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Nicolas de Condorcet

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Nicolas de Condorcet
philosophe

Dates 1743 - 1794
Nicolas de Condorcet
Tendance Libéral classique
Nationalité France France
Articles internes Autres articles sur Nicolas de Condorcet

Citation « Sous la constitution la plus libre, un peuple ignorant est toujours esclave. »
Interwikis sur Condorcet

Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, marquis de Condorcet, dit Nicolas de Condorcet ou Condorcet, né le 17 septembre 1743 à Ribemont (Aisne) et mort le 28 mars 1794 à Bourg-la-Reine, était un philosophe, mathématicien et politologue français.

Courte biographie de Condorcet

Sa jeunesse

Né à Ribemont (Aisne) en 1743, il est l’un des descendants de la famille Caritat. Les Caritat tenaient leur titre de la ville de Condorcet (Dauphiné) dont ils étaient originaires. Son père mourut lorsqu’il était encore très jeune. Sa mère, très dévote, confia son éducation au collège jésuite de Reims, puis au collège de Navarre, à Paris.

Condorcet se distingua rapidement par ses capacités intellectuelles. Les premières distinctions publiques qu’il reçut furent en mathématiques. Quand il eut 16 ans, ses capacités d’analyses furent remarquées par D'Alembert et A.C. Clairaut, et bientôt, il devint l’élève de D’Alembert.

Son entrée en politique

En 1774, Condorcet fut nommé inspecteur général de la Monnaie par Turgot. Dès lors, Condorcet déplaça son centre d’intérêt des mathématiques vers la philosophie et la politique. Les années qui suivirent, il prit la défense des droits de l’homme, et particulièrement des droits des femmes et des noirs. Il supporta les idées novatrices des tout récents États-Unis, et proposa en France des projets de réformes politiques, administratives et économiques.

En 1776, Turgot fut démis de son poste de contrôleur général. Y voyant « l'événement fatal qui a ôté aux honnêtes gens l'espérance et le courage », Condorcet choisit alors de démissionner de son poste d’inspecteur général de la Monnaie, mais sa démission fut refusée, et il resta en poste jusqu’en 1791. Plus tard, Condorcet écrira la Vie de M. Turgot (1786), où il exposera et démontrera le bien fondé des théories économiques de Turgot.

Condorcet continuera à se voir attribuer des fonctions prestigieuses : en 1777, il fut nommé secrétaire de l’Académie des Sciences, et en 1782, secrétaire de l’Académie française.

En 1786, il épouse Sophie de Grouchy, jeune femme d'excellente éducation et d'une haute culture, s'étant en particulier distinguée par la traduction de la Théorie des sentiments moraux d'Adam Smith. Le philosophe écossais fréquentera d'ailleurs son Salon, ainsi que le feront de nombreux hommes politiques et philosophes en vue (Beaumarchais, Cabanis, Thomas Paine, Thomas Jefferson, Cesare Beccaria, etc). Mme Condorcet sera toujours aux côtés de son mari dans les épreuves qui suivront.

La Révolution française

En 1789, lorsque la Révolution française éclata, Condorcet y tint un rôle majeur, lui, grand défenseur de nombreuses causes libérales, qui espérait une reconstruction rationaliste de la société. Après la prise de la Bastille (1789) il fut élu au conseil municipal de Paris. Si bien qu’en 1791, il fut élu représentant de Paris au sein de l’Assemblée législative, après avoir demandé l'établissement de la République et devint même le secrétaire de l'Assemblée. Il siège avec les Brissotins (Girondins). L’Assemblée adopta, pour le système éducatif de la nation, la structure que proposait Condorcet : il introduit la notion fondamentale de laïcité de l’enseignement. Il proposa même un brouillon de constitution pour la nouvelle France. De plus, il prit une part active à la cause des femmes, en se prononçant pour le vote des femmes dans un article du Journal de la Société de 1789, et en publiant en 1790 : « De l'admission des femmes au droit de cité ». Condorcet se trouva bientôt en mauvaise posture. Deux courants de pensée s’affrontaient quant à la manière de réformer l’État français : les Girondins, favorables à une reconstruction pacifique du pays et les Jacobins, dirigés par Maximilien de Robespierre, qui prônaient une purge radicale du passé impérial français. Condorcet faisait partie des Girondins, et vota contre l’exécution de Louis XVI.

Les Girondins perdirent le contrôle de l’Assemblée en faveur des Jacobins, en 1793. Le jacobin Marie-Jean Hérault de Séchelles proposa alors une nouvelle constitution, très différente de celle de Condorcet. Mais celui-ci la critiqua, ce qui le fit condamner pour trahison. Le 3 octobre 1793, le mandat d’arrêt était délivré contre lui.

Le mandat d’arrêt contre Condorcet le força à se cacher. Il trouva refuge pendant cinq mois dans la demeure de Mme Vernet, rue de Servandoni, à Paris. Il en profita pour écrire Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain qui fut publié après sa mort, en 1795. Le 25 mars 1794, Il quitta sa cachette, convaincu de ne plus y être en sécurité, et tenta de fuir Paris. Il fut arrêté à Clamart deux jours plus tard (le 27), et mis en prison à Bourg-la-Reine (rebaptisé Bourg-l'Egalité). On le retrouva deux jours plus tard mort dans sa cellule, victime d'un œdème pulmonaire. La tradition du suicide est inventée de toutes pièces.

Ses idées

Le paradoxe de Condorcet

En 1785, Condorcet publia l’un de ses principaux travaux : l'Essai sur l’application de l’analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix. Dans cet ouvrage, il explore le paradoxe de Condorcet, qu’il décrit comme l’intransitivité possible de la majorité : parmi un même électorat, et lors d’une même élection, il est possible qu’une majorité préfère A à B, qu’une autre majorité préfère B à C, et qu’une troisième majorité préfère C à A. Les décisions prises à une majorité populaire par ce mode de scrutin seraient donc incohérentes par rapport à celles que prendrait un individu rationnel. Condorcet précise lui-même, dans ses travaux, comment lever son paradoxe, tout en indiquant que des questions de temps pratique du dépouillement rendent les solutions qu’il envisage impossibles, en tout cas à son époque.

Le résultat de Condorcet sera généralisé au XXe siècle avec le théorème d'impossibilité d'Arrow qui montre l'impossibilité de choix collectifs répondant à certaines exigences minimales.

Une conception libérale du Droit

Défenseur de l'isonomie

Condorcet est également l'auteur d'essais juridiques. On lui doit notamment une critique mordante de Montesquieu, publiée dans ses Observations sur le XXIXe livre de l'Esprit des Lois. Il s'étonne du refus exprimé par l'illustre écrivain de fonder sa réflexion sur un système de principes normatifs. En effet, Montesquieu fait avant tout œuvre de compilateur et de comparatiste. Et lorsqu'il donne son avis, c'est pour dénoncer l'uniformité juridique, ainsi qu'il le fait dans la partie critiquée par Condorcet. Ce dernier y voit l'assise sur laquelle les « gens à préjugés » s'appuient pour critiquer les Lumières. Car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, ce n'est pas à l'uniformité égalitariste que Montesquieu s'en prend, mais à l'isonomie. Condorcet voit dans la promotion « montesquienne » de la diversité des lois un danger pour la liberté naturelle des individus, puisqu'elle revient à rejeter toute légitimité d'un droit universel et supérieur aux coutumes locales et à perpétuer l'ordre ancien dans lequel chaque seigneur était souverain sur ses terres comme le roi était réputé "empereur en son royaume".

Il résume avec force et clarté ses idées dans l'extrait suivant[1] :

« Comme la vérité, la raison, la justice, les droits de l'homme, l'intérêt de la propriété, de la sûreté, sont les mêmes partout, on ne voit pas pourquoi toutes les provinces d'un État, ou même tous les États, n'auraient pas les mêmes lois criminelles, les mêmes lois civiles, les mêmes lois de commerce, etc. »

Ainsi que le remarque Philippe Nemo, Condorcet prône même en ce passage un droit cosmopolite très proche de celui défendu par Kant. Il est permis d'ajouter que le philosophe et homme politique des Lumières avait admirablement saisi la raison épistémologique de l'opposition des tenants de l'Ancien Régime aux idées libérales, comme en témoigneront les idées de l'école contre-révolutionnaire. Dans ses Réflexions sur la Révolution de France (1790), Burke commettra ainsi la même erreur théorique que Montesquieu en confondant égalité et égalitarisme. Il en ira pareillement pour Necker dans ses Réflexions philosophiques sur l'égalité (publiées à titre posthume en 1820, mais écrites en 1793), tandis que les « théocrates » Louis de Bonald et Joseph de Maistre se moqueront de l'universalité des droits de l'homme.

Le Droit antérieur à l’État

L’État doit défendre les droits naturels qui lui préexistent

Dans sa Vie de Monsieur Turgot (1786), Condorcet développe sa philosophie politique et économique. Pour lui, les hommes jouissent de droits naturels, donc antérieurs à la formation d'une société politique. L’État n'est institué que pour protéger le droit de propriété et la liberté naturelle, intrinsèques à chaque individu. Très proche de l'argumentation d'un John Locke, il note ainsi :

« La propriété n'est autre chose que la libre disposition de ce qu'on possède légitimement. Dans l'état naturel tout ce dont on jouit sans l'avoir enlevé à un autre, forme cette propriété ; dans l'état social elle devient ce qu'on a reçu de sa famille, ce qu'on a pu acquérir par son travail, ce qu'on a obtenu par une convention. Les lois règlent la manière d'exercer ce droit ; mais ce n'est pas des lois qu'on le tient. (...) La liberté naturelle consiste dans le droit de faire tout ce qui ne nuit pas au droit d'autrui. Il ne faut pas confondre cette liberté avec la liberté civile, qui consiste à n'être forcé d'obéir qu'à des lois, car les lois peuvent violer la liberté naturelle ; ni avec ce qu'on appelle la liberté politique, qui consiste à n'obéir qu'aux lois auxquelles on a donné sa sanction soit par soi-même, soit par ses représentants. La liberté civile n'est qu'une jouissance confirmée par l'autorité des lois d'une partie et souvent d'une très petite partie de la liberté naturelle, même dans les pays où l'on se vante le plus d'être libre. La liberté politique n'est véritablement que l'exercice du droit de souveraineté, droit qui n'a dû son existence qu'à la société, et qu'il ne faut pas confondre avec ceux pour le maintien desquels elle a été établie. »

Pour être légitimes, continue Condorcet, les lois doivent respecter deux critères essentiels : d'abord, elles ne peuvent émaner que d'une autorité légitime ; ensuite, elles ne peuvent aucunement enfreindre le Droit naturel. Condorcet désapprouve ainsi la confusion courante entre loi et justice et donne des exemples éloquents de cette funeste erreur :

« Quoi ? lorsque le peuple d'Athènes eut décerné par une loi la peine de mort contre ceux qui brisaient les statues de Minerve une telle loi pouvait être juste ? Quoi ? la loi en vertu de laquelle il bannissait de la Ville tout homme dont les talents lui faisaient ombrage, pouvait être une loi légitime ? »

Concernant l'intervention du gouvernement dans l'économie, Condorcet se montre intraitable. L'État doit se borner à assurer la sécurité juridique des agents économiques et doit, par exemple, s'abstenir de fixer les prix. Il écrit ainsi, à propos des taux d'intérêt:

« L'intérêt de l'argent doit être libre, parce qu'alors il se règle toujours sur le profit qu'il rapporte à l'emprunteur, et sur la probabilité de retirer ses fonds. Si on le fixe par une loi, en soumettant à des pertes ou à des peines ceux qui s'en écartent, on nuit à l'activité du commerce, et l'on augmente le taux de cet intérêt qu'on voulait diminuer. »

Néanmoins, raisonnant avant la lettre en termes de biens publics, il suit Turgot en estimant que les infrastructures doivent être financées par l'impôt, en répartissant celui-ci sur une base proportionnelle.

Il n'en reste pas moins que, pour lui, le rôle de l'État doit se cantonner aux actions suivantes :

« Maintenir la libre jouissance des droits naturels des hommes contre la fraude et contre la violence ; soumettre à des formalités légales les conventions naturellement légitimes qu'ils peuvent former entre eux ; établir des formes régulières d'acquérir, de transmettre, de recevoir la propriété ; assujettir à des règles communes celles des actions des hommes, que dans l'état social le maintien des droits de chacun exige qu'on s'y soumette : c'est là que finissent les droits de la société sur les individus. Le reste des lois ne peut avoir pour objet que de régler la manière dont la puissance publique doit exercer ses fonctions. La religion ne doit pas plus être l'objet des lois que la manière de s'habiller ou de se nourrir. »

Le Droit n'est pas la loi

Contre la confusion propre à de nombreux révolutionnaires, Condorcet refuse de considérer que toute loi émanant de la nation doit être considérée comme juste. En effet, il peut arriver qu'une loi attente aux droits d'un individu sous le prétexte d'imposer la volonté populaire :

« Chaque homme peut réellement se lier d'avance au vœu de la majorité (...) mais il ne peut y lier que lui seul ; il ne peut être engagé, même envers cette majorité, qu'autant qu'elle ne blessera pas ses droits individuels, après les avoir reconnus. »

C'est pourquoi, dès 1789, Condorcet avait demandé, sans succès, que la future Constitution fût soumise à l'approbation de tous les citoyens. Il exprimera de nouveau cette requête deux ans plus tard dans deux textes portant sur les conventions nationales. Puis, il essayera de concrétiser ses intentions dans un projet de Constitution qui sera violemment stigmatisé par les jacobins.

Dans l'esprit de Condorcet, il s'agit de permettre l'initiative au sein du peuple de réviser la Constitution et de définir légalement le droit de résistance à l'oppression.

Citations

  • « Il est aisé de prouver que les fortunes tendent naturellement à l'égalité, et que leur excessive disproportion, ou ne peut exister, ou doit promptement cesser, si les lois civiles n'établissent pas des moyens factices de les perpétuer et de les réunir ; si la liberté du commerce et de l'industrie fait disparaître l'avantage que toute loi prohibitive, tout droit fiscal donnent à la richesse acquise; si des impôts sur les conventions, les restrictions mises à leur liberté, leur assujettissement à des formalités gênantes, enfin l'incertitude et les dépenses nécessaires pour en obtenir l'exécution n'arrêtent pas l'activité du pauvre, et n'engloutissent pas ses faibles capitaux ; si l'administration publique n'ouvre point à quelques hommes des sources abondantes d'opulence, fermées au reste des citoyens ; si les préjugés et l'esprit d'avarice, propre à l'âge avancé, ne président point aux mariages ; si, enfin, par la simplicité des mœurs et la sagesse des institutions, les richesses ne sont plus des moyens de satisfaire la vanité ou l'ambition, sans que cependant une austérité mal entendue, ne permettant plus d'en faire un moyen de jouissances recherchées, force de conserver celles qui ont été une fois accumulées. »
  • « Tout homme qui fera profession de chercher la vérité et de la dire, sera toujours odieux à celui qui exercera l'autorité. (...) La vérité est donc à la fois l’ennemie du pouvoir comme de ceux qui l’exercent, plus elle se répand, moins ceux-ci peuvent espérer de tromper les hommes ; plus elle acquiert de force, moins les sociétés ont besoin d’être gouvernées. » (Cinquième mémoire sur l’instruction publique)

Notes et références

Publications

  • 1788, Essai sur la constitution et les fonctions des assemblées provinciales, Imprimerie royale, Paris
    • Reproduit en 1986, In: CONDORCET, Sur les élections et autres textes, textes choisis et revus par O. DE BERNON, Fayard
  • 1785, Essai sur l'application de l'analyse à la probabilité des décisions rendues à la pluralité des voix, Imprimerie royale, Paris
    • Reproduit en 1986, In: CONDORCET, Sur les élections et autres textes, textes choisis et revus par O. DE BERNON, Fayard
  • 1965, "The History of Human Progress, Book Ten", In: Nicholas Capaldi, dir., "The Enlightenment: The Proper Study of Mankind", York: G.P. Putnams’s Sons

Littérature secondaire

  • 1883, Charles Henry, "Correspondances inédites de Condorcet et de Turgot (1770-1779)", Paris, Charavay frères éditeurs
  • 1893, J. P. E. Robmet, "Condorcet", Paris
  • 1903,
    • Franck Alengry, "Condorcet, Guide de la Révolution Française, Théoricien du Droit Constitutionnel et Précurseur de la Science Sociale", Paris
    • F. Vial, "Condorcet et l'éducation démocratique", Paris
  • 1904, Léon Cahen, "Condorcet et la révolution française", Paris
  • 1908, Eugène Caillaud, "Les idées économiques de Condorcet", Poitiers
  • 1929, J. Salwyn Schapiro, "The Esquisse of Condorcet", In: "Essays in Intellectual History", New York
  • 1931, J. Salwyn Schapiro, "Condorcet, Marie Jean Antoine Nicholas Caritat, Marquis de", In: Edwin R. A. Seligman, dir., "Encyclopaedia of The Social Sciences", Vol IV, New York: MacMillan
  • 1975, Keith Michael Baker, "Condorcet : From Natural Philosophy to Social Mathematics", Chicago: University of Chicago Press
  • 1976, Keith Michael Baker, dir., "Condorcet: Selected Writings", Indianapolis, IN: Bobbs-Merrill
  • 1978, H. P Young et A. Levenglick, A Consistent Extension of Condorcet's Election Principle, SIAM Journal of Applied Mathematics, 35: 285-300
  • 1988,
    • Elisabeth Badinter et Robert Badinter, "Condorcet (1743–1794): Un intellectuel en politique", Paris: Fayard
    • H. Moulin, The Condorcet Principle Implies the No Show Paradox, Journal of Economic Theory, 45: 53-64
    • H. P. Young, Condorcet's Theory of Voting, American Political Science Review, 82: 1231-1244
  • 1997, Y. Balasko et H. Cres, The Probability of Condorcet Cycles and Super Majority Rules, Journal of Economic Theory, 75: 237-270.
  • 2001, E. Rothschild, "Economic Sentiments. Adam Smith, Condorcet, and the Enlightment", Harvard University Press, Cambridge

Liens externes


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