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Ludwig Lachmann

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Ludwig Lachmann
Économiste, sociologue

Dates 1906-1990
200pw
Tendance École autrichienne, subjectivisme
Nationalité Allemagne Allemagne
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Citation
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Ludwig Lachmann, de son nom complet, Ludwig Maurits Lachmann, est né en Allemagne, à Berlin, le 1er février 1906 et il est décédé le 17 décembre 1990 à Johannesburg, en Afrique du Sud. Il fut un intellectuel iconoclaste et vivifiant dans la famille des chercheurs de l'école autrichienne. Il a eu recours à des catégories extérieures au seul dogme misésien, par exemple, la connaissance comme catégorie a priori et par l'utilisation de la méthodologie interprétative de la sociologie économique de Max Weber.

L'émergence intellectuelle de Ludwig Lachmann

Une influence intellectuelle paisible et un développement relativement tardif

La carrière universitaire de Ludwig Lachmann fut longue à se mettre en place. Son attrait pour la théorie autrichienne l'écarta des postes d'enseignement en Allemagne alors qu'il avait réussi avec brio son doctorat en 1930. Il dut patienter durant trois longues années. En 1933, la venue d'Hitler au pouvoir l'incite à la prudence en émigrant à Londres. Là, il ne trouva toujours pas de poste. Mais, pour se maintenir dans le giron intellectuel, il n'abandonna pas. Il s'inscrivit à la London School of Economics. Il devient alors un étudiant de Friedrich Hayek et son meilleur soutien.

Puis, vint la guerre en 1939, Ludwig Lachmann n'avait toujours pas de poste à l'université. Pire que le déni intellectuel, Ludwig Lachmann, en tant que ressortissant allemand, fut interné en Angleterre pendant cinq mois durant la guerre. En 1941, il fut tout de même nommé maître de conférences à l'Université de Londres, puis évacué à Aberystwyth au Pays de Galles. En 1943, il devient chef du Département d'économie, à l'University College, à Hull, poste qu'il occupa jusqu'en 1948, quand il accepta sa nomination à l'Université de Witwatersrand, en Afrique du Sud, à partir de 1949.

Ludwig Lachmann a écrit de nombreux articles sur le thème de l'école autrichienne, particulièrement sur la subjectivisme, la théorie du capital, la théorie des institutions et sur le processus du marché. En désaccord avec pratiquement toute la profession des économistes, ainsi qu'avec la plupart des économistes autrichiens, son subjectivisme radical le plaçait comme un économiste non conventionnel parmi une école de pensée autrichienne, elle-même en décalage avec la pensée dominante d'alors. Son point de vue sceptique sur les pouvoirs prédictifs de la théorie économique l'ont encore plus marginalisé, au point de le considérer, à tort de nihiliste, ce qui a sans doute nuit à la propagation de ses idées.

Ludwig Lachmann prit sa retraite en 1972 et fut nommé "Senior Research Fellow" à l'Université de Witwatersrand durant deux années. Son influence s'exerça tardivement sur les jeunes auteurs autrichiens, participant à la conférence de South Royalton, en 1974, dont Don Lavoie, Walter Grinder et Karen Vaughn. Ses discussions avec Israel Kirzner ont fortement stimulé le chercheur américain dans sa théorie de l'entrepreneur. À partir de 1975, Ludwig Lachmann fut professeur invité à l'Université de New-York où il a passé une grande partie de l'année aux côtés d'Israel Kirzner. En 1987, sa santé s'est détériorée et il ne pouvait plus voyager d'Afrique du Sud vers les Etats-Unis comme il le faisait chaque printemps pour participer au Colloque autrichien et pour proposer un séminaire sur des sujets de la théorie économique avancée. Localement en Afrique du sud, et principalement à l'université de Witwatersrand, à Johannesburg, il stimula la production autrichienne dans les écrits de Duncan Reekie et de Peter Lewin. Son influence actuelle se manifeste dans le domaine de la recherche en management, dans la théorie de l'entrepreneur et en épistémologie, par l'intermédiaire des chercheurs comme Todd Chiles, Roger Koppl ou Paul Lewis.

Une formation de son esprit dans une enfance en maturation imbriquée dans les convulsions de l'histoire économique et politique de l'Allemagne

L'enfance de Ludwig Lachmann est tout à fait particulière et singulière. Il est né à l'époque de l'étincelante Allemagne impériale, menée par l'idéologie du leadership du grand homme, incarné par le Kaiser, poussant sa population à atteindre toujours des sommets. L'Allemagne, dans l'environnement international, incarne, alors, une société qui avait atteint son apogée et le pays était tenu en haute estime au niveau international. Puis vint la vilaine guerre mondiale désastreuse (1914-1918) où des millions de jeunes gens descendirent dans les tranchées boueuses en France et dans les Flandres, pour ne jamais revenir chez eux. Cela a été suivi par le cirque politique du Traité de Versailles et des exigences exorbitantes de réparation financière demandée à l'Allemagne. Ceci contribua à l'avalanche de la création monétaire par la Banque Centrale allemande, avec pour conséquence l'hyper-inflation du début des années 1920, ce qui marqua profondément l'esprit de Ludwig Lachmann[1].

Sa formation universitaire et sa curiosité épistémique intellectuelle

Ces éléments de l'environnement de son enfance pousse Ludwig Lachmann à étudier l'économie à l'Université de Berlin en 1924. où ses intérêts se sont porté naturellement sur l'analyse de l'origine monétaire du cycle économique (Albert Hahn, Hawtrey, Knut Wicksell et Ludwig von Mises). Malgré l'hostilité que rencontrait l'enseignement de l'école autrichienne dans les universités allemandes, notamment par le sociologue Werner Sombart, Ludwig Lachmann eut la chance d'avoir Emil Kauder, comme tuteur, qui lui a souligné l'importance du subjectivisme en économie et lui présenta les travaux de Friedrich Hayek. Durant ce temps, Ludwig Lachmann commença également à s'intéresser à l'approche de la "causalité-génétique" en économie, préconisée par Hans Mayer et par la méthode "compréhensive" de Max Weber. Il passa l'été 1926 à étudier à l'Université de Zurich. Là, il prit le temps de lire les travaux de Joseph Schumpeter, de Vilfredo Pareto et des auteurs de l'école autrichienne : Friedrich von Wieser, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek. Ainsi, Lachmann finît ses études en Allemagne en étant un adhérent à la fois de la méthode de la compréhension (Verstehen) pratiquée par la sociologie interprétative allemande et de la théorie autrichienne de l'utilité marginale.

En 1933, la même année où Hitler prend le pouvoir en Allemagne, Ludwig Lachmann est allé en Angleterre pour enseigner. Faute de poste, et malgré un doctorat en poche, il étudia à la London School of Economics. Là, sa pensée mûrit dans une direction nettement autrichienne. Il est devenu, avec George Shackle, un étudiant de Friedrich Hayek et il a continué ses recherches sur les cycles économiques et sur la théorie du capital. A Londres, il fait la rencontre d'un autre chercheur autrichien réfugié, Paul Rosenstein-Rodan qui était un ancien assistant de Hans Mayer. Ensemble, ils échangent leurs idées sur l'importance des anticipations dans la théorie des fluctuations économiques. C'est Paul Rosenstein-Rodan qui l'a convaincu que le subjectivisme des anticipations est le critère déterminant dans la compréhension du cycle économique.

A la même époque et au même endroit, Ludwig Lachmann a suivi l'influence de la tradition du coût subjectif qui émergea à la London School of Economics, tout comme Ronald Coase, Jack Wiseman ou George F. Thirlby. Grâce à ses recherches sur les "dépressions secondaires", Il a obtenu une bourse (Leon Fellow) en 1938, qui lui permet de visiter plusieurs universités (Columbia, Harvard et Chicago) aux Etats-Unis. A l'Université de Chicago, il participa aux séminaires de Frank Knight. Contrairement à la plupart des autres "autrichiens", cependant, Ludwig Lachman trouva quelques mérites intellectuels à John Maynard Keynes[2], ou tout au moins il nota son insistance sur l'importance des anticipations subjectives en économie.

L'apparition au grand jour lors de la conférence de South Royalton en 1974

Alors que la présence des auteurs autrichiens aux Etats-Unis avait déplacé le centre de polarité de cette école de l'Europe aux Etats-Unis, Ludwig Lachmann apparut comme un personnage étrange à la conférence de South Royalton, en 1974. Son âge, dépassant l'âge de la retraite, le présentait plus comme un homme du passé plutôt qu'un représentant de l'avenir de l'école autrichienne. Il fut invité à cette conférence par Israel Kirzner, un ancien étudiant et enseignant comme lui en Afrique du Sud. Bien que les deux hommes avaient des positions diamétralement opposées sur de nombreux points, principalement sur la notion d'équilibre en économie, ceci n'empêcha pas les deux hommes de se lier d'amitié et de partager un respect réciproque et une dignité des relations intellectuelles digne d'un leadership appréciatif, ce qui peut servir comme exemple, à de nombreux chercheurs, encore aujourd'hui, en quête d'un comportement intellectuel et social respectueux et irréprochable.

Ludwig Lachmann n'enseignait pas aux Etats-Unis, il n'a pas étudié directement sous le mentorat du leader de l'école autrichienne, Ludwig von Mises, lequel était le seul leader autrichien reconnu aux Etats-Unis. Ludwig Lachmann a certes étudié à la London School of Economics, sous l'influence de Friedrich Hayek, en formation post-doctorale. Mais, Friedrich Hayek n'était pas reconnu comme un éminent économiste aux Etats-Unis mais comme un philosophe du Droit.

L'apport théorique de Ludwig lachmann

La théorie du capital hétérogène

A la fin des années 1930, alors que la plupart des économistes se rangeaient du côté de John Maynard Keynes (John R. Hicks, Nicholas Kaldor et même Lionel Robbins), Ludwig Lachmann prit la défense de son ancien professeur, Friedrich Hayek. En 1937, son attention est attirée par l'article de Friedrich Hayek, "L'investissement qui augmente la demande pour le capital", publié dans la Revue des statistiques économiques (Review of Economic Statistics). Impressionné et intrigué par cette idée, Ludwig Lachmann rédige un article, en 1938, sur l'importance de la complémentarité et de la substituabilité du capital, intitulé "L'investissement et le coût de production" dans lequel il soulève la question de la complémentarité du capital afin de comprendre le succès ou l'échec des politiques monétaires expansionnistes. Sa formidable conclusion est que les politiques monétaires expansionnistes ne peuvent pas enfanter une plus grande production si certains facteurs complémentaires sont rares. Autrement dit, les politiques d'investissement aveugles ou la résistance à des politiques d'austérité nécessaires conduisent à des échecs encore plus importants que la situation initiale lorsque les capitaux disponibles dans une économie ne sont pas complémentaires. Bien souvent, ces politiques monétaires expansionnistes avec des politiques fiscales strictes conduisent à la catastrophe économique et sociale, avec toutes les conséquences sur la paix sociale, civile ou militaire.

Ludwig Lachmann reprocha à Friedrich Hayek, cependant, trois éléments ayant traits à la théorie du capital.

Premièrement, Lorsque Piero Sraffa attaqua Hayek sur sa théorie de l'effet Ricardo, Friedrich Hayek ne fut pas très décisif dans ses réponses. Heureusement Ludwig Lachmann monta aux créneaux pour expliquer la présence des taux d'intérêts non uniformes dans une économie. Car, Ludwig Lachmann s'est fortement intéressé à la théorie du capital hétérogène. Il existe autant de taux d'intérêt qu'il n'existe de formes de capital. C'est la raison pour laquelle, Ludwig lachmann reprocha à Friedrich Hayek une vision mécaniste et formaliste du capital, y compris pour les biens d'équipement. Friedrich Hayek est très abstrait et abscons sur ce sujet, en particulier lorsqu'il expose sa théorie dans un livre publié en 1941.

Alors que Hayek avait promis d'écrire un second volume avec une perspective dynamique, il abandonna son projet. Indirectement et silencieusement Ludwig Lachmann digéra seul sa déception et il dut continuer le travail de façon solitaire, en 1956. Il sera rejoint bénéfiquement plus tard par Israel Kirzner, qui exposa une brillante analyse de la théorie du capital en 1966. ce renouveau de la macro-économie autrichienne fut relancée à partir des années 1990 et 2000 par Roger Garrison, Steven Horwitz et Antony Mueller.

Ludwig Lachmann a une vision très subjectiviste du capital. En 1956, il écrit : "Le concept générique du capital, sans lequel les économistes ne peuvent pas faire leur travail, n'a pas de contrepartie mesurable parmi les objets matériels, il reflète l'appréciation entrepreneurial de ces objets. Des barils de bière, des hauts fourneaux, des installations portuaires et le mobilier des chambres d'hôtel sont du capital non pas en raison de leurs propriétés physiques, mais en raison de leurs fonctions économiques. Quelque chose est capitale parce que le marché, le consensus des esprits entrepreneuriaux, estime qu'il est capable de fournir un revenu..."[3]

L'approfondissement de l'apport du subjectivisme dans les sciences sociales et économiques

Ludwig Lachmann a l’ambition d’élaborer une science générale en sciences sociales. Il se singularise en utilisant le subjectivisme comme élément d'une relecture critique de l'approche autrichienne. Le subjectivisme n'apparaît pas comme un fondement établi une fois pour toutes mais comme une caractéristique qui doit être approfondie. En 1978, il écrit un article dans la revue "Atlantic Economic Journal" ("Carl Menger et la révolution subjectiviste") qui permet de montrer l'apport fondamental de Carl Menger au sujet du subjectivisme méthodologique. Ceci permit de distinguer nettement Carl Menger des autres fondateurs de l'école néo-classique (Léon Walras et Stanley Jevons). Pour Ludwig Lachmann, Carl Menger a initié le mouvement du subjectivisme méthodologique, mais le travail devait être complété. Le fait de considérer que l’homme recherche les moyens de survivre avant le loisir ou le plaisir relève d’une approche qui n’est pas authentiquement subjectiviste, et il se peut que cet ordre-là soit plus culturel que naturel.

Généralement, dans la littérature sur le subjectivisme, celui-ci concerne la spécification des préférences des agents en tant que partie des données qui valorisent les prix des produits et des services distribués dans une économie de marché. Au-delà de ce niveau de subjectivisme, habituellement reconnu par l'école autrichienne, qui concerne la préférence des choix, Ludwig Lachmann définit le subjectivisme radical avec trois niveaux supplémentaires :

  • Tout d'abord, différentes personnes ont des goûts différents et poursuivent des buts différents.
  • Deuxièmement, les gens peuvent poursuivre des buts similaires en utilisant une relation entre les moyens et les fins de manières différentes. Les gens croient quelquefois qu'ils ont la meilleure idée sur l'utilisation des moyens pour atteindre un objectif. Mais, ils peuvent aussi agir de façon erronée.
  • Enfin, le subjectivisme des esprits actifs reconnaît que dans tous les aspects de l'action, l'activité mentale des individus peut produire des interprétations et des possibilités que l'observateur extérieur ne peut pas imaginer à l'avance. C'est l'esprit humain, propre par définition à chaque individu, qui hiérarchise et classe par priorité les objectifs (besoins). C'est l'esprit mental qui alloue des moyens pour atteindre ces objectifs. C'est toujours lui qui décide des plans ainsi que de leurs révisions. Enfin, c'est l'activité mentale d'un individu qui détermine quand l'action est un succès ou un échec. Toutes ces formes d'expression de l'activité mentale sont internes à un individu et ne peuvent être imposées de l'extérieur contre le gré de l'individu agissant.

Par conséquent, le subjectivisme radical découle du fait que les agents doivent faire des plans sur la base de leur interprétation des événements qui se déroulent dans un monde en mutation dont ils n'ont qu'une connaissance incomplète. Les actes mentaux qui précèdent l'action sont donc des réponses produites par l'ingéniosité et l'imagination humaine face à l'incertitude de l'existence sociale.

Ces actes mentaux sont basés à un niveau significatif sur les anticipations des agents concernant des situations futures. En 1943, Ludwig Lachmann, cite favorablement l'économiste suédois, Lundberg qu'il est judicieux de lier les actions humaines avec les anticipations. Pour l'économiste suédois, l'enjeu de la science économique repose sur l'existence d'une corrélation entre des événements économiques passés et présents. En l'absence de la recherche de cette corrélation, la science économique sort du champ scientifique. A la même période que Ludwig Lachmann, un autre économiste, Arthur W. Marget, assez proche des idées de l'école autrichienne, puisait dans les mêmes références que l'ancien berlinois. Pourtant, en 1976, Lachmann initie une différence épistémologique de taille puisqu'il affirme que les anticipations sont une interprétation subjective des événements économiques du passé et du présent sans qu'il soit certain que ces interprétations soient liées entre elles. Selon Ludwig Lachmann (1976, p. 59) :

"Le futur est inconnaissable, mais pas inimaginable. La connaissance du futur ne peut pas être comme s'il elle l'était maintenant, mais elle peut porter son ombre dans l'avenir. Dans chaque esprit, cependant, l'ombre prend une forme différente, d'où la divergence des anticipations. La formation des anticipations est un acte de nos esprits au moyen duquel nous essayons d'attraper un aperçu de l'inconnu".

Le fait de considérer les anticipations comme autonomes écarte cependant les chercheurs de la sphère scientifique mais Ludwig Lachmann propose une méthodologie herméneutique. L'économiste est alors un chercheur en sciences sociales dont le métier ne vise plus à prédire l'avenir mais de comprendre les phénomènes économiques et sociaux passés, présents et futurs.

Les anticipations des individus concernant leur futur sont différentes parce que chaque personne interprète ce à quoi le futur ressemblera sur la base des informations d'aujourd'hui. Il est donc tout à fait probable de penser que les gens vont se tromper plutôt que d'avoir raison. En conséquence, les actions et les réactions des gens aux conditions changeantes du marché sont susceptibles d'entraîner des échecs des plans individuels empêchant la coordination de tous les plans, c'est la conclusion que présente aussi la théorie du déséquilibre économique des auteurs post-keynésiens.

A la différence des post-keynésiens qui laissent la place à une intervention exogène, par l'intermédiaire de l’État, dans des objectifs de correction de la position de l'équilibre économique, Ludwig Lachmann est plus prudent. Il pousse la logique du subjectivisme à la conclusion que toute tentative de prévision économique est vaine. Dans un commentaire sur le livre de George Shackle, Kenneth Boulding a dénommé ce principe, "la Loi de Lachmann"[4]. Ludwig Lachmann a établi un lien entre la pensée de George Shackle et celle de Ludwig von Mises qui a vivifié le renouveau intellectuel de l'école autrichienne. Pour George Shackle, la notion du temps présent n'existe pas. Le temps est expérimenté au travers de la mémoire du passé et par l'imagination de l'avenir. Ludwig von Mises et Georges Shackle partageaient la même préoccupation pour les mêmes problèmes associés à la condition naturelle de l'être humain : le passage inéluctable et irréversible du temps, l'inconnaissance du futur et l'expérience subjective du temps. L'impossibilité de la prédiction en économie découle du fait que le changement économique repose sur la connaissance, et connaître l'avenir ne peut pas être une chose acquise avant son temps. Par conséquent, l'économiste doit être plutôt prudent quant au rôle qu'il joue lorsqu'il s'allie au pouvoir politique. Ce dernier ne peut pas s'appuyer sur l'expertise de l'économiste pour argumenter l'extension de son pouvoir coercitif même s'il avance des propositions censées bénéficier pour le bien de tous lorsqu'il tente de trouver le chemin du retour à l'équilibre.

Par conséquent, le « problème de Lachmann », expression inventée par Roger Koppl en 1998), demande de comprendre comment la coordination socio-économique est possible compte tenu des hypothèses selon lesquelles la valeur (Carl Menger), les préférences individuelles (Ludwig von Mises), les données (Friedrich Hayek), les anticipations (George Shackle) et les interprétations (Ludwig Lachmann) ne sont pas seulement subjectives mais sujettes à changer au fil du temps en raison de la croissance des connaissances.

Mario Rizzo et Gerald O'Driscoll (1985) ajoutent la précision que Ludwig Lachmann accentue la prise en compte des concepts de temps, d'ignorance et d'anticipation, qui sont contradictoires avec la notion d'équilibre statique conventionnelle. C'est la raison pour laquelle, Ludwig Lachmann propose d'élaborer une théorie autrichienne liée au processus du marché sans se centrer sur le concept d'équilibre et de l'idée de but final. Il s'écarte donc d'une vision téléologique de l'économie.

Un théoricien du processus épistémique du marché

Lors de sa première conférence à South Royalton, en 1974, Ludwig Lachmann a immédiatement présenté ce qui allait devenir la marque de fabrique de l'école autrichienne, à savoir, sa distinction théorique sur la théorie du processus épistémique du marché. Les bases de l'analyse de Ludwig Lachmann remonte à l'article de Friedrich Hayek, écrit en 1937, "Economics and Knowledge". Il indique que pour théoriser le processus du marché, il est important de se concentrer d'abord sur la question de l'intervention des acteurs économiques sur le marché qui possèdent des connaissances. Quelles sont ces connaissances individuelles et comment les changements de la connaissance se produisent-ils dans la société, sont les questions que doivent se poser les chercheurs en sciences sociales et économiques.

Avec le problème de la connaissance clairement en vue, Ludwig Lachmann précise que le processus du marché est un processus épistémique évolutif et involontaire c'est à dire qu'il doit être compris comme une manifestation de l'extériorisation d'un flot incessant de connaissances, comme d'un effet de déversement hors du sujet agissant. Cette connaissance est en constante évolution dans la société, même s'il s'agit d'un processus difficile à décrire. Là, où Ludwig Lachmann marque son empreinte intellectuelle, c'est qu'il nie la possibilité d'une connaissance objective car le processus épistémique du marché défie toutes les tentatives de traiter la connaissance comme d'une "donnée". Comme le présentait Friedrich Hayek, rien n'est donné à un individu; la connaissance s'acquiert par une anticipation. L'anticipation, c'est la pensée imaginée d'un individu sur les évènements futurs.

Ludwig Lachmann ajoute un élément supplémentaire d'intangibilité de la connaissance car il ne s'agit pas d'un objet identifiable dans le temps et dans l'espace. S'appuyant sur Ludwig von Mises, Ludwig Lachmann souligne que toute action se déroule dans le temps, mais "dès que nous permettons au temps de s'écouler, nous devons aussi admettre le changement des connaissances". Ludwig lachmann place la connaissance comme une catégorie a priori car la connaissance ne peut pas être considérée comme une fonction de quelque chose. Si toute action se déroule dans le temps, alors l'écoulement du temps signifie toujours un changement dans les connaissances. En fait, Ludwig Lachmann reconnait au processus épistémique du marché une permanence du changement du contenu informationnel.

Le marché est un processus sans condition initiale, autre que l'action humaine. Et, par conséquent, le processus démarre à partir des points de vue subjectifs et personnels des participants au marché. Mais, le "subjectivisme" ne signifie pas seulement que les goûts et les préférences sont différents dans le présent, mais que dans une économie complexe, les connaissances que les gens possèdent seront anticipées aussi de façon différentes. Et de là, il s'ensuit nécessairement que les anticipations des individus concernant l'avenir seront toujours différentes parce que les gens interprètent de diverses manières les différentes connaissances qui s'offrent à eux.

Le processus du marché ne connait pas de point final ou ou n'a pas en vue un repos final. Au contraire, le marché est une séquence d'interactions individuelles, de rencontres, de juxtaposition, et quelquefois de collision et de conflits d'un certain nombre de plans. Tous les plans, pris individuellement, peuvent sembler cohérents. Ils reflètent l'équilibre individuel de chaque acteur. Mais, pris collectivement, ils peuvent devenir incohérents dans leur ensemble. Le marché est un processus continu dans lequel les individus satisfont leurs besoins grâce à l'échange. Mais, dans une économie complexe, les ressources passent entre plusieurs "mains" dans différentes étapes du processus de production avant que ces ressources soient transformées en biens utilisables. Les plans de production qui commencent aujourd'hui sont donc basés sur des projections sur ce que les consommateurs de biens et les autres producteurs voudront dans un avenir incertain, et ceci en anticipant à quel prix les différents biens peuvent se vendre et s'acheter.

Le marché est un processus qui ne connait pas de direction à l'avance. Les projets qui ne réussissent pas conduisent à la révision des plans et à l'emploi des éléments du capital à d'autres fins autres que celles pour lesquelles elles étaient initialement destinées. Par exemple, un opéra qui est transformé en une salle de cinéma est une action parfaitement intelligible découlant du processus de marché.

Le concept de l'équilibre général, explique Ludwig Lachmann, est une fiction inutile et déterministe. Il estimait que la plupart des économistes avaient suivi une fausse piste dans la construction de leurs modèles de l'économie de marché. Ils ont réduit le processus du changement du marché à de purs rapports mathématiques. Ce faisant, ils ont créé des images élégantes des états hypothétiques de l'équilibre du marché. Mais ces analyses ne sont pas perspicaces pour comprendre la façon dont les marchés réels fonctionnent dans un environnement en constante évolution économique et sociale, dans un avenir incertain.

La théorie interprétative des institutions

Opposé à la méthode empirique utilisée en sciences sociales car "une situation humaine ne peut jamais être définie exclusivement en termes observables, et que toute action humaine est également préoccupée par un futur inconnu et inconnaissable"[5], Ludwig Lachmann étudie notamment le rôle et le devenir des institutions par la méthode de l'herméneutique. Si la problématique de Hayek est liée aux concepts d'ordre spontané et d'évolution, celle de Ludwig Lachmann adopte un autre fondement.

Bien qu'influencé par la sociologie compréhensive de Max Weber, il s'écarte de ses outils méthodologiques. En dépit d'être un moyen efficace de comprendre l'action, l'idéal type de Max Weber ne fait aucune référence spécifique à l'action humaine, et donc cette méthodologie manque dramatiquement de contenu épistémique. "Lorsque les hommes agissent, ils portent en leur esprit une image de ce qu'ils veulent réaliser" insiste Ludwig Lachmann [6]. Il refond donc la méthodologie des idéaux-types dans une approche subjectiviste. Il va s'interroger sur les institutions à partir d'une réflexion sur les plans qui sont subjectivement formés par les individus.

Dans la tradition wébérienne, les institutions permettent, pour chacun de nous, de nous appuyer sur les actions de milliers d'autres personnes anonymes dont nous ne pouvons rien connaître à l'avance ni des buts, ni des plans. Ludwig Lachmann reprend cette base pour indiquer que les institutions sont des points nodaux de la société, car elles permettent de coordonner les actions de millions d'individus. Les institutions apportent de la sûreté car elles soulagent du besoin d'acquérir et d'assimiler des connaissances détaillées sur les autres. Les institutions permettent de former des anticipations précises sur des actions futures et individuelles, c'est à dire des anticipations subjectives. Ludwig Lachmann suggère que la théorie de Max Weber sur les institutions représente toutes les institutions économiques et sociales possibles en tant que processus de communication sociale incarnant notre diversité et nous ouvrant l'accès à une connaissance souvent tacite.

Ludwig Lachmann explique que le succès des plans (stratégies individuelles) se cristallise ainsi progressivement en institutions. Lorsqu'un grand nombre d'adeptes utilisent la règle, cela permet d'attirer de nouveaux arrivants potentiels. L'imitation de la réussite est, ici comme ailleurs, la forme la plus importante par laquelle les moyens des leaders deviennent la propriété des masses. Car plus il y a d'utilisateurs et plus il y a des occasions d'utiliser la règle comme un indicateur du comportement. Les institutions permettent de construire des plans, c'est à dire des anticipations subjectives à partir du passé. Car, exprime Ludwig Lachmann "Les institutions sont les reliques des efforts pionniers des générations précédentes à partir desquelles nous pouvons encore tirer des bénéfices"[7]. Les institutions sont des socles pour l'amélioration de la probabilité des résultats de nos anticipations subjectives. Aussi, lorsque le comportement en question est si répandu qu'il est considéré comme "généralement accepté", la règle devient alors une institution sociale. En référence au marché des capitaux, Ludwig Lachmann affirme: « Certaines institutions doivent être suffisamment souples pour s'adapter au changement, tandis que d'autres, en revanche, doivent être suffisamment résistantes aux changements pour rendre prévisibles les résultats des transactions intertemporelles[8].

La justification du marché boursier par les anticipations subjectives

La présence d'un marché boursier dans un pays est la caractéristique distinctive de l'économie de marché. C'est l'endroit où des spéculateurs à la hausse (optimistes) se lient avec les spéculateurs à la baisse (les pessimistes), c'est la seule condition de faire co-exister des anticipations qui sont divergentes et qui sont naturelles dans une population de grande taille. Pour Ludwig Lachmann, les marchés d'actifs financiers permettent dans une économie "capitaliste", c'est à dire où on prend en compte des capitaux hétérogènes, de pouvoir échanger et d'apposer des prix sur les actions et les obligations de façon quasi quotidienne. Ces marchés sont donc partie intégrante du bon fonctionnement d'une société fondée sur la propriété privée des moyens de production. Cependant, parce que les actionnaires et les détenteurs d'obligations ont des attentes différentes quant aux perspectives de bénéfices futurs, Ludwig Lachmann prévient ses lecteurs qu'il est faux de parler de mesure du stock de capital. Premièrement, toute évaluation repose sur des anticipations non observables. Deuxièmement, l'évaluation ne porte pas sur le stock de capital lui-même mais sur l'anticipation de la valeur future de l'entreprise incarnée par son stock d'actifs financiers (actions, obligations). S'il est vrai qu'un individu peut examiner les pages financières d'un journal ou d'un site internet, où les diverses anticipations sont converties en prix quotidiens et agrégés en indices, ceci n'est que le reflet des anticipations subjectives des acteurs sur le marché boursier.

Les limites et la compréhension de l'insistance sur le subjectivisme radical

La déductibilité logique d'un phénomène ou la déductibilité d'une décision pertinente n'est plus possible avec le modèle du subjectivisme radical. Ceci ne signifie pas que l'explication n'est plus possible, mais simplement que la forme d'explication par le déterminisme logique est exclue. Néanmoins, l'intelligibilité humaine constitue la caractéristique fondamentale de la logique d'explication d'un fait social et économique. Le contenu explicatif de la théorie du subjectivisme radical rend la plausibilité de l'explication d'un phénomène plus acceptable, en comparaison avec une situation d'explication sans aucun support de modèle théorique. Cette relation d'intelligibilité, c'est à dire dire ce choix d'un schéma explicatif n'implique pas une prévisibilité totale, ou même une forte probabilité (au sens mathématique), mais simplement l'éventualité pertinente accrue de l'occurrence. En s'appuyant sur le concept de surprise potentielle de George Shackle, l'imagination qu'un évènement va se produire, ou son alternative, repose sur l'individu imaginatif qui prend la décision et rien que sur lui. Le subjectivisme radical n'implique pas que l'individu soit soumis, fataliste et inactif face au chaos de l'avenir incertain.[9]

L’œuvre complète de Ludwig Lachmann fut plus compatible avec la théorie du followership que de celle du leadership. A savoir que Ludwig Lachmann n'a jamais recherché à établir une nouvelle "école" au sein de la théorie autrichienne. Il n'y a jamais eu de colloque ou de conférence sur le subjectivisme radical au cours de son existence. Comme le conçoit la théorie du followership, Ludwig Lachmann a tenté de faire comprendre les erreurs de logique interne, liées au concept d'équilibre économique auprès des leaders intellectuels autrichiens. Il le fit avec une certaine modestie et un respect pour ses aînés ainsi que pour ses pairs. Bien souvent, on attribue à Ludwig Lachmann l'étiquette d'un économiste du déséquilibre. Il n'en est rien. Si Ludwig Lachmann avait accepté l'idée de déséquilibre devant sa "porte", il aurait du admettre que la notion d'équilibre existe au "fond du jardin". Ceci le distingue des économistes post-keynesiens qui font de la notion de déséquilibre un prétexte à l'interventionnisme. Ludwig Lachmann fait prendre conscience aux auteurs autrichiens que la notion de subjectivisme existe même chez John Maynard Keynes lorsqu'il traite des anticipations subjectives. Et, il trouvait dommage que les auteurs autrichiens ne se soient pas davantage appuyés sur ces analyses et de laisser le champ libre aux post-keynesiens.

La réfutation des politiques keynésiennes interventionnistes

Il est reproché à Ludwig Lachmann d'effectuer beaucoup de concessions intellectuelles à John Maynard Keynes. S'il est vrai qu'il faut rendre hommage à Ludwig Lachmann pour aller chercher des idées sur le concept subjectiviste en dehors du champ autrichien, il reste assez ambigu sur le plan de l'interventionnisme keynésien. Ce flou ravit certains post-keynésiens qui trouvent en Ludwig Lachmann, une forme d'allié informel. On trouve dans son ouvrage sur la macro-économie, une remarque très autrichienne sur les agrégats :

"Les agrégats, tels que le produit intérieur brut ou l'investissement brut dans les industries manufacturières, ne doivent donc pas être considérés comme des grandeurs qui seraient ou pourraient rester constantes, sauf pour la croissance. Leur composition est en perpétuelle mutation affectant leur ampleur totale. La croissance des agrégats est toujours le résultat cumulatif d'autres changements dans les quantités de ressources, dans la productivité des facteurs de production, dans les prix relatifs, dans la demande, et ainsi de suite. Uniquement dans un monde avec une seule marchandise, il pourrait en être autrement. Il est donc impossible de discuter de manière significative des mesures politiques visant à influer sur l'ampleur de ces agrégats sans discuter aussi des changements dans leur composition qui doivent les accompagner."[10]. Autrement dit, Ludwig Lachmann s'oppose à tout interventionnisme, car celui-ci repose sur l'analyse des agrégats économiques, lesquels ne sont ni homogènes, ni indépendants. Il est certes possible d'utiliser des agrégats mais en gardant à l'esprit que les différents agrégats dans une économie n'ont pas des relations mécaniques entre eux. Les politiques publiques entrainent une perturbation dans l'économie, du fait même des outils sur lesquelles elles reposent, c'est à dire les agrégats. Cependant, dans la même page du livre en référence, Ludwig Lachmann donne deux exemples historiques où l'économie était dans une situation identifiable où les politiques keynésiennes furent ou auraient pu être efficaces.[11]

"Les politiques fondées sur les recettes macro-économiques keynésiennes auraient réussi (si elles avaient alors été essayées) en 1932 et elles ont réussi, en 1940, parce qu'il se trouve qu'au plus profond de la Grande Dépression, ainsi que pendant la Seconde Guerre mondiale, tous les secteurs de l'économie furent affectés de façon équivalente. En 1932, tout type de dépenses supplémentaires sur n'importe quel type de biens aurait eu un effet favorable sur les revenus car il y avait partout du chômage, ainsi que des biens d'équipement au ralenti et des stocks excédentaires de matières premières. Pendant la guerre, la situation était exactement le contraire, mais c'est précisément pour cette raison que les mêmes recettes, mais de signe opposé, furent appliquées. Avec des millions d'hommes et de femmes dans les forces armées, tout était rare, pas seulement la force de travail, et une réduction de la demande était bienvenue partout.

Ce sont, bien sûr, des situations anormales. Normalement, dans une économie industrielle, nous trouvons quelques industries en déclin (les mines de charbon, l'industrie du cinéma) côte à côte avec celles qui sont en expansion rapide". [12].

Certains keynésiens ont repris au bond cet extrait chez Ludwig Lachmann pour en justifier leur interventionnisme. Les keynésiens considèrent que dans des conditions de graves problèmes de chômage, de capacités de production fonctionnant au ralenti et des stocks de matières premières excédentaires, il est raisonnable, font-ils dire à Ludwig Lachmann que les politiques keynésiennes fonctionnent. Or, il s'agit là d'une mauvaise interprétation des idées de Ludwig Lachmann. Ce dernier a toujours précisé que les problèmes posés dans une économie nécessitent une étude détaillée et que les panacées macro-économiques sont illusoires.

L'argumentation de Ludwig Lachmann ne vise pas à soutenir les politiques keynésiennes. Il se place sur le plan utilitariste et donc sur la mesure de l'efficacité de l'interventionnisme économique. Il précise donc, que dans des situations extraordinaires, toute relance économique fonctionne. Mais, il ne précise pas qu'il s'agit là de la meilleure solution. Il fait écho aux keynésiens qui soutiennent qu'ils ont raison parce que leurs politiques de relance économique ont réussi. Sur les faits, Ludwig Lachmann est beaucoup plus circonspect. Il indique que c'est la situation qui a rendu efficace les politiques publiques mais ces politiques ne se sont pas réalisées sans heurts. Dans le court extrait, il n'utilise malheureusement pas un argument éthique, ni radicalement subjectiviste.[13]

S'il n'est pas un théoricien du déséquilibre, Ludwig Lachmann est encore moins un "nihiliste", c'est à dire un intellectuel qui ne croit pas que la science puisse dire quelque chose d'intéressant à ses semblables. Il avait une position méthodologique interprétative qu'il a adoptée de Max Weber, c'est à dire de donner des clefs de compréhension des phénomènes économiques et sociaux à ses contemporains. Il ne refusait pas la notion d'équilibre mais il ne souhaitait pas que ce concept soit à la base du raisonnement économique et social. Le leadership discursif et rhétorique, dans sa position intellectuelle marginale, comme cela arrive à tout innovateur intellectuel, a nécessité de sa part plus d'efforts pour faire comprendre la présence et l'implication du subjectivisme, d'où son insistance dans ses différents écrits. Le qualificatif de "radical" ne signifie pas que le subjectivisme soit total mais qu'il devait être pris en compte de façon plus prononcée par les théoriciens de l'équilibre général. Car, Ludwig Lachmann s'adresse au courant dominant de la science économique, dite "école néo-classique", guidée par les travaux antérieurs de Léon Walras sur l'équilibre général ou par Alfred Marshall sur l'équilibre partiel. Dans le premier cas, les individus représentés sont absents, les deux yeux du subjectivisme sont crevés et dans l'autre cas, l'individu est borgne. En effet, Alfred Marshall admettait la partie subjective de la demande avec sa métaphore des ciseaux mais des coûts objectifs pour l'offre. Ce sont sans doute les mêmes ciseaux qui percent les deux yeux du subjectivisme de l'équilibre général.

Plus proche de lui, Ludwig Lachmann dut convaincre son ami autrichien (Israel Kirzner) et son mentor intellectuel (Friedrich Hayek) qu'il est illusoire et vain de penser à une tendance à l'équilibre. Par le subjectivisme radical, Ludwig Lachmann désirait souligner la perte de temps et d'énergie des auteurs autrichiens à se focaliser sur l'équilibre général alors que leur apport intellectuel pouvait être plus bénéfique dans une théorie herméneutique adaptée aux outils de l'école autrichienne.

Informations complémentaires

Notes et références

  1. Ces faits économiques et sociaux ont eu pour conséquences successives de l'apparition du gouvernement de la République de Weimar, se terminant par la prise de pouvoir d'Adolf Hitler en 1933 qui menèrent au déclenchement quelques années plus tard à la seconde guerre mondiale (1939-1945).
  2. Ludwig Lachman , 1983, "John Maynard Keynes – A view from an Austrian window”, South African Journal of Economics, Vol 51, n°3, pp368-79
  3. Ludwig Lachmann, 1956, Capital and its Structure. Kansas City: Sheed, Andrews and McMeel, pxv
  4. Kenneth Boulding, 1973, commentaire du livre de George Shackle, "Epistemics and Economics", Journal of Economic Literature, 11, December, pp1373–1374
  5. Ludwig Lachmann, 1970, p8
  6. Ludwig Lachmann, 1970, p18
  7. Ludwig Lachmann, 1970, p68
  8. Ludwig Lachmann, 1979, p260)
  9. Même si l'avenir n'est pas connaissable, les individus peuvent investir pour réduire les effets de cette incertitude. Par exemple, un responsable marketing peut demander à une société spécialisée de mener une enquête sur le lancement d'un nouveau produit, un homme politique peut solliciter une agence de sondage pour connaître son futur succès à une élection politique, etc. Certes les résultats obtenus reflètent l'anticipation des sondés par rapport à une situation présente, rien ne permet d'établir qu'il s'agit là, de la découverte de l'avenir. Kenneth Boulding préconisait aux comptables et aux économistes de faire ressortir, dans leur analyse comptables, les investissements exprimant l'incertitude de l'entreprise face à l'avenir, les enquêtes marketing en font certainement partie qu'elles soient internalisées dans un service spécial de l'entreprise (actif de l'entreprise du haut du bilan) ou qu'elles soient externalisées (flux transitant par le bas du bilan).
  10. Ludwig Lachmann, 1973,"Macro-economic Thinking and the Market Economy: An Essay on the Neglect of the Micro-Foundations and its Consequences", Institute of Economic Affairs, p50
  11. A d'autres occasions, Ludwig Lachmann s'était opposé au "liquidationnisme" de Friedrich Hayek. En effet, selon les principes de la théorie de la structure de production de Friedrich Hayek, le retour à l'équilibre ne peut se réaliser que lorsque les mauvais investissements sont arrêtés et que la consommation dans les secteurs où la croissance est soutenue par les mesures publiques (principalement par les politiques du crédit) soit ralentie, de sorte que la structure de production retrouve une harmonie de développement entre les différents secteurs.
  12. Ludwig Lachmann, 1973,"Macro-economic Thinking and the Market Economy: An Essay on the Neglect of the Micro-Foundations and its Consequences", Institute of Economic Affairs, p50
  13. Ludwig Lachmann ne précise pas que les politiques publiques ne s'effectuent pas sans coût alternatif (subjectif), et donc au détriment d'autres actions qui n'ont pas pu être entreprises. C'est parce que l'Etat a le monopole des politiques publiques qu'une comparaison avec un système alternatif est rendu impossible. La force de l'Etat provient des impôts, de la création monétaire et de la réglementation. L'Etat confine donc ses administrés par sa force physique. Par analogie, lorsqu'une famille est prisonnière de ses kidnappeurs, doit-elle les remercier de sa libération même si celle-ci ne peut pas se faire sans leurs accords ? Ludwig Lachmann ne mentionne pas non plus que le concept de secteur économique ne doit pas être pris pour un concept "objectif", dans le sens où une ontologie (définition) s'imposerait à tous les acteurs économiques. La définition du secteur économique a le désavantage de reposer sur les biens produits. Or, une politique keynésienne de relance de la consommation repose sur les besoins de la demande (les consommateurs). Et, ces besoins sont intrinsèquement subjectifs c'est à dire qu'ils reposent uniquement dans l'esprit de chaque être humain au moment où il désire ce besoin. Il existe donc des besoins qui peuvent être satisfaits par des biens en concurrence n'appartenant pas obligatoirement au même secteur économique. Ludwig Lahmann cite l'industrie du cinéma comme secteur en déclin. Or, la production de cette activité répond à un besoin de divertissement de la part des consommateurs. Ces derniers peuvent autrement, lire un livre, regarder la télévision, voir un DVD, aller dans un parc d'attraction ou réaliser tout autre loisir défini par le consommateur lui-même. Comme toute politique publique implique des distorsions dans le développement des secteurs économiques, cela signifie également que l'interventionnisme est injuste puisqu'il ne tient pas compte des priorités des agents économiques qui souhaitent satisfaire leurs besoins avec des biens économiques n'appartenant pas au même secteur économique défini de façon péremptoire (et/ou par l'administration).

Publications

Pour une liste détaillée des œuvres de Ludwig Lachmann, voir Ludwig Lachmann (bibliographie)

Littérature secondaire

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Pour voir les publications qui ont un lien d'étude, d'analyse ou de recherche avec les travaux et la pensée de Ludwig Lachmann : Ludwig Lachmann (Littérature secondaire)

Liens externes

Textes

En français

En anglais

En portugais

  • "Lachmann e a teoria do processo de mercado: entre o pensamento austríaco e o pós-keynesiano" ("Lachmann et la théorie du processus du marché : entre la pensée autrichienne et la pensée post-keynésienne"), Mémoire de master présenté au Programme d'études supérieures en économie de la Faculté des sciences et des lettres - Unesp / Araraquara, requis pour obtenir le master en économie, présenté par Rodrigo Anjos en 2015. Directeur de recherche : Eduardo Strachman, co-direceur de recherche : Fabio Barbieri

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