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Curiosité épistémique

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La curiosité épistémique est généralement définie comme un désir d'acquérir de nouvelles connaissances et d'initier une nouvelle expérience sensorielle, lesquelles actions se manifestent par un comportement exploratoire ou d’investigation d'un être animé. Il est d'ailleurs très difficile d'identifier la cause et l'effet entre l'éducation et la curiosité. Est-ce l'instruction qui favorise la curiosité[1] ou est-ce la curiosité qui développe l'intelligence d'apprentissage[2] ?

Ce concept de curiosité épistémique a été analysé à la racine par des philosophes (William James[3]), étudié profondément par des psychologues (Daniel Berlyne[4], W. McDougall[5], G. Loewenstein[6]) ou abordé latéralement par des économistes de l'école autrichienne[7] (Israel Kirzner[8], Friedrich Hayek[9]).

L'aspect positif de la curiosité épistémique

Alors que la curiosité, dite mal placée, a une connotation morale négative, soit par franchissement de la sphère privée, soit par la dénonciation d'une bizarrerie, la curiosité d'esprit dispose d'une valeur positive en éducation. L'apport de la psychologie permet de considérer la curiosité comme un aspect de la cognition (individuelle et sociale), de l'intensité de la motivation (intrinsèque) et de l'émergence furtive ou chronique de certaines émotions (la lassitude, la frustration ou la désillusion[10]). Selon la neuroéconomie[11] et la psychologie évolutive, les êtres humains ont évolué au cours de l'histoire de l'humanité par des situations où l'environnement naturel et social était soumis à des incertitudes mortelles et à des changements rapides. La curiosité s'est donc formée au sein des cerveaux humains en réponse aux interrogations sur les informations, les capacités, les attitudes, les compétences qui sont nécessaires dans le groupe et qui pourraient se révéler utiles en cas de nécessité. La curiosité épistémique est donc un avantage concurrentiel durable pour chercher des informations et pour apprendre à s'adapter rapidement à une situation nouvelle.

Au cours de sa carrière, Daniel Berlyne a différencié plusieurs types de curiosité exploratoire :

  • La curiosité perceptive
  • La curiosité de diversion
  • La curiosité spécifique
  • La curiosité épistémique

Daniel Berlyne définit la curiosité perceptive comme la curiosité qui conduit à une augmentation de la perception des stimuli lorsqu'un individu rencontre une perception nouvelle, ambiguë ou qui semble complexe à analyser (Par exemple : « Quand j'entends un bruit étrange, j'ai l'habitude d'essayer de trouver ce qui l'a causé ou qui l'a émis »). Ceci a été vérifié chez des animaux et les humains par des stimulations visuelles, auditives ou tactiles. La curiosité perceptive serait stimulée par le besoin de nouveauté et elle s'éteindrait par l’habitude, la familiarité ou la lassitude. La curiosité de diversion, autre forme de curiosité présentée par Daniel Berlyne, est motivée par des sentiments d'ennui ou par un désir de varier les stimuli, lesquels poussent les animaux et les humains à chercher la stimulation indépendamment de la source ou du contenu. Elle peut être analysée comme un besoin de distraction, un remède contre l’ennui, une recherche sans but très précis (Par exemple : « Aimer découvrir de nouveaux endroits où se promener »). La curiosité spécifique, quant à elle, est provoquée par la recherche détaillée de nouveaux stimuli afin d'acquérir de nouvelles informations (Par exemple : « Quand je vois un nouveau tissu, j'aime le toucher et en ressentir les sensations »). Lorsque l'individu reçoit une réponse satisfaisante, la curiosité spécifique s’éteint. Mais cette curiosité peut être stimulée de nouveau lorsque des situations cognitives entrent en conflit avec nos anticipations épistémiques.

La curiosité épistémique, par contre, présentée par Daniel Berlyne, est une « pulsion à l'action de savoir » réveillée chez l'être humain par des énigmes conceptuelles ou par des lacunes dans les connaissances. Un différentiel de connaissance (knowledge gap) est suscité par les sens de la perception d'un individu. Afin de résoudre un problème, définir un diagnostic ou tout généralement, effectuer un choix, il établit un écart entre ce qu'il sait et ce qu'il voudrait savoir.

Alors que les autres formes de curiosité proviennent d'un état psychologique négatif provoqué par une sensation interne de manque d’informations (manque à combler) ou d'une situation déplaisante d’incertitude ou d’incohérence, la curiosité épistémique s'apparente à un besoin psychologique positif, se traduisant par la recherche d'informations externes, par un individu, pour maintenir son système cognitif à un niveau optimal d’activation (optimal arousal).

Distinction entre épistémologie et curiosité épistémique

La curiosité épistémique pourrait ressembler à de la curiosité spécifique. Pourtant la curiosité épistémique ne tente pas seulement de dissiper les incertitudes du moment, mais elle vise aussi à l'acquisition de connaissances en stimulant l'accès, de façon quasi permanente, à de nouvelles informations capables de construire du sens à cette connaissance (personnelle ou scientifique). Bien souvent, un contre-sens est établi entre la curiosité épistémique et la curiosité scientifique en faisant valoir une similitude entre les deux. Une raison de cette erreur provient du terme epistemics en anglais qui signifie aussi "épistémologie". Or, ici, « épistémique » est un adjectif. La curiosité épistémique peut être scientifique, ce qui est différent de l'épistémologie. Mais ce n'est qu'une partie de sa sphère d'influence. Un individu peut développer sa curiosité épistémique dans tous les secteurs où il lui est possible d'agir, au-delà du cadre déjà large de la science.

George Shackle utilise le terme epistemics pour représenter la science de l'être humain imaginant. Bien que cette orientation apporte une position de force supplémentaire à la curiosité épistémique, cette définition ajoute de la confusion car elle a tendance à confondre le processus mental d'anticipation de faits futurs (imagination) avec le processus qui tente de relier le cognitif (cadre et processus de la pensée mentale) avec la recherche active d'informations nouvelles, laquelle recherche n'est pas identifiable au "search"[12] ou au "seek"[13] de la théorie de la recherche d'information (ignorance rationnelle) mais plutôt au browse de la théorie autrichienne sur l'ignorance radicale.

L'essence même de l'action entrepreneuriale est de créer, de découvrir ou de réaliser simplement de nouvelles finalités, de nouveaux moyens ou d'imaginer de nouvelles façons de relier les moyens avec les finalités (ou vice-versa selon la théorie de l'effectuation). De cette façon, il existe toujours une sorte de fusion entre les expériences du passé et du présent, qui sont toujours subjectives dans l'esprit de l'acteur[14], qu'il collectionne dans sa mémoire et qu'il projette simultanément dans le futur sous la forme d'anticipation. La curiosité épistémique évite donc que l'avenir soit toujours déterminé parce qu'elle ajoute au processus cognitif de l'acteur un acte imaginant la mise en situation de son action épistémique, soit globalement, soit étape par étape[15].

Les différences individuelles dans l'éveil de la curiosité épistémique

Bien que Daniel Berlyne ait identifié les conditions générales qui déclenchent la curiosité, il n'a pas abordé l'importance potentielle des différences individuelles dans la curiosité en tant que trait de personnalité. Les états émotionnels peuvent être conceptualisés comme des réactions émotionnelles (des motivations internes) qui varient en intensité, alors que les traits de personnalité sont des dispositions d'émotions particulières relativement stables, expérimentées au fil du temps par un individu particulier. Or, des différences individuelles expliqueraient la tendance de certaines personnes à approcher de nouveaux stimuli ou à d'autres d'éviter d'activer des processus sensoriels et cognitifs.

Les études[16] sur la curiosité épistémique tentent de comprendre comment les individus se comportent en situation de lacune d'information ou d'écart informationnel ("Knowledge gap").

Généralement, une graduation permet la mesure du "sentiment-de-savoir", avec des différences individuelles notables dans la curiosité épistémique. Les chercheurs essaient de comprendre ce qui peut contribuer à l'éveil de la curiosité. Loin d'être en état stationnaire, la curiosité épistémique varie selon le comportement exploratoire des individus. Face à leur niveau de connaissance par rapport à un sujet donné, les participants à ces études se classent en différents niveaux :

  • Ceux qui savent
  • Ceux qui ont la réponse sur le bout-de-la langue (TOT)
  • Ceux qui ne savent pas.

En fonction de leur niveau de connaissance, les comportements des individus varient dans leurs désirs de compléter leur connaissance de la réponse. Leur besoin de connaitre la réponse, c'est-à-dire leur sentiment de privation (CFD) est mesuré sur une échelle. Ceux dont les résultats montrent une mesure la plus élevée de curiosité épistémique sont ceux qui ont la réponse sur le bout de la langue (TOT). Leur tension à l'action épistémique est la plus élevée car ils ont l'impression qu'ils sont près du but d'où leur comportement plus actif. Ils ont l'impression d'être à une unité de proximité de leur but. Ceux qui savent se reposent sur leur acquis. Ils estiment qu'ils sont allés au bout de leur exploration. Leur comportement de curiosité exploratoire sur une question précise est quasi inerte. Et ceux qui n'ont pas la réponse sont ceux dont le fossé du savoir est le plus profond. Pour eux, dans l'ensemble, les tensions d'insatisfaction et de privation d’information sont moins fortes que pour le premier groupe. Pour la plupart, ils se situent dans l'ignorance radicale, ils ne savent pas qu'ils ne savent pas. C'est la raison pour laquelle ils ne pensent pas à chercher, ni à butiner de nouvelles informations.

Annexes

Notes et références

  1. Pour Mme de Staël, "C’est l’instruction qui fait naître la curiosité"
  2. Pour Fénelon, "la curiosité est le premier instinct qui produit de l’instruction". Pour Willian James, la curiosité est aussi une impulsion (drive en anglais) à agir quasi vitale pour la survie de l’individu. Il n'y a que les émotions, c'est à dire les instincts, qui peuvent être les initiateurs énergétiques pour agir par curiosité
  3. Dans la philosophie du pragmatisme de William James, les humains sont naturellement curieux. Ils sont instinctivement conduit à la cognition et à l'apprentissage par une impulsion innée de la curiosité.
    • William James, 1890, "The principles of psychology", New York: Holt
  4. Daniel Berlyne (1924-1976) est le contributeur le plus influent, en psychologie,sur la théorie de la curiosité épistémique.
    • Daniel E. Berlyne, 1949, "Interest as a psychological concept", British Journal of Psychology, Vol 39, pp184–185
    • Daniel E. Berlyne, 1950, "Novelty and curiosity as determinants of exploratory behavior", British Journal of Psychology, Vol 41, pp68–50
    • Daniel E. Berlyne, 1954, "A theory of human curiosity", British Journal of Psychology, Vol 45, pp180–191
    • Daniel E. Berlyne, 1957, "Determinants of human perceptual curiosity", Journal of Experimental Psychology, Vol 53, pp399–404
    • Daniel E. Berlyne, 1958, "The influence of complexity and novelty in visual figures on orienting responses", Journal of Experimental Psychology, Vol 55, pp289–296
    • Daniel E. Berlyne, 1960, "Conflict, arousal, and curiosity", New York: McGraw-Hill
    • Daniel E. Berlyne, 1963, "Motivational Problems Raised by Exploratory and Epistemic Behavior", In: K. Sigmund, dir., "Psychology: The Study of a Science", New York: McGraw-Hill, Vol 5, pp284-264
    • Daniel E. Berlyne, 1966, "Curiosity and exploration", Science, Vol 153, pp25–33
    • Daniel E. Berlyne, 1978, "Curiosity and Learning", Motivation and Emotion, Vol 2, n°2, Jun, pp97-175
  5. W. McDougall, 1921, "An introduction to social psychology", Boston: Luc
  6. G. Loewenstein, 1994, "The psychology of curiosity: A review and reinterpretation. Psychological Bulletin, Vol 116, pp75–98
  7. La notion de curiosité épistémique est présente implicitement dans la théorie de l'entrepreneur, la théorie de la complexité, la théorie de la vigilance, la théorie de la concurrence comme processus de découverte, de la théorie du leadership créatif ou la théorie autrichienne du leadership
  8. Bien qu'il ne cite pas explicitement la "curiosité épistémique", toute l'œuvre d'Israel Kirzner repose sur l'idée de vigilance, c'est à dire cette capacité psychologique de l'entrepreneur de percevoir des opportunités de profit puis de les saisir en fonction des circonstances de temps et de lieu. Cette vigilance est en effet capitale dans la notion de curiosité épistémique
  9. Friedrich Hayek considérait que le programme de recherche d'un scientifique ne doit pas s'enfermer dans un "silo" d'un département d'une université mais que le chercheur scientifique doit s'ouvrir à l'interdisciplinarité pour faciliter sa curiosité à découvrir de nouvelles connaissances et permettre à son esprit de construire en permanence de l'ordre sensoriel.
  10. Par exemple, la perte de temps, pour des opportunités alternatives perdues
  11. Selon certaines recherches en imagerie cérébrale, il existerait une relation positive entre la curiosité et la mémoire.
  12. A. C. Cooper, T. B. Folta, C. Woo, 1995, "Entrepreneurial information search", Journal of Business Venturing, Vol 10, pp107–120
  13. H. Thorelli, J. Engledow, 1980, "Information Seekers and Information Systems: A Policy Perspective", American Economic Review, 64(3), pp373–390
  14. Selon la conception subjective du temps, avancée par certains auteurs de l'école autrichienne, l'acteur ressent et expérimente son passage irréversible du cours du temps
  15. Ce que Carl Menger établissait, dans ses principes économiques, comme la quatrième partie indispensable de l'ontologie d'un bien. Il définit les quatre conditions préalables suivantes qui doivent être simultanément présentes pour établir la présence d'un bien :
    1. L'existence d'un besoin humain (la curiosité doit correspondre à un besoin ressenti par l'acteur)
    2. Les propriétés de la chose recherchée doivent être en connexion causale avec la satisfaction du besoin ressenti (Cette connexion ne s'auto-proclame pas haut et fort à l'individu. L'acte de curiosité épistémique et les qualités cognitives de l'individu renforcent la découverte de la causalité entre la satisfaction et le besoin)
    3. La prise de conscience de cette connexion causale (le furetage applique un temps d'arrêt lorsque l'acteur curieux prend conscience du lien de causalité entre la satisfaction et le besoin. Sans cela, un individu, par exemple, passerait sa vie à naviguer sur internet par un apprentissage inter-textuel sans faire de pause d'intégration de la nouvelle connaissance rencontrée dans son système cognitif).
    4. Il faut qu'il y ait un commandement suffisant pour rapprocher le bien vers la satisfaction du besoin. (La curiosité épistémique implique une action imaginant le rapprochement entre le bien et la satisfaction du besoin qu'il remplit. Autrement dit, sans la curiosité épistémique, il est impossible d'imaginer comment se rapprocher de ce bien. Par exemple, comment aller chercher des fruits et des légumes ? Faut-il prendre le bus jusqu'au supermarché local, marcher vers l'épicerie du coin de la rue, demander à quelqu'un où on peut acheter ces marchandises bio ? saisir l'opportunité d'acheter ces biens alors que l'on recherchait autre chose (sérendipité), etc.
  16. Jordan A. Litman, Tiffany L. Hutchins, Ryan K. Russon, 2005

Bibliographie


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