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Les origines de l'Industrialisation

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Adolphe Blanqui est un des premiers à utiliser le terme de Révolution industrielle en 1837 mais ce concept est fortement critiqué au siècle suivant et de plus en plus remplacé par celui d’industrialisation. On qualifie d’industrialisation ou de première industrialisation, un phénomène continu d’augmentation de la production industrielle qui fonctionne de manière à peu près identique dans un ensemble de pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord entre la seconde moitié du XVIIIe siècle et la fin du XIXe siècle.

Si l’idée d’une cause unique est depuis longtemps abandonnée, il n’est pas toujours aisé de distinguer les interactions entre les facteurs favorables et trop souvent les divers auteurs se contentent d’un catalogue où l’une des causes est privilégiée.

Révolution Industrielle ou première industrialisation ?

Deux problèmes se juxtaposent : l’essor de l’industrie qui touche l’Angleterre à la fin du XVIIIe siècle est-il une rupture ou l’accélération d’un processus plus ancien ? L’industrialisation entraîne-t-elle une paupérisation des classes populaires ?

Une révolution industrielle source de pauvreté ?

  • Si Adam Smith met l’accent sur la division du travail, la machine occupe une place centrale dans les écrits des économistes. Ricardo dans ses Principes (1817) souligne combien le recours aux machines permet de contrarier la tendance à la baisse des taux de profit tout en favorisant la baisse des prix.
  • D’autres comme Thomas Malthus ou Sismondi sont plus pessimistes, sensibles aux problèmes de reconversion qu’entraînent le progrès et certains accusent le machinisme d’être responsable du chômage et de la misère (d’où le luddisme, le bris des machines textiles par les ouvriers de la fin du XVIIIe et du début du XIXe s.). Engels dans Situation de la classe laborieuse (1845) idéalise la condition des travailleurs préindustriels, fait un portrait apocalyptique de Manchester et souligne le lien entre le machinisme et la naissance du prolétariat : il souligne que l’industrie « a besoin d’une réserve de travailleurs sans emploi » mais surestime le poids des ouvriers de la grande industrie dans la population. Toynbee dans ses Lectures on the Industrial Revolution (1884) est persuadé que la paupérisme progresse et estime nécessaire l’intervention des pouvoirs publics dans les problèmes sociaux..
  • Paul Mantoux souligne le rôle du mouvement des enclosures dans la formation préalable d’un prolétariat avant même la naissance de la grande industrie. Karl Büchner (Die Entstehung der Volkswirthschaft, 1893) interprète la Révolution Industrielle comme un changement dans le mode d’organisation de la production avec sa théorie des trois stades de l’évolution économique.

Une industrialisation source de prospérité

  • Abbott Payson Usher dans son Introduction to the Industrial History of England (1921) est le premier à remettre en question la notion de Révolution Industrielle : « une révolution dans tous les sens du terme, excepté celui d’une soudaineté du changement. » Le factory system s’est diffusée beaucoup plus lentement qu’on ne l’affirme.
  • Cette vision évolutionniste imprègne An Economic History of Modern Britain de John Clapham (1926). L’ouvrier de la manufacture est l’exception non la norme dans la première moitié du XIXe siècle. L’industrialisation, loin d’avoir renforcé les inégalités sociales, les a réduites : les salaires progressent et les descriptions misérabilistes sont surtout liées à la rapide croissance de villes surpeuplées confrontées à des problèmes inédits de logement et d’équipements collectifs.
  • A. Reford dans The Economic History of England (1931) confirme l’idée d’une accélération d’un phénomène dont les origines remontent aux XVIe et XVIIe s. L’idée d’un démarrage subit au XIXe s. est totalement écartée aujourd’hui.
  • L’amélioration des conditions de vie des Britanniques tout au long du XIXe s. ne peut plus être niée et il apparaît aujourd'hui indubitable que sur le long terme, la croissance a profité à tous et que la pauvreté dans le monde est liée non à l’industrialisation mais à son absence. La perspective s’est même inversée : à la vision catastrophiste de la paupérisation on substitue l’idée d’une rupture avec le passé par la hausse des niveaux de vie.

Les origines vues par les keynésiens

La question du développement apparaît après la seconde guerre mondiale, intimement liée à celle du sous-développement. Marqué par le keynésianisme, The Stages of Economic Growth (1960) de Rostow repose sur l’idée d’une discontinuité : le take-off permet de passer de la société traditionnelle au monde moderne par l’envol de la croissance.

  • Les préalables identiques pour tous les pays sont : les progrès de la productivité dans l’agriculture ; mise en place d’une infrastructure indispensable (banques, transports) ; l’existence des individus adéquats : savants, techniciens, entrepreneurs et capitalistes.
  • Le take-off peut être déclenché par des stimuli divers : technologiques (Angleterre), politiques (Japon), etc. Il se caractérise par une forte croissance du taux d’investissement (investissement créateur).
  • La croissance est déséquilibrée au travers le développement de leading sectors (l’industrie cotonnière 1780-1840 ; l’industrie sidérurgique 1840-1860)
  • L’approche est macro-économique : le cadre est l’économie nationale.

A l’approche micro-économique privilégiée par les historiens se substitue une histoire quantitative par une approche de type macro-économique : des séries statistiques de production et d’investissements sont élaborées pour le XIXe siècle pour le Royaume-Uni et la France qui soulignent la lenteur de la croissance.

Le point de vue marxiste

Des marxistes comme Maurice Dobb[1] s’efforcent de confirmer les affirmations de Karl Marx.

  • La Révolution Industrielle selon l’approche marxiste fait partie de la transition du mode de production féodal au mode de production capitaliste, par la concentration de la main d’œuvre libre et salariée et l’emploi de la machine.
  • Un nouveau type de capitaliste, le capitaine d’industrie apparaît.
  • Les enclosures ont permis la concentration des capitaux dans les mains des grands propriétaires, la constitution d’un prolétariat disponible et d’un marché pour la manufacture par la destruction de l’industrie domestique.
  • La conquête coloniale permet le pillage des ressources qui intensifient l’accumulation primitive et la création d’un marché mondial, base du capitalisme.

Dobb souligne que l’accumulation primitive n’est pas nécessaire car la croissance se fait par autofinancement même si pour lui le financement préalable s’est bien fait par la vente des actifs accumulés dans le secteur agricole. D’autre part, il souligne que l’industrialisation s’est développée, non par la manufacture, qui reste exceptionnelle, mais par le putting out system (travail à façon) qui prépare ainsi la vie au factory system par la subordination du travail au capital.

L’industrialisation vue par les historiens

Face aux analyses théoriques qui mettent l’accent sur une industrialisation partout identique et constituant un phénomène transatlantique, les historiens tendent à insister sur les spécificités nationales. Deux modèles se sont développés :

Un modèle dual : la Grande-Bretagne et les autres

La Grande-Bretagne est nécessairement unique car son développement est autochtone tandis que l’industrialisation des autres pays est la conséquence de la concurrence des produits anglais par transfert technologique. David S. Landes a brillamment illustré ce type d’approche (The Unbound Prometheus, 1969)

La question du retard économique

Pour Alexander Gerschenkron (Economic Backwardness in Historical Perspective, 1962), les pays en retard doivent compenser l’absence ou la fragilité de certains préalables et d’autre part, le retard n’est pas nécessairement un inconvénient : le pays retardataire profitant de l’expérience de ses prédécesseurs peut économiser les étapes antérieures. En effet, dans les pays en retard :

  • l’industrialisation va être plus rapide
  • le volontarisme étatique va jouer un grand rôle,
  • la technologie adoptée d’emblée va être complexe,
  • la taille des entreprises plus grande,
  • l’accent va être mis sur l’industrie lourde etc.

Il y a donc déviation plus ou moins marquée par rapport au modèle anglais. Mais les faits collent mal avec cette vision.

En fait aux yeux de nombreux historiens, l’industrialisation est un phénomène régional plus que national, mais cela ne fait que déplacer le problème tout en rendant encore plus difficile une vision globale. L’Europe occidentale et les États-Unis ont cependant précocement formé un ensemble économique intégré : en effet jusqu’en 1914, le commerce international est constitué de 75 à 80 % par leurs échanges internes.

Citations

  • « La force de travail dans la manufacture et le moyen de travail dans le production mécanique sont les points de départ de la Révolution industrielle. » (Karl Marx)
  • « La Richesse des Nations et la machine à vapeur ont détruit le vieux monde. » (A. Toynbee)
  • « Le XIXe s. marque moins le triomphe de l’industrialisme que celle de l’industrie capitaliste. » (Patrick Verley)

Notes et références

  1. Cependant, ces économistes marxistes sont obligés de faire face à la réalité. Dans un essai sur les économistes de l'école de Cambridge, Terence Hutchison (1981) cite Maurice Dobb qui s'exprime sur la collectivisation forcée de l'agriculture soviétique. Il admet, en 1941, qu'elle a littéralement affamé des millions de personnes et a abouti à des conditions proches de la famine dans certaines régions.

Source

  • Patrick Verley, L'échelle du monde, Essai sur l'industrialisation de l'Occident, Gallimard 1997.


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