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Leadership esthétique

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Alors même que de nombreuses études sur la recherche de l'efficacité dans les organisations ont souligné l'approche scientifique-réaliste de Chester Barnard, peu ont signalé que le théoricien des organisations avait noté, dans les années 1930, la centralité de comprendre le côté esthétique du leadership sous l'aspect de l'intuition, de la confiance, du jugement et du sens (signification). Le leadership esthétique est une façon de rendre forme à la grâce du management en renforçant l'impact des relations d'urbanité, de civilité, de déférence et du respect de la vie des autres. Les qualités exprimées dans le leadership esthétique s'accordent avec d'autres styles de leadership comme le leadership transformationnel, le leadership visionnaire, le leadership charismatique, le leadership inspirationnel ou le leadership authentique. Les théoriciens du leadership esthétique ont rompu avec les paradigmes positivistes en revisitant l'impact de l'esthétique sur le leadership. L'approche esthétique souligne la manière dont les expériences sont perçues par les sens humains, comment elles se transforment en connaissances et comment la nature corporelle de l'interaction sociale joue un rôle fondamental en matière de leadership.

Rupture du leadership esthétique avec l'instrumentalisme psychologique et de sa méthodologie positiviste

Les études sur les organisations au fil des années sont devenues excessivement analytiques, avec des outils méthodologiques comme le raisonnement déductif employé au sein d'un ensemble de paradigmes employant des critères numériques, des formulations mathématiques, des cloisonnements de problèmes et des procédures comptables d'exploitation standard. Les approches traditionnelles sur le leadership furent trop orientées vers une méthodologie positiviste qui peine à reconnaître ou à conceptualiser l'esthétique, notamment dans les aspects physiques de l'interaction sociale entre des individus sur leur lieu de travail.

Les outils rationnels et analytiques sont évidemment utiles, mais, ils sont insuffisants en soi. Les approches purement analytiques sont trop minces pour décrire en profondeur les expériences. Les exclamations comme "cela fonctionne efficacement" sont désormais annexées à d'autres formulations esthétiques, jusqu'alors négligées, comme : "Cela fonctionne magnifiquement". Les recherches sur les significations ressenties, par l'observation ethnographique, par exemple, requièrent une sensibilité esthétique. Cela exige d'adopter une attitude dans l'observation avec une ouverture et une écoute de l'expérience d'un objet ou d'un processus esthétique. Les chercheurs tentent d'exploiter l'opportunité d'en apprendre davantage au sujet des leaders dans des contextes organisationnels de création tels que dans un orchestre (philharmonique, de jazz, etc.), sur un plateau de cinéma, sur une piste de danse, sur une scène de théâtre, dans les bureaux d'architectes, dans les studios de musique, et dans les galeries d'art tout autour du globe, là où la créativité incrémentale est la norme quotidienne de l'activité.

Lorsque les orientations strictement positivistes sont insuffisantes pour tenir compte de l'efficacité du leadership, un intérêt plus profond fut de stimuler des explications par le leadership esthétique. Abraham Zalenik (1992), en avançant sur la théorie du management versus leadership, fait valoir que les chefs d'entreprise ont beaucoup plus en commun avec des artistes, des chercheurs et d'autres penseurs créatifs que ne le sont les gestionnaires. Le leadership est comparable à l'art[1] car il a également une grande partie de création. Le leadership esthétique encourage la tension distante entre le rationnel et l'artistique comme une source de potentiel créatif au sein des organisations. Certains auteurs parlent même de l'esthétique organisationnelle. Comme l'art, le leadership est un procédé d'exploration et de recherche qui a le pouvoir de se relier à ce qui est le plus profondément ancré en chacun de nous. Le leadership esthétique repose donc sur des compétences intrinsèques comme une intuition individuelle et des capacités cognitives, sensorielles et émotives.

Deux mouvements de recherche se sont opérés, l'un a poussé son intérêt vers une approche constructionniste, subjective et symbolique du leadership. L'autre mouvement a renouvelé son intérêt pour une influence sociale des "suiveurs". Particulièrement visible dans le domaine du marketing et de la publicité, les leaders sont parés de qualités esthétiques. C'est-à-dire que les suiveurs imprègnent leurs leaders de capacités basées, au moins partiellement, sur ​​des sens esthétiques et sur leurs jugements à les diriger, en opposition à des critères purement objectifs. Les individus tendent à former des stéréotypes positifs envers les personnes physiquement attractives. Il s'agit là d'une raison principale pour laquelle les acteurs et actrices de cinéma sont jugés comme plus chaleureux, plus sensibles, plus empathiques et plus heureux que les autres[2]. Le leadership esthétique transforme ceux et celles qui l'incarnent de "beau" en "bon", raison pour laquelle ils jouent un rôle de leadership d'opinion important.

Les approches du leadership ancrées dans le réalisme scientifique, comme la plupart des sciences sociales, ont une vision trop étroite pour décrire les expériences humaines plus complexes du leadership. En réalité, les suiveurs, comme les leaders, se laissent aller par leur intuition. Les jugements sur les qualités du leadership sont implicites et subjectives. Ils impliquent des processus de "sensemaking" (de fabrication de signification) qui s'appuient sur des connaissances tacites subjectives et des sensibilités esthétiques. Les sens que les suiveurs fabriquent, et les sentiments qu'ils ont, à propos de l'expérience contextualisée des phénomènes de leadership produisent des connaissances esthétiques ou, autrement dit, une esthétique épistémique. L'expérience sensorielle crée un lien entre les pensées et les sentiments et la manière dont notre raisonnement informe les cognitions. Cette esthétique épistémique correspond à une connaissance incarnée et tacite contrastant avec une connaissance intellectuelle et explicite omnisciente. Le leadership esthétique considère que la réalité est une expérience subjective, par l'interprétation faite par l'homme s'appuyant sur sa raison et ses perceptions. Chaque individu joue un rôle dans la construction de la réalité.

Malgré les réticences initiales sur une méthodologie empirique, une grande partie de la recherche actuelle est moins expressive sur son antagonisme envers les méthodes empiriques et elle adopte une méthodologie holistique, dans son sens gelstaltiste, pour suggérer que l'esthétique offre un tableau global plus complet de la compréhension sur la nature réelle du leadership. Par exemple, certaines recherches empiriques saisissent la beauté de l'organisation dans son ensemble, et d'autres recherches font valoir que les processus organisationnels doivent être compris comme un phénomène esthétique parce que les participants de l'organisation sont «des artisans et des esthètes». L'exploration esthétique ressentie émotionnellement vis à vis des artefacts organisationnels, comme l'architecture intérieure et intérieure ds bâtiments, le design du mobilier et la disposition du mobilier, la décoration ou le style vestimentaire des salariés constituent un paysage symbolique de l'organisation, qui complète l'analyse normative des comptes de résultats de l'entreprise.

L'expérience sensorielle comme clé majeure de la compréhension du leadership

Le leadership esthétique vient en renfort à la compréhension du leadership charismatique. L'attachement affectif des suiveurs vis à vis du leader est soit analysé comme une réponse à la présence de charisme chez un individu, soit parce que les disciples accordent cette qualité clé à une personne particulière. Les fidèles "accordent des effets extraordinaires" au leader charismatique et lui attribuent un attachement émotionnel. Pourtant, la théorie du leadership charismatique n'a pas exploré comment les disciples décident d'accorder ou de décerner du charisme aux leaders. Il est reconnu que le charisme implique beaucoup de travail émotionnel mais on sait peu quelles sont les ressources et les processus qui conduisent à cet attachement émotionnel. Compte tenu du rôle de l'émotion et des sentiments envers les leaders, ainsi que la décision de donner du charisme ou non, les jugements esthétiques des suiveurs sont basés sur leurs expériences sensorielles de l'interaction avec le leader.

Dans la mesure où le leadership discursif évoque une certaine esthétique ou tente de gérer un ressenti significatif, il se rapporte alors au leadership esthétique. Les émotions peuvent être évidentes dans le discours du leadership (leader et suiveurs). Mais le leadership esthétique comprend également d'autres formes symboliques, telles que le non-discursif, le contexte, et les constructions paralinguistiques de sens. Par exemple, les participants de l'organisation peuvent partager un ressenti fort par une compréhension tacite de leur climat organisationnel.

Les leaders d'aujourd'hui sont confrontés à des réalités complexes, à un changement permanent, à une incertitude et à une turbulence qui submergent l'emploi du temps des dirigeants les plus compétents. Les leaders doivent développer des compétences esthétiques en plus de leurs capacités rationnelles et analytiques surtout en période de difficulté et d'incertitude. Ce sens de l'art de la décision du leader a offert de nouvelles orientations pour l'étude du leadership afin de relever les défis complexes, dans la mesure où les processus artistiques sont particulièrement pertinents pour effectuer un travail complexe. Le leadership esthétique est une réponse aux changements complexes qui nécessite un sens artistique, non pas comme une simple question de style ou d'embellissement, mais comme une composante nécessaire du processus de la prise de décision. Le leadership esthétique est intrinsèquement social, comme il s'exprime, par exemple, dans un leadership de parité d'une communauté de pratiques où chacun apporte une touche particulière embellissant l’œuvre commune.

L'esthétique comme élément de coordination et d'harmonie

Dans ses différents écrits, l'ethnologue Edward Hall a montré comment le corps et son déplacement sont des éléments de communication non verbale. En observant les danseurs sur la piste de danse il fut surpris que des mouvements apparemment non coordonnés et non planifiés s'adaptaient dans un rythme et dans une harmonie esthétique. La métaphore de la danse illustre la nature corporelle de leadership à la fois pour les praticiens et les théoriciens. Arja Ropo et Erika Sauer (2008) utilisent aussi la métaphore de la danse pour montrer que les outils méthodologiques traditionnels du leadership omettent de prendre en compte un élément esthétique incontournable, le corps humain. En comparant une danse de couple comme la valse avec celle d'une rave party, les auteurs contrastent, de façon métaphorique, le leadership hiérarchique, logique et rationnel avec un leadership non hiérarchique, intuitif et procédural. La métaphore de la valse décrit le leader comme un individu mâle dominant qui sait où aller et où la partenaire de danse est une suiveuse ou du moins de quelqu'un qui dispose d'un moindre rôle dans l'orientation de la danse. La rave party, de son côté, représente un certain modèle d'une danse différente non hiérarchique et donc d'une compréhension différente du leadership. Mus par le rythme musical, les danseurs n'exécutent pas de pas de danse préalablement définis. Il n'y a pas dans cette configuration un partenaire pré-établi qui mène la danse et un autre qui le suit. Même le cheminement de la danse ne peut pas être connu au début de la danse, mais il est négocié alors que la rave continue. Cette forme de danse symbolise, pour les auteurs, la vie de l'organisation économique et sociale car elle représente la collaboration chaotique, pleine de changements inattendus, ambigus et incertains au sein des réseaux sociaux et économiques.

Le leadership esthétique est actif dans une orientation dynamique, avec des acteurs dispersés où les processus du travail et le résultat visé sont constamment négociés. À travers les métaphores de la danse de la valse et des raves, Arja Ropo et Erika Sauer (2008) soulignent différents aspects corporels tels que le regard, le rythme et l'espace pour donner une description esthétique où le leadership prend en compte la corporéité des acteurs. Le leadership est esthétiquement et corporellement co-construit à la fois entre le leader et les "suiveurs".

Frédéric Bastiat est considéré par beaucoup d'auteurs comme un précurseur de l'école autrichienne d'économie. L'écrivain français fait référence à un leadership esthétique en lui accordant un autre sens vu précédemment. Frédéric Bastiat voyait le monde comme une "harmonie majestueuse". Son leadership esthétique ne s'incarne pas dans une personne particulière mais dans un processus général d'une beauté en ordre avec une "loi naturelle", un agencement dirigé par ce qu'Adam Smith dénommait la "main invisible". Ce sont les actions "légitimes", productives, industrieuses des hommes et des femmes, stimulés de façon individuelle ou regroupés en organisations qui éclairent un itinéraire balisé et harmonieux. Le leadership esthétique de Frédéric Bastiat est à la fois téléologique car il guide sur la direction à suivre et mu par une force se situant au-delà de la simple volonté des participants de la société. Car, ce leadership esthétique est aussi une force d'émulation pour chaque individu qui désire se positionner activement, ou autrement dit selon les propos de Ludwig von Mises, de façon entrepreneuriale, dans un cadre de réussite. Le leadership esthétique a donc deux dimensions, l'une qui se réfère à l'individu agissant en conformité avec la loi naturelle, l'autre qui concerne le processus qui mène à l'harmonie de la société. Il estimait que l'économie de marché produit (et qu'il est dérivé de) la bonne volonté essentielle entre un individu et ses concitoyens.

Annexes

Notes et références

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Publications

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