-plan de l'innovation sociale, sauf à vouloir indiquer qu'il existe une très large gamme de différents types d'entrepreneurs. En fin de compte, l'entrepreneur n'est en aucun cas un fantôme selon la théorie autrichienne, il n'a pas une figure macabre provoquant une évocation d'atmosphère lugubre. Bien au contraire, l'entrepreneur, dans la théorie autrichienne est au premier plan de l'activité économique et sociale ; et il apporte plus de joies que de menaces létales.

Un autre point qui mérite contestation dans l'article de Christel Vivel est de faire de l'innovation sociale l'alter ego de l'innovation technologique comme si les deux types d'innovation seraient en concurrence radicale. Faute d'innovation technologique, l’innovation sociale saisirait l'opportunité d'en occuper la place, ceci dans un contexte de politiques publiques[6] proche du néo-mercantilisme où la croissance économique serait poussée par les entrepreneurs sociaux. L'innovation sociale serait alors un bien public dont les bienfaits rempliraient les caisses de l'État et fourniraient des richesses accrues aux acteurs sociaux. Mais aussi, il y a le but inavoué par les acteurs politiques d'une volonté de transformation sociale invisible et en douceur. Malheureusement, cette pensée quasi-interventionniste biaise les fondements de l'école autrichienne bien que l'auteure de l'article ne s'en émeuve pas exagérément. En fait, par l'intermédiaire de l'innovation sociale, les politiques publiques seraient à la recherche d'une nouvelle efficience des services publics.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Elle est responsable pédagogique de la spécialisation Management et Stratégie d'Entreprise en alternance. Son champ d'enseignement comprend l'histoire de l'économie, l'histoire de la pensée économique ainsi que la microéconomie ou les fondamentaux de la macroéconomie.
  2. L’École supérieure pour le développement économique et social est une grande école d’enseignement supérieur du commerce et du management au sein de l’Université catholique basée à Lyon.
  3. Christel Vivel, "L’entrepreneur dans la tradition autrichienne. Un essai sur l’émergence et l’évolution d’une théorie de l’activité entrepreneuriale", Thèse de Doctorat en Sciences Économiques, dirigée par le Professeur Jean-Pierre Pottier, présentée et soutenue publiquement, le 10 mai 2004.
  4. European Journal of History of Economic Thought, History of Economic Ideas et la Revue de Philosophie Economique.
  5. Emergence des grandes entreprises et des sociétés par actions.
  6. L'innovation sociale fait partie du champ de l’économie sociale et solidaire. Elle est chargée de valeurs positives au sein de la société comme les valeurs de solidarité et de partage qui la sous-tendent. Pour présenter une innovation sociale, des acteurs, souvent dispersés et divers socialement, coopèrent en vue d'apporter une solution à un problème social. Elle est un processus d’émergence, de diffusion et de pérennisation de solutions à un problème social. Elle est donc le résultat du choix d'un individu mais plus régulièrement d'un groupe d'individus qui l’introduisent et du choix des autres individus de l’adopter étant donné que le but de l'entrepreneur social est d'améliorer la qualité de vie et le bien-être des individus ou du groupe d'individus. Alors, les critères de la réussite ou de l’échec de l’innovation sociale se traduisent par processus d’essaimage. Aussi, l'innovation sociale est étroitement corrélée au marché politique dans une finalité sociale où le mode de gouvernance repose sur un mode de représentation démocratique (une personne : une voix). Car, non seulement les politiques publiques nationales sont employées dans cette option mais les organismes internationaux, comme l’OCDE ou l’Union Européenne, appuient également le développement de l’innovation sociale pour soi-disant contre-carrer les défaillances du marché. Dans un cadre d'analyse schumpétérienne, toutefois, l'innovateur social est incarné par ce héros rare qu'est l'entrepreneur social qui doit affronter les résistances des acteurs aux pensées uniques et fixes. Il est doté d'une liberté d’esprit et d'une force unique et spécifique qui l'aident à transformer le monde, d’affronter l’adversité et de convaincre de nouveaux adhérents à sa vision du monde. Orienté plus dans une organisation réticulaire, l'innovateur social est reconnu comme le nœud du réseau qui, sans toujours les posséder, accède aux informations, aux connaissances et aux ressources, et qui sait combiner ces différents actifs épistémiques et hétérogènes en sa faveur.
    • 2003, M. D. Mumford, "Cases of Social Innovation: Lessons From Two Innovations in the 20th Century", Creativity Research Journal, vol 15 n°2-3, pp261-266
    • 2004, B. Lévesque, "Les entreprises d’économie sociale, plus porteuses d’innovations sociales que les autres?", In: "FQRSC, Le développement social au rythme de l’innovation", Québec, Presses de l’Université du Québec, pp51-72
    • 2005, B. Leubolt, A. Novy, "Participatory Budgeting in Porto Allegre: Social Innovation and the Dialectical Relationship of State and Civil Society", Urban Studies, vol 42, n°11, pp2023-2036
    • 2006, Dennis Harrisson, M. Vézina, "L’innovation sociale : une introduction", Annals of Public and Cooperative Economics, vol 77, n°2, pp129-138
    • 2007,
      • Denis Harrisson, Juan-Luis Klein, dir., "L’innovation sociale. Émergence et effets sur la transformation des sociétés", Québec, Presses de l’Université du Québec
      • F. Moulaert, J. Nussbaumer, "L’innovation sociale au cœur des débats publics et scientifiques", In: Denis Harrisson, Juan-Luis Klein, dir., "L’innovation sociale. Émergence et effets sur la transformation des sociétés", Québec, Presses de l’Université du Québec, pp71-88.
    • 2008, K. Deiglmeier, D. T. Miller, J. A. Phills, "Rediscovering Social innovation", Stanford Social Innovation Review, vol 6, n°4, pp34-43
    • 2009,
      • B. Charles-Pauvers, N. Schieb-Bienfait, C. Urbain, "Émergence entrepreneuriale et innovation sociale dans l’économie sociale et solidaire : acteurs, projets et logiques d’action", Innovations, vol 2, n°30, pp13-39
      • J.-M. Fontan, Dennis Harrisson, J. L. Klein, B. Lévesque, "L’innovation sociale au Québec : un système d’innovation fondé sur la concertation", Cahiers du Crises, n°ET0907
      • Dennis Harrisson, R. Bourque, G. Széll, "Social Innovation, Economic development, Employment and Democracy", In: D. Harrisson, R. Bourque, G. Széll, dir., "Social Innovation, the Social Economy and World Economic Development: Democracy and Labour Rights in an Era of Globalization", Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New-York, Oxford , Wien, Peter Lang, pp7-16
    • 2013, E. Besançon, N. Chochoy, T. Guyon, "L’innovation sociale, Principes et fondements d’un concept", Paris: L’Harmattan

Publications

  • 2012, avec Gilles Campagnolo, "Before Schumpeter: Forerunners of the Theory of the Entrepreneur in 1900’s German Political Economy - Werner Sombart, Friedrich von Wieser", European Journal of History of Economic Thought, Vol 19, n°6, pp909-944
  • 2013,
    • a. "Dynamique du capitalisme et place de l’entrepreneur dans la pensée germanophone des années 1900. L’intérêt de (re)lire W. Sombart et F. Wieser aujourd’hui", In: D. Borodak, A. Diemer, S. Dozolme, dir., "Heurs et Malheurs du capitalisme", Oeconomia, pp107-124
    • b. avec V. Chassagnon, "Frank H. Knight and R. H. Coase on the theory of the firm", History of Economic Ideas, Vol 21, n°2, pp63-84
  • 2015, avec N. Tessier, "Le management des ressources humaines et la responsabilité sociale de l’entreprise : entre dynamisme et ambivalence des outils/pratiques", In: Virgile Chassagnon, "Vers un modèle de gouvernement durable de l’entreprise capitaliste : l’unité dans la pluralité au service de la société", Esdes, pp51-60
  • 2017,
    • a. "École autrichienne (et l’entrepreneur)", In: A. Tiran, D. Uzunidis, dir., "Dictionnaire économique de l’entrepreneur", Paris, Éditions Classiques Garnier, pp147-150
    • b. "Individualisme (Entrepreneur et)", In: A. Tiran, D. Uzunidis, dir., "Dictionnaire économique de l’entrepreneur", Paris, Éditions Classiques Garnier, pp202-204
    • c. "Carl Menger et l'entrepreneur", In: A. Tiran, D. Uzunidis, dir., "Dictionnaire économique de l’entrepreneur", Paris, Éditions Classiques Garnier, pp248-250