Vous pouvez contribuer simplement à Wikibéral. Pour cela, demandez un compte à adminwiki@liberaux.org. N'hésitez pas !


Tragédie des biens communs

De Wikiberal
Aller à la navigation Aller à la recherche

La tragédie des biens communs, ou tragédie des communaux, est une expression qui a été popularisée par un article de Garrett Hardin paru dans la revue Science en 1968, intitulé The Tragedy of the Commons[1]. L'article présente une problématique liée à la question démographique et fait référence à un phénomène économique où l'accès à un pâturage est mis en commun, menant à un conflit entre intérêt individuel et intérêt général dont la conséquence rationnelle est un résultat perdant-perdant, par surexploitation des ressources.

Bienscommuns.jpg

Définition du problème

L'article, marqué par un certain ton malthusien, part du constat que le problème de la croissance exponentielle de la population ne peut pas être résolu d'une façon technique. Dans un monde fini la croissance démographique ne peut être infinie, ce qui signifie qu'il existe un risque d'épuisement des ressources dans un monde qui promeut essentiellement un maximum de biens par personne.

Dans ce contexte, Garrett Hardin s'appuie sur l'argument des pâtures laissées en libre accès et dont chaque exploiteur vise à tirer un bénéfice maximum. Sur le long terme cette situation d'utilisation des pâtures conduit à une surexploitation et un épuisement irréversibles. Hardin souligne que l'augmentation sans limites de l'exploitation des ressources limitées mène à la ruine des biens communs.

Ludwig von Mises avait décrit le problème bien avant Hardin dans L'Action humaine :

«  Lorsqu'une terre n'est la propriété de personne bien que le formalisme juridique puisse la qualifier de propriété publique, elle est utilisée sans aucun égard aux inconvénients entraînés. Ceux à qui il est possible de s'approprier les fruits — bois et gibier des forêts, poissons des étendues aquatiques, et gisements minéraux du sous-sol — ne se soucient pas des effets ultérieurs de leur mode d'exploitation. Pour eux l'érosion du sol, la diminution des réserves de ressources restreintes, et autres dégradations des possibilités futures d'utilisation, sont des coûts externes, dont ils ne tiennent pas compte dans leur comparaison des apports et du produit. Ils coupent les arbres sans s'occuper de nouveaux plants ni de reboisement. En chassant ou en pêchant, ils n'hésitent pas à employer des procédés qui empêchent le repeuplement des terrains de chasse ou de pêche. Dans les premiers temps de la civilisation, où il y avait encore abondance de terres d'une qualité non inférieure à celles des parcelles utilisées, les gens ne trouvaient rien à redire à ces méthodes de prédation. Lorsque les effets en apparaissaient sous la forme d'une baisse des revenus nets, le laboureur abandonnait sa ferme et allait ailleurs. C'est seulement lorsqu'une contrée devint plus densément occupée, et qu'il n'y eut plus de terres de première qualité vacantes susceptibles d'être appropriées, que les gens commencèrent à considérer les méthodes de prédation comme un gaspillage. C'est alors que l'on consolida l'institution de la propriété privée des terres. »
    — Ludwig von Mises, L'Action humaine, Quatrième partie — La Catallactique ou économie de la société de marché, Chapitre XXIII — 6. Les limites des droits de propriété, et les problèmes des coûts et avantages extérieurs aux transactions

Aristote avertissait déjà :

«  Ce qui appartient à tout un chacun est le plus négligé, car tout individu prend le plus grand soin de ce qui lui appartient en propre, quitte à négliger ce qu'il possède en commun avec autrui. »
    — Aristote, Politique

Type de ressources concernées

La tragédie des biens communs concerne des ressources, généralement naturelles, qui sont soit en libre accès (n'importe qui peut contester l'exploitation), soit propriété d'une communauté d'acteurs. Elles possèdent deux particularités :

  • Il est coûteux et difficile d'attribuer des droits de propriété individuels sur la ressource. Par exemple, il serait très délicat de faire respecter un droit de propriété sur une partie de l'océan.
  • La ressource est un bien rival. Si je pêche un poisson dans l'océan, ce poisson ne sera plus disponible pour les autres pêcheurs.

La tragédie des biens communs ne peut donc s'appliquer, dans un marché libre, qu'aux ressources ne pouvant être appropriées par personne : la capacité d'absorption de CO2 de l'atmosphère, la biodiversité, l'océan... ou la bande passante d'Internet (du point de vue des utilisateurs finaux payant un forfait illimité) en sont des exemples.

"Ressources" étatiques communes

Plusieurs auteurs libéraux étendent le modèle des biens communs, lié à des droits de propriété mal définis, à l'interventionnisme étatique et à certains "biens publics" :

  • pour Hans-Hermann Hoppe, la démocratie illustre la tragédie des communs. Dans une démocratie, le public peut entrer dans le gouvernement et accéder à la propriété de l'ensemble du pays en utilisant l'appareil coercitif de l'État. Les avantages de l'appropriation de la propriété privée sont internalisés par le gouvernement tandis que les coûts sont supportés par l'ensemble de la population. Il y a une incitation à exploiter ce privilège au maximum tant qu'on est au pouvoir.
  • le système de réserves fractionnaires et la présence d'une banque centrale incitent n'importe quelle banque à étendre sa masse de crédits : Murray Rothbard remarque que, dans un tel système, la cartellisation des banques leur permet de s'enrichir en reportant le coût de leur action sur l'ensemble de la population, par l'inflation.
  • pour Philipp Bagus[2], la création de l'euro est une illustration de la tragédie des biens communs, car tous les gouvernements peuvent utiliser la BCE pour financer leurs déficits :

«  La tragédie de l'euro résulte dans l'incitation à s'engager dans des déficits plus élevés en émettant des obligations d’État, et en faisant supporter à l'ensemble du groupe le coût des politiques irresponsables, sous la forme de la baisse du pouvoir d'achat de l'euro. Avec une telle incitation, les politiciens ont tendance à accumuler les déficits. Pourquoi s'engager dans des dépenses plus élevées en augmentant les impôts, ce qui est impopulaire ? Pourquoi ne pas simplement émettre des obligations qui seront achetées par la création de nouvelle monnaie, même si cela augmente en fin de compte les prix dans l'ensemble de l'union monétaire ? Pourquoi ne pas externaliser le coût des dépenses étatiques ? »

Exemple

L'exemple typique utilisé pour illustrer ce phénomène est celui d'un champ de fourrage commun à tout un village, dans lequel chaque éleveur vient faire paître son propre troupeau. Hardin décrit l'utilité que chaque éleveur a à ajouter un animal de plus à son troupeau dans le champ commun comme étant la valeur de l'animal, tandis que les coûts encourus par ce même éleveur est seulement celui de l'animal divisé par le nombre d'éleveurs ayant accès au champ. En clair, l'intérêt de s'accaparer le plus de ressources communes possible dépasse toujours le prix à payer pour l'utilisation de ces ressources. Rapidement, chaque éleveur emmène autant d'animaux que possible paître dans le champ commun pour empêcher, autant que faire se peut, les autres éleveurs de prendre un avantage sur lui en utilisant les ressources communes, et le champ devient vite une mare de boue où plus rien ne pousse.

Solutions

Trouver une solution à la tragédie des biens communs fait partie des problèmes récurrents de la philosophie politique et de l'économie politique. Pour schématiser, il existe, selon Garrett Hardin, trois solutions différentes pour éviter la surexploitation des ressources : la nationalisation, la privatisation, et la gestion par des communautés locales.

Nationalisation

L'idée, apparue dans les années 1970[3], est que l'État devienne propriétaire de la ressource. Il peut alors intervenir de deux manières, en réglementant l'accès à la ressource, ou bien en l'exploitant directement lui-même. La mise en place de mesures de restrictions d'accès peut se traduire entre autres par une limitation des dates durant laquelle l'exploitation est autorisée (périodes de chasse), la limitation des moyens employés (taille maximum des filets de pêche), ou bien même par l'interdiction d'accès pure et simple (espèces protégées). La gestion directe de l'exploitation par l'État consiste généralement à confier le monopole d'exploitation à une entreprise publique.

La nationalisation a souvent été préconisée et suivie, en particulier dans les pays en développement[4]. Malheureusement, les résultats n'ont pas toujours été satisfaisants. La nationalisation des forêts a eu des effets désastreux dans de nombreux pays en développement en proie à la déforestation[5]. Ces problèmes touchent également d'autres ressources et sont aggravés par la corruption.

Dans l'essai original de Hardin, celui-ci propose que les utilisateurs de la ressource commune, et par extension, du problème de la surpopulation, choisissent une solution mutuellement coercitive approuvée unanimement. Dans le cas de la surpopulation ce serait de renoncer collectivement au droit de procréer. Un seul pays a appliqué dans une certaine mesure cette préconisation : la Chine avec la politique de l'enfant unique.

Privatisation

Une solution différente est de convertir la ressource commune en propriété privée pour inciter le(s) propriétaire(s) à une gestion rationnelle de cette ressource. Historiquement, cette dernière solution a été appliquée du XIIe au XIXe siècle en Angleterre aux terres communes, lors du mouvement des enclosures. C'est la solution qui est préconisée par les libéraux en suivant le principe lockéen de l'appropriation initiale par le travail : le premier qui transforme une ressource non-appropriée par son travail devient le propriétaire légitime de cette ressource (en oubliant le proviso de Locke : à condition qu'il en reste autant et de même qualité pour les autres).

Bien que d'apparence opposée au principe de nationalisation, ce qui est appelé privatisation de la ressource nécessite généralement l'intervention de l'État. Il s'agit de créer un droit de propriété sous forme de quota de prélèvements échangeables, plutôt que d'être propriétaire du support de la ressource. Cette solution est largement utilisée pour la gestion des pêcheries, avec semble-t-il un certain succès[6]. Toutefois, toutes les ressources ne sont pas adaptées pour être gérées par un tel système, et dans certains pays le manque de fiabilité des institutions en rend la mise en œuvre illusoire.

Gestion par les acteurs locaux

Une solution alternative, mise en évidence et analysée par le Prix Nobel d'économie 2009 Elinor Ostrom, est la gestion des ressources par les acteurs locaux à travers des normes sociales et des arrangements institutionnels[7]. Les communautés d'individus qui vivent à proximité de la ressource seraient incitées à trouver des règles limitant l'exploitation sur le long terme. Pour que ces règles soient respectées, des mécanismes de monitoring et de sanctions à l'égard de ceux qui surexploitent sont généralement nécessaires. Il existe dans la réalité une très grande diversité de situations, de telle sorte qu'il est impossible de préconiser une solution unique. Ainsi, selon les caractéristiques de la ressource et de l'environnement économique, les acteurs peuvent mettre en place des systèmes de gestion très différents.

Les indiens Salish géraient leurs ressources naturelles à l'aide d'un système localisé où chaque famille avait la responsabilité d'un lieu et des ressources qui s'y trouvaient. L'accès à la nourriture était la principale source de richesse, et la capacité à être généreux avait une valeur morale élevée, ce qui donnait un intérêt à la conservation des ressources.

Une autre solution économique au problème est celle du théorème de Coase où les individus qui font usage des biens communs se paient les uns les autres de manière à ne pas surexploiter la ressource.

L'Entrepreneur en Droits de Propriété : Une Solution Innovante pour la Tragédie des Biens Communs

L'entrepreneur en droits de propriété, concept inventé par Terry Anderson et Peter Hill, peut émerger comme un acteur clé pour résoudre les problèmes de la tragédie des biens communs. L'idée de s'engager dans des contrats pour la gouvernance des ressources rares ouvre la porte à une exploration approfondie des mécanismes contractuels et des initiatives novatrices de gouvernance qui peuvent être mises en œuvre pour assurer une gestion durable des ressources partagées.

  • . Optimisation des Mécanismes Contractuels. L'entrepreneur en droits de propriété joue un rôle central dans l'optimisation des mécanismes contractuels pour aborder la tragédie des biens communs. Cela implique la conception de contrats efficaces qui définissent clairement les droits de propriété, les responsabilités des parties prenantes, et les mécanismes de prise de décision. Ces contrats peuvent être adaptés aux caractéristiques spécifiques des ressources et des contextes locaux.
  • . Exploration des Formes de Contrats et de Gouvernance. Une nouvelle idée novatrice consiste à explorer en détail les différentes formes de contrats et de mécanismes de gouvernance qui émergent dans des contextes spécifiques pour résoudre les problèmes liés à la rareté des ressources et à la tragédie des biens communs. Cela pourrait inclure des contrats basés sur des incitations économiques, des arrangements coopératifs entre parties prenantes, ou encore des mécanismes de marché qui favorisent l'allocation efficace des ressources.
  • . Études de Cas : Initiatives Réussies de Contractualisation. L'exploration des initiatives réussies de contractualisation entre parties prenantes à travers des études de cas recensées par les entrepreneurs en droits de propriété offrirait une perspective pratique à la résolution, cas par cas, des problèmes liés aux biens communs. Ces études de cas pourraient mettre en lumière des stratégies novatrices, des partenariats réussis et des solutions qui ont permis une gestion durable des ressources partagées.
  • . Stratégies Novatrices pour la Préservation des Ressources Partagées. Une autre idée stimulante serait de mettre en avant des stratégies novatrices spécifiques utilisées par des entrepreneurs en droits de propriété pour préserver et gérer efficacement les ressources partagées. Cela pourrait inclure l'utilisation de contrats intelligents basés sur la blockchain, l'application de modèles économiques circulaires ou encore la mise en œuvre de pratiques de gestion participative.

En conclusion, l'émergence de l'entrepreneur en droits de propriété offrorait une perspective prometteuse pour résoudre les problèmes de la tragédie des biens communs en explorant des mécanismes contractuels novateurs et des initiatives de gouvernance efficaces. L'étude de cas et l'identification de stratégies novatrices constituent des avenues fructueuses pour développer des solutions pratiques et durables aux défis complexes liés à la gestion des ressources partagées.

Notes et références

  1. (en) "The Tragedy of the Commons", texte original de l'article de Garrett Hardin, 1968, "The Tragedy of the Commons", Science, Vol 162, pp1243–1248. Il s'agit de l'énoncé classique de la tragédie des biens communs. Garrett Hardin, cependant, tire la conclusion non libertarienne qu'en raison de la capacité de charge limitée de la terre, celle-ci est dans son ensemble est un bien commun. Aussi, la liberté de se reproduire doit être sévèrement restreinte de manière coercitive si la surpopulation et les problèmes qui l'accompagnent doivent être évités.
  2. The EMU as a SelfDestroying System
  3. (en) Ophuls, W. (1973). Leviathan or Oblivion. In Toward a steady State Economy, pp. 215-230. San Francisco : Freeman
  4. (en) Ostrom, E. (1990). Governing the commons : The evolution of institutions for collective action. Cambridge : Cambridge University Press. p. 9.
  5. (en) Ostrom, E. (1990). Governing the commons : The evolution of institutions for collective action. Cambridge : Cambridge University Press. p. 23.
  6. (en) Costello C. Gaines S. and Lynham J. (2008). Can Catch Shares Prevent Fisheries Collapse ?, Science, vol. 321, No 5896, pp 1678–1681.
  7. Elinor Ostrom, Prix Nobel d'économie (1933-2012) sur Contrepoints.

Bibliographie

  • 1985, Susan Jane Buck Cox, "No Tragedy on the Commons", Environmental Ethics, Vol 7, n°1, pp49–61
  • 1990, James Acheson, David Feeny, Fikret Berkes, Bonnie J. McCay, "The Tragedy of the Commons: Twenty-Two Years Later", Human Ecology, Vol 18, n°1, pp1–19
  • 1993, Garrett Hardin, "The Tragedy of the Commons", In David R. Henderson, dir., "The Fortune Encyclopedia of Economics: 141 Top Economists Explain the Theories, Mechanics, and Institutions of Money, Trade, and Markets", New York: Time-Warner Books, Inc., pp88-92
  • 1998, Joanna Burger, Michael Gochfeld, "The Tragedy of the Commons 30 Years Later", Environment, Vol 40, n°10, pp4–13
  • 2000, James M. Buchanan, Yong J. Yoon, “Symmetric Tragedies: Commons and Anticommons”, Journal of Law and Economics, 43(1), pp1-13
  • 2010, B. Fine, "Beyond the Tragedy of the Commons: A Discussion of Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action", Perspectives on Politics, vol 8, pp583-586
  • 2013, F. Locher, "Les pâturages de la Guerre froide : Garrett Hardin et la ‘Tragédie des communs’", Revue d’histoire moderne et contemporaine, n°60-1, pp7-36
  • 2018, Robert Boyd, Peter J. Richerson, Ruth Meinzen-Dick, Tine De Moor, Matthew O. Jackson, Kristina M. Gjerde, Harriet Harden-Davies, Brett M. Frischmann, Michael J. Madison, Katherine J. Strandburg, Angela R. McLean, Christopher Dye, "Tragedy Revisited", Science, Vol 362, n°6420, pp1236–1241

Citations

  • Les individus enfermés dans la logique des communaux ne sont libres que d'apporter la ruine universelle ; une fois qu'ils voient la nécessité de la contrainte mutuelle, ils deviennent libres de poursuivre d'autres buts. (Garrett Hardin)

Liens externes


Adam Smith.jpg Accédez d'un seul coup d’œil au portail économie.