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Énarchie

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L'énarchie désigne le gouvernement de la France par les énarques, hauts fonctionnaires sortis de l’École nationale d’administration (ENA).

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Le terme péjoratif d'énarchie a été forgé par Jean-Pierre Chevènement (sous le pseudonyme de « Jacques Mandrin ») dans son livre L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise (1967).

Origine et fonction

L’École nationale d’administration est une grande école française créée en 1945 pour démocratiser l'accès à la haute fonction publique de l'État. La "nécessité" d'une telle école trouve son origine dans le Régime de Vichy, qui inaugure déjà une prise de pouvoir de la technocratie, formalisée ensuite à la Libération avec la création de l'ENA :

L’originalité du Régime de Vichy est aussi l’arrivée en force de « technocrates », hauts fonctionnaires vite promus et qui rêvent de mettre en œuvre, sans contre-pouvoirs, leur programme de modernisation. (Jean-Marc Dreyfus, Dictionnaire de la Shoah, Larousse, 2015)

Ce système rappelle le système du mandarinat en Chine, qui dura de 605 à 1905 : une sélection (examens mandarinaux) déterminait qui de la population pouvait faire partie de la bureaucratie d'État. Ce système de recrutement par concours dans la fonction publique est inspiré des examens impériaux, ayant été ramené de Chine par les Jésuites, qui l'avaient adopté dans leurs écoles avant d'être repris et généralisé par Napoléon afin de créer une nouvelle élite destinée à remplacer celle de l'Ancien Régime.

Pour Bernard Zimmern, le premier triomphe de l'énarchie date de la présidence de Valéry Giscard d’Estaing en 1974 (depuis Valéry Giscard d'Estaing, tous les présidents de la Ve République sont passés par l'ENA, exceptés François Mitterrand, cependant diplômé de l'École Libre des Sciences Politiques ainsi qu'en droit public, et Nicolas Sarkozy, qui échoua à terminer sa formation à Sciences Po). La haute administration française « ignore ce qu’est réellement une entreprise, forme de beaux parleurs, brillants, mais des gestionnaires incapables. »

Critiques

  • l'énarchie favorise l'endogamie oligarchique des élites françaises (cooptation des anciens élèves au sein de la sphère publique, parapublique et privée) ;
  • l'ENA ne forme pas des spécialistes mais des hauts fonctionnaires qui seront parachutés à la tête des grandes entreprises nationales sans expérience de la gestion d’une entreprise ;
  • elle ne favorise ni la mixité sociale ni l'efficacité ;
  • par son conformisme et son conservatisme, elle paralyse le pays et l'Etat, en empêchant les réformes libérales et en maintenant, voire accroissant, les privilèges, le corporatisme, l'assistanat et le capitalisme de connivence ;
  • comme cela se produisit dans le système de mandarinat chinois, les membres de l'élite (les "lettrés") passent davantage de temps à chercher à accroître leur influence et à se combattre entre eux qu'à permettre aux libertés de progresser dans le pays ;
  • le "paritarisme", hérité du programme politique du CNR, conduit à une gestion de type soviétique de tous les organismes publics et parapublics, où les hauts fonctionnaires n'ont pour interlocuteurs que les syndicats ; cette gabegie généralisée (gaspillages, grèves...) se fait sur le dos du contribuable.

Bibliographie

  • 1967, L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise, Jacques Mandrin (Jean-Pierre Chevènement), La Table ronde de Combat
  • 2007, Les Lunettes à Frédéric, ou : le Voyage au bout de l’État, Emile Jappi (René de Laportalière), éd. du Chef-d'oeuvre
  • 2012, Promotion Ubu roi - mes 27 mois sur les bancs de l'ENA, Olivier Saby, Flammarion
  • 2015, La ferme des énarques, Adeline Baldacchino, Michalon
  • 2017, Ce que doit faire le prochain président (chapitre 10 : Supprimer l'Éna), Agnès Verdier-Molinié, Albin Michel

Voir aussi

Citations

  • L'omnipotence napoléonienne de l'Etat fut longtemps, en France, tempérée par l'inefficacité bonasse des fonctionnaires. (...) La création, en 1945, de l'Ecole Nationale d'Administration a changé tout cela. Détournant le courant des forts en thème de l'enseignement des Lettres au lycée de Bourg-en-Bresse, elle l'a précipité dans les canaux desséchés de ce grand corps assoupi mais si consubstantiel à la nation : l'Administration. (Jean-Pierre Chevènement, 1967)
  • C'est l'Énarque qui représente maintenant dans notre pays le visage quotidien du pouvoir. (...) Comme autrefois le latin dans l'enseignement secondaire, l'agilité verbale est ici devenue une fin en soi de l'enseignement parce qu'elle est un critère et un attribut social. (Jean-Pierre Chevènement, 1967)
  • Le but essentiel du processus de sélection est de trier les gens en fonction de leur total manque d’originalité et de leur capacité à apprendre et à répéter des enseignements dont personne en dehors d’eux ne peut comprendre l’intérêt. Voila qui est absolument nécessaire quand l’on veut choisir des gens sans originalité qui devront suivre des règles établies en dehors d’eux, sans poser de questions. (...) Le non sequitur de base en France est : "Je suis sorti premier de l’ENA, donc je suis plus intelligent que vous qui n’avez pas fait d’études", ce qui  est loin d’être certain. (Charles Gave, 2013)
  • La caste technocratique, à la différence des autres, n'a aucune légitimité. La France n'avait pas besoin d'énarques. Ils se sont emparés du pouvoir à la faveur d'une erreur historique du général de Gaulle, qui s'est tout simplement trompé d'époque, même si l'on peut comprendre, à la lumière du passé récent de la France, pourquoi il l'a commise. Et s'ils sont devenus féroces, c'est parce qu'ils savent bien, au fond d'eux-mêmes, qu'ils sont des imposteurs. Leur pouvoir ne repose sur aucun support historique, sur aucun soubassement économique ou culturel, sur aucun service rendu au pays par leurs ascendants au fil des siècles. C'est un pouvoir arbitraire et cupide, artificiellement plaqué sur le pays et qu'il conduit à sa perte. Sans aucun scrupule, il adopte pour seuls moyens de gouvernement ceux qui ne visent qu'à abaisser le peuple, à le priver de sa liberté et de sa dignité. Ces gens sont allés trop loin pour reculer. Ils sont bien décidés à garder le pouvoir de toutes les façons possibles, fût-ce au prix d'une lutte à mort. Et ce sont de tels "partenaires" que les membres du camp de la liberté veulent influencer de l'intérieur ! (...) Il est donc évident que les énarques de droite n'ont pas d'autre choix, pour garder leur pouvoir et leurs privilèges, que d'utiliser le meilleur outil qu'ils puissent trouver à cet effet, la dictature socialiste. (Claude Reichman, Le secret de la droite, 2003)
  • Puisque l'économie semblait vouloir leur échapper, il ne leur restait plus qu'à l'investir. Ce qu'ils firent sans aucune difficulté. Pour une entreprise ayant des relations quotidiennes avec l'administration et travaillant peu ou prou pour l'Etat, l'engagement, à sa direction, d'un "grand commis" paraît, au début, une excellente affaire. Muni d'un bon carnet d'adresses, où figurent ses pairs et compagnons demeurés au sein des cabinets ministériels et de la haute administration, l'énarque devenu patron fait merveille pour desserrer les contraintes et décrocher les marchés. Son pouvoir régalien s'est certes réduit, mais il bénéficie d'une rémunération sans commune mesure avec celle d'un haut fonctionnaire et il prend goût à une vie où il peut jouir d'un confort qu'il n'avait jamais connu jusque là. Il n'a d'ailleurs pris aucun risque en quittant l'administration, puisqu'il peut y revenir quand il veut. La règle vaut tout aussi bien pour l'énarque devenu député que pour celui qui s'est dirigé vers l'entreprise. Le sein douillet de la fonction publique est prêt à le recueillir à tout moment. Il aura même monté en grade pendant son absence. Cette disposition en apparence secondaire est en fait essentielle pour comprendre la facilité avec laquelle les énarques se sont emparés de tous les rouages politiques du pays. (Claude Reichman, Le secret de la droite, 2003)
  • La première promotion de 1946-1947 comptait 86 énarques. La France en compte environ 5.000 aujourd'hui et, durant ce laps de temps, la dépense publique est passée de 35% à 57% du PIB. Selon les statistiques de la promotion Léopold Sédar Senghor, 27,7% des postes des grands corps de l'État (Cours des comptes, Conseil d'État, inspection des finances) sont occupés par des enfants d'énarques. (...) L'ENA est bien le symbole de cette idée que l'État et les administrations publiques en général (centrales, locales et sociales) sont toujours légitimes quoi qu'ils fassent. La seule idée d'évaluer vraiment leur missions ou actions équivaut à remettre en question la nécessité même de leur existence. (Agnès Verdier-Molinié, Ce que doit faire le prochain président)
  • Comme tous ceux qui avaient reçu ma formation et suivi mon parcours professionnel, c’était inconsciemment que j’étais devenu un homme malfaisant. (René de Laportalière, Les Lunettes à Frédéric, ou : le Voyage au bout de l’État, 2007)
  • J'aimerais mieux que mon fils apprît aux tavernes à parler, qu'aux écoles de la parlerie. (...) Hors de ce batelage, ils ne font rien qui ne soit commun et vil. Pour être plus savants, ils n'en sont pas moins ineptes. (Montaigne, Essais)
  • Il ne sait rien ; il croit tout savoir — cela présage clairement d'une carrière politique. (George Bernard Shaw)
  • La grande spécificité de ces établissements d’enseignement est qu’ils étaient les premiers à ne plus former des individus intellectuellement pour les préparer à exercer des métiers de services divers (juridiques, médicaux, financiers...) mais pour les préparer à gouverner. Par ce réseau d’établissements, la France espérait produire une élite destinée exclusivement au gouvernement : les technocrates. Fort naturellement, cette élite se retrouva immédiatement en concurrence avec les élites politiques traditionnelles de la Troisième République : les professions libérales. (...) Par conséquent, depuis soixante dix-ans, l’on a progressivement remplacé une élite de producteurs, au sens économique, par une élite de prédateurs, substitué au gouvernement de ceux qui par nature font autre chose le  gouvernement des gens qui ne savent rien faire d’autre que gouverner. Et cette mutation se manifeste clairement lorsque l’on compare, comme nous l’avons fait, les résultats de la IIIe République et ceux de la Ve. (Philippe Fabry, 22/10/2015)
  • Il y a quelques années (...) on m’avait proposé de faire un séminaire d’économie internationale à l’ENA, en me précisant qu’il fallait d’abord rencontrer les étudiants pour leur indiquer des thèmes de travail potentiels. Je leur avais proposé un certain nombre de thèmes de réflexion, mais ils m’avaient dit de manière unanime que ce qui les intéressait n’était pas de réfléchir, mais de voir comment un haut fonctionnaire décidait. Le séminaire n’a pas eu lieu. Il y avait probablement parmi mes étudiants potentiels certains futurs fonctionnaires qui prennent maintenant des décisions importantes dans le domaine de l’économie internationale, sans comprendre véritablement ce qu’ils font. (Pascal Salin, Libéralisme, L’émergence du consensus idéologique)
  • Les Français sont piégés par l’assistanat public et par la supposée redistribution des richesses par l’État, laquelle ne profite pas aux classes moyennes de province, de plus en plus paupérisées. Il y a en France un problème d’éthique qui ronge la conscience nationale. La haute fonction publique forme une caste de privilégiés, ces « Intouchables d’État », pour reprendre le titre d’un livre récent. Intellectuels et journalistes sont hors-sol, prisonniers de leur bulle. Dans ce pays de l’égalitarisme roi règne un individualisme forcené, un chacun pour soi qui mine le corps social et abîme la conscience collective. Tant que ces classes-là ne renonceront pas à leurs privilèges, rien ne bougera. (François Garçon, Le Temps, 25/01/2019)
  • En réalité, ils se soucient fort peu des doctrines. Ce qu'ils rêvent, c'est de créer par des moyens violents une société où ils seraient les maîtres. Leurs récriminations égalitaires ne les empêchent nullement d'avoir un mépris intense pour la canaille qui n'a pas, comme eux, appris dans les livres. Ils se croient très supérieurs à l'ouvrier et lui sont fort inférieurs en réalité par le défaut de sens pratique et par l'exagération de leur égoïsme. (Gustave Le Bon)
  • L’Église a son clergé d’Église, l’État a son clergé d’État, et aux ministres du culte se superposent les ministres du gouvernement. Les énarques sont leurs héritiers, qui avec le temps se sont constitués en caste. Aujourd’hui ces serviteurs de l’État sont devenus les serviteurs d’eux-mêmes. (Jean-François Colosimo, Le Point, 17 octobre 2019)
  • Je suis très hostile à la sélection précoce des jeunes par les concours. Un tel système repose sur l’idée que les capacités intellectuelles d’un jeune de dix-huit ou vingt ans peuvent prédire ce qu’il va devenir plus tard. Qu’un jeune adulte de vingt-quatre ans se retrouve inspecteur des Finances parce qu’il est sorti premier de l’École nationale d’administration (ENA), une formation qui n’a d’ailleurs pas forcément grand-chose à voir avec sa spécialité, est très étonnant. Cela s’appelle du mandarinat. Les mandarins étaient des hauts fonctionnaires au service de l’empereur de Chine triés sur le volet et éduqués dans la tradition de Confucius. L’idée était d’identifier les jeunes ayant du potentiel pour les mettre très tôt dans des filières coûteuses où on les prédestinait à avoir un rôle dans la société. Le système des grandes écoles et du Concours général en France découlent aussi de cette idée et continue à former les élites de notre pays. (...) Ce système de sélection précoce a une conséquence très délétère : en France, si vous n’avez pas obtenu le bon diplôme, il vous sera difficile de rattraper le temps perdu. (Didier Raoult, Arrêtons d'avoir peur, 2016)
  • La France est atteinte d'une surproduction de gens à diplômes, polytechniciens, économistes, philosophes et autres rêveurs qui ont perdu tout contact avec le monde réel. (Pierre Poujade, cité par Roland Barthes, Mythologies, 1957)

Liens externes


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