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Capitalisme de connivence

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Alors que dans le capitalisme libéral l'État n'interfère pas avec l'économie (sauf pour ce qui relève de ses fonctions régaliennes), dans le capitalisme de connivence (crony capitalism ou corporatism en anglais) l'État soutient certaines entreprises, soit qu'il cède à leur pression par corruption, soit que ce soit de sa part une volonté délibérée à des fins politiques.

Certains contestent l'emploi du terme de « capitalisme » pour désigner ce cas de figure, puisque le droit de propriété individuelle, sur lequel repose le capitalisme, est violé par l'interventionnisme étatique. Charles Gave préfère employer le terme de « social-clientélisme », qui pour lui est une « maladie de la démocratie ». On parle également de « capitalisme de copinage » (crony = copain) ou de « captation de l’État » (state capture). La frontière entre la sphère publique et la grande entreprise privée devient totalement perméable, ce qui parachève l'« économie mixte » ou le « capitalisme d'État ». Certains proposent le terme plus adéquat de « socialisme de connivence », mais celui-ci ne s'est pas imposé.

Le marxisme parle parfois dans un sens proche de « capitalisme monopoliste d'État », mais au lieu de vouloir comme les libéraux supprimer le monopole et l'intervention étatique, il veut supprimer le capitalisme lui-même, ou le soviétiser pour garder un monopole d'État « prolétarisé ».

Capitalisme de connivence et banque centrale

Capitalisme de connivence et corruption

Le « capitalisme de connivence », ou le « capitalisme politique » comme le nomme l'historien Gabriel Kolko, est le résultat de l'étatisme et d'une forme de corruption des élites : les grandes entreprises de plus en plus inefficaces et bureaucratisées réagissent au libre marché et à la concurrence en se tournant vers le gouvernement pour réclamer davantage de règlementations, de protection, ce que Bastiat appelait la « recherche de rentes ». De même, les grandes banques brandissent la menace du « risque systémique » pour exiger un renflouement par l’État ou par la banque centrale suite à leurs erreurs.

En France, cet état de fait est ancien et découle des participations croisées et surtout de l'endogamie des élites administratives (via l'École Nationale d'Administration) qui aboutit à mettre d'anciens hauts fonctionnaires à la tête des grandes entreprises, c'est-à-dire des gestionnaires et non pas des entrepreneurs. Les intérêts de l'État et de ces entreprises (qui sont très semblables en fait à des administrations publiques) sont alors inextricablement mêlés :

Ces « entrepreneurs » vont chercher à obtenir par la force ce qu’ils réussissaient auparavant à avoir grâce à leurs compétences entrepreneuriales. Les concurrents seront ainsi évincés du marché, non parce qu’ils sont moins bons mais parce qu’ils n’ont pas su obtenir les faveurs de l’État. Les consommateurs n’auront plus d’autre choix que de se fournir auprès des entreprises sélectionnées par l’État.
La symbiose entre l’État et les entreprises privilégiées peut parfois atteindre un tel niveau que les deux se confondent. L’État obtient de nouveaux marchés pour ces entreprises de façon politique et les soutient financièrement en cas de mauvaise passe (au détriment des contribuables). De leur côté, les entreprises privilégiées n’hésitent pas à employer d’anciens hauts fonctionnaires et autres technocrates en guise de remerciement pour les privilèges reçus ou dans l’espoir de futurs privilèges. Les entreprises privilégiées n’oublieront pas non plus d’investir dans les projets gouvernementaux qui servent aussi bien les intérêts de leurs partenaires politiques que les leurs. (Gabriel Gimenez-Roche)

Aux États-Unis, le capitalisme de connivence est également très développé, qu'il s'agisse de corruption, de lobbying à Washington, de recherche de subventions, de renflouement par l’État ou la FED :

Il y a beaucoup de capitalisme de connivence dans ce pays, des gens qui bénéficient de contrats avec le gouvernement, ou qui sont renfloués par la FED. Ils ne méritent pas de compassion, ils méritent de se voir supprimer tous leurs bénéfices. Il ne faut pas confondre cela avec le vrai capitalisme, quand quelqu'un gagne de l'argent, produit quelque chose. (Ron Paul, novembre 2011, Michigan GOP Oakland University Debate)
Les manifestants d'Occupy Wall Street accusent le capitalisme de quelque chose qui pour moi est incontestablement le résultat du capitalisme de connivence. (Donald J. Boudreaux)

Le capitalisme de connivence est d'ailleurs un thème récurrent dans le roman La Grève d'Ayn Rand :

Rand explique que dans un système de capitalisme de connivence vous n'avez pas une règle objective de droit, vous avez des lois subjectives qui sont votées lorsque certaines personnes sont davantage connectées avec le gouvernement et sont capables de l'utiliser pour obtenir un avantage concurrentiel sur les autres sur le marché. C'est ce que les économistes nomment la prise de contrôle de la réglementation. C'est une idée qui est vraiment fondamentale dans la Grève. (Jennifer Burns)

Le soutien des États aux entreprises ou banques too big to fail relève également du capitalisme de connivence. La manipulation de la monnaie par la banque centrale est le stade ultime du capitalisme de connivence :

Hélas pour nous, la « monnaie-marchandise » ne convient pas à un système capitaliste dévoyé, un capitalisme de copinage, de connivence, de manipulation ou d’État. La monnaie-marchandise pourrait appartenir à tout le monde, serait trop démocratique, pas facilement manipulable pour le plus grand profit des politiques qui promettent la lune, des gouvernements dispendieux et de leurs banquiers affairistes. Le capitalisme de connivence, des lobbyistes ou le capitalisme d’État ne peut fonctionner qu'avec de la « monnaie-dette ». (Simone Wapler)

En Chine, le capitalisme de connivence est difficile à distinguer du capitalisme d'État, le parti communiste chinois étant ouvert aussi bien aux « princes rouges » (descendants de proches collaborateurs de Mao) qu'aux « capitalistes ».

Exemple : la répression financière

Nuvola apps colors.png Article principal : répression financière.

La « répression financière » désigne un interventionnisme étatique dans le système financier au bénéfice du système bancaire ou de l’État.

Exemple : les travaux publics

Il y a un lien très étroit entre politiciens, banquiers et grandes entreprises de construction. Un politicien promet de grands travaux publics ; quand il est élu, il commande les travaux aux entreprises de construction de son choix (les "appels d'offre" étant le plus souvent une mascarade), et pour payer ces travaux il émet des titres de dette publique, à intérêt élevé, titres qui seront achetés en majorité par des banques. Pour les banques, il s'agit d'un investissement beaucoup plus sûr que de prêter à une entreprise privée, car elles savent que l’État trouvera toujours moyen de rembourser, par la violence à l'égard du citoyen s'il le faut. Banquiers et grands entrepreneurs ont donc tout intérêt à soutenir les politiques étatiques. Accessoirement, une partie de l'argent public est aisément détournée de son but initial pour alimenter les caisses noires des partis politiques, par un mécanisme de corruption classique à base de fausses factures ou de surfacturation.

Les grands travaux publics peuvent certes s'avérer utiles, par accident, mais le plus souvent il s'agit d'un gaspillage d'argent public, du fait qu'ils ne répondent pas à un besoin exprimé par chaque individu, et reposent sur une connivence entre les politiciens et les acteurs économiques choisis par ces derniers.

Exemple : Tesla

Tesla Motors (créée en 2003) est le type même d'entreprise apparemment très innovante, mais qui vit principalement de subventions étatiques. En raison de leur carbocentrisme, les Etats subventionnent les voitures électriques, qui autrement ne seraient pas rentables pour leur constructeur. Les trois sociétés Tesla Motors, SolarCIty (rachetée en 2016) et SpaceX (fondée en 2002 par Elon Musk) ont ainsi bénéficié ensemble d’un montant estimé à 4,9 milliards de dollars de soutiens de l’État[1]. Les analystes n'expliquent le "succès" de Tesla que par le soutien étatique et un engouement boursier injustifié :

Tesla, une entreprise zombie qui ne fait que des pertes, valorisée 55 milliards de dollars, affiche 28 milliards de dollars de passif. Tesla prétend devenir le champion de la voiture électrique autonome. Pourquoi Tesla – qui n'a jusqu'à présent pas réussi à s'imposer – réussirait-il mieux qu'un constructeur automobile classique qui maîtrise déjà les moteurs hybrides ? Mystère. Qui sont les actionnaires de Tesla ? (...) Ce sont majoritairement des institutionnels qui achètent l'action du zombie Tesla. (Simone Wapler, 22/08/2018)
Elon Musk, c'est un leveur de fonds extraordinaire, pas un génie, mais un type qui vend du rêve et qui le vend très cher, trop cher. (Olivier Delamarche, Les Econoclastes, 18/02/2020)

Peter Thiel estime en revanche, dans son livre De zéro à un, que Tesla a su capter les subventions au bon moment (par exemple 465 millions de dollars en 2010, pendant la première administration Obama) et exploiter un phénomène social, les "techno-propres".

Antiquité du capitalisme de connivence

Le capitalisme de connivence n'est pas une invention moderne, il a toujours existé. Ainsi Max Weber parle, à propos de l'Asie antique, de « capitalisme politique » qu'il définit comme « accumulation de fortune des fonctionnaires, des fermiers fiscaux, des fournisseurs de l’État »[2]. Différentes formes de cleptocratie ou de "propriété satrapique" ont toujours existé dans l'histoire. La caractéristique du libéralisme est de délimiter une frontière entre le capitalisme lié à la coercition étatique (illégitime, car fondé sur la loi du plus fort) et les autres formes de capitalisme privé (légitimes, car fondés sur les mérites des personnes).

Capitalisme de connivence et fascisme

Le fascisme promeut, par idéologie, une sorte de capitalisme de connivence, proche du capitalisme d’État des États socialistes :

Le fascisme devrait être appelé plutôt "corporatisme", car il résulte de la fusion de l'État et du pouvoir des entreprises. (Mussolini en 1932)

Le fascisme et le nazisme mettront ainsi en œuvre un corporatisme destiné à contrôler les entreprises en leur imposant la ligne politique du pouvoir. À la différence du capitalisme de connivence où se mêlent de façon informelle les intérêts du pouvoir et ceux des entreprises, chacun y cherchant son propre intérêt, ce corporatisme est dirigiste, les entreprises étant sous la coupe du pouvoir : celui-ci leur impose ses directives qui prévalent sur la recherche du profit. L'état ultime de ce système est le capitalisme d’État socialiste, qui supprime complètement la propriété privée des moyens de production.

Le capitalisme de connivence est-il un "ultralibéralisme" ?

Albert Camus disait : "A mal nommer les choses, on ajoute à la misère du monde". On ne voit pas de lien entre le capitalisme de connivence et le libéralisme, au contraire. Par exemple, lors de la crise financière de 2007-2008 :

Le secteur financier a capturé le système politique, ce que l’on a fort bien vu dans la dernière grave crise économique et tout cela a été légalement autorisé par des hommes politiques qui avaient été achetés. Les banquiers et financiers n’ont pas gagné d’argent en mettant leur capital en risque (la base du libéralisme) mais en achetant la complicité des gens au pouvoir, ce qui n’a rien à voir avec le libéralisme et tout avec le social-clientélisme, cette horrible maladie de la démocratie. (Charles Gave)
L'Europe n'a plus rien de libéral : c'est une prise de pouvoir massive par les grandes entreprises et le "grand gouvernement". (Nigel Farage)

Une opinion très répandue est que le gouvernement est entièrement dépendant des grandes entreprises ou des grandes banques, qui lui dicteraient sa conduite. S'il est vrai que la "connivence" entre les deux est telle qu'il est souvent difficile de démêler "qui possède qui", on peut remarquer que :

  • l'agenda politique reste entre les mains des politiciens, qui ne sont factuellement liés par aucune promesse ;
  • les entreprises les plus florissantes ne sont pas celles qui dépendent d'une influence politique ;
  • les politiciens ont toute latitude pour choisir les entreprises qu'ils veulent aider, en fonction des buts politiques qu'ils poursuivent ;
  • les entreprises en connivence financent souvent, de façon égale, à peu près tous les partis, pour ne pas prendre de risques (aux États-Unis, il s'agit des deux principaux partis) ;
  • en revanche, dans le cas d'un pays très endetté, la connivence est très étroite entre grandes banques et État, en raison de la nécessité d'écouler la dette publique (répression financière).

Voir aussi à ce sujet les articles ultralibéralisme, loi du plus fort, corruption, cleptocratie, théorie des choix publics.

Annexes

Bibliographie

  • 2002,
    • S. Haber, dir., "Crony Capitalism and Economic Growth in Latin America: Theory and Evidence", Hoover Press, Stanford, CA
    • D. C. Kang, "Crony Capitalism: Corruption and Development in South Korea and the Philippines", Cambridge University Press, Cambridge
  • 2012, David R. Henderson, "The Economics and History of Cronyism", Mercatus Center, George Mason University, Fairfax, VA.
  • 2016, G. P. Manish et Daniel Sutter, "Mastery versus profit as motivation for the entrepreneur: How crony policies shape business", Journal of Entrepreneurship and Public Policy, Vol 5, n°1, pp95-112
  • 2019,
    • Michael Munger, Mario Villarreal-Diaz, "The Road to Crony Capitalism", The Independent Review, 23(3), pp331-344
    • Steve Simpson, "The Aristocracy of Pull: An Objectivist Analysis of Cronyism", In: Robert Mayhew, Gregory Salmieri, dir. "Foundations of a Free Society: Reflections on Ayn Rand's Political Philosophy", Series: Ayn Rand Society Philosophical Studies, University of Pittsburgh Press, pp410-428

Voir aussi

Notes et références

  1. Tesla : Elon Musk, entrepreneur à succès aux frais du contribuable ?
  2. Hindouisme et bouddhisme, Champs-Flammarion, 2003, p.340.

Liens externes

Citations

Nuvola apps colors.png Article principal : Citations sur le capitalisme.
  • « Dans l’État interventionniste le succès d’une entreprise ne dépend plus d’une manière cruciale du fait qu’elle soit dirigée de façon à satisfaire au mieux et au meilleur prix les besoins des consommateurs ; il est bien plus important d’entretenir de « bonnes relations » avec les factions politiques exerçant le contrôle, et que les interventions s’exercent dans un sens favorable et non défavorable à l’entreprise. » (Ludwig von Mises)
  • « Qu’est que le capitalisme de connivence ? Tout simplement un système de défense et de création de rentes appuyé sur la capture de l’État par ceux qui bénéficient ou bénéficieront de ces rentes. » (Charles Gave)
  • « Le mot qui convient le mieux pour désigner un système qui gomme les frontières entre le Gouvernement avec un G majuscule et l'Entreprise avec un E majuscule n'est ni "libéral", ni "conservateur", ni "capitaliste". Ce serait plutôt "corporatiste". » (Naomi Klein,La Stratégie du choc, 2007)
  • « Au fur et à mesure que le domaine de l’État s'étend, il devient plus profitable pour les entrepreneurs d'« acheter » le personnel politique plutôt que d'« acheter » leurs clients en leur offrant ce qu'ils demandent. (...) en intervenant dans la vie économique, de façon toujours de plus en plus étendue, l’État crée lui-même les conditions nécessaires à une manipulation croissante des lois du marché au profit de groupes d'intérêts particuliers. » (Henri Lepage, Demain le capitalisme, 1978)
  • « Récompenser l’échec, c’est tout sauf du capitalisme libéral. C’est de l’économie planifiée. Sauf qu’ici, l’État ne planifie pas pour le plus grand nombre, comme le faisait l’URSS ; il planifie pour le plus petit nombre. C’est le pire des deux mondes : du socialisme inversé, du capitalisme assisté par l’État, de la spéculation subventionnée, de l’individualisme entretenu, de l’irresponsabilité financée à crédit. Un système perverti où l’État, au lieu de jouer l’unique rôle qui justifie son existence – à savoir veiller au maintien de conditions de vie décentes pour la majorité des habitants de son territoire – n’est plus là que pour redistribuer le bien collectif en faveur de firmes puissantes. » (Myret Zaki)
  • « Le capitalisme actuel est parfois décrit comme une "économie casino". Mais je ne connais aucun casino où le président de la Banque Centrale et le Ministre des Finances accompagnent le joueur devant la roulette en lui garantissant gentiment de couvrir toutes ses pertes. » (Johan Norberg)
  • « Loin de défendre l’intérêt général, l’État moderne est au contraire fondé sur la préservation des bureaucrates qui administrent ses largesses, la reconduction des politiques qui les distribuent, et la protection des rentiers qui en bénéficient. Clientélisme, népotisme et favoritisme constituent les exemples quotidiens de cette corruption légalisée. » (Gaspard Koenig)
  • « En fait, il y a deux formes de capitalisme : le capitalisme de connivence d’une part, et le capitalisme de concurrence d’autre part. Et le mal dont souffre notre société n’est pas un excès de liberté économique − le très galvaudé « néolibéralisme » − mais les tentatives de s’abstraire des exigences de la liberté. Ces tentatives s’incarnent de manière très concrète dans la connivence et la défense des rentes. » (Jean-Marc Daniel, L’État de connivence)
  • « Le gouvernement par des copains et des coquins s’appuyant sur l’Etat pour s’enrichir n’a rien à voir avec le libéralisme et tout à voir avec le grand banditisme. Nous avons [en France] un gouvernement mafieux mais certainement pas un gouvernement libéral car dans un pays libéral tous ces gens seraient en prison et depuis longtemps. » (Charles Gave, 11/09/2017)
  • « Le capitalisme de connivence – l’autre nom du kleptoparasitisme démocratique – n’est pas le libre-échange. L’indigence conceptuelle des pourfendeurs du marché libre les conduit à abhorrer tous les détenteurs de capital, y compris ceux dont l’activité indépendante contribue à éradiquer la faim et la maladie de la surface du globe. » (Gaël Campan, Théorie Générale de l’Interaction)


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