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Seconde République

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La Seconde République est la plus courte et la plus méconnue des cinq républiques françaises. Elle naît de la Révolution de 1848 et s'achève par le coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1851. La France connaît pendant quelques mois une expérience socialiste.

Sous ce régime, les idées de « 1789 » continueront à faire florès. La nouvelle République n’est pas jacobine : elle supprime la peine de mort en matière politique, elle ne manifeste aucune volonté de déchristianiser le pays, elle n’inquiète d’aucune manière le personnel politique qui vient d’être écarté du pouvoir. On refusa même, au moment de rédiger la constitution, d’y inscrire un « droit au travail » qui aurait pu entraîner un début d’étatisation de l’économie. En somme, la nouvelle République présente une grande continuité avec le régime de Juillet. On a changé la tête de l’Etat, mais personne n’entend « changer de société », ou ceux qui le pensent sont ultra minoritaires.

La Révolution de Février

La Monarchie de Juillet s'effondre en trois jours. Le 22 février, une manifestation d'ouvriers et d'étudiants fait suite à l'interdiction du banquet final de la campagne des banquets. La fraternisation de la garde nationale et de la foule le 23 février révèle la grande impopularité de Guizot : ce dernier est renvoyé par Louis-Philippe mais des manifestants sont tués devant le ministère des Affaires étrangères ce qui provoque l'appel aux armes. Le 24, le vieux roi qui n'a plus de gouvernement, démoralisé, abdique en faveur de son petit-fils.

Lamartine fait rejeter le drapeau rouge au profit du drapeau tricolore

Mais le Palais-Bourbon a été envahi par les insurgés et un gouvernement provisoire se constitue autour des députés républicains. Pour éviter la constitution d'un autre gouvernement à l'Hôtel de ville, les parlementaires s'y rendent en hâte et la liste définitive est établie. C'est un compromis entre les républicains libéraux (les hommes du journal le National) et les démocrates plus ou moins ouverts au socialisme, ceux de la Réforme. Le socialiste Louis Blanc et l'ouvrier Albert, leader de société secrète, siègent aux côtés des parlementaires (Lamartine, Ledru-Rollin, Dupont de l'Eure, etc.) et de journalistes (Marrast pour le National et Flocon pour la Réforme). La France a désormais un chef d'État à onze têtes mais les plus radicaux sont écartés des ministères. La République est proclamée immédiatement, avant toute ratification populaire. Elle se veut démocratique avec le suffrage universel (masculin), généreuse en abolissant l'esclavage et souhaite se démarquer de la Terreur en abolissant la peine de mort en matière politique.

Pierre-Auguste Biard, L'abolition de l'esclavage, 1849

Les commissaires de la République s'installent dans les préfectures en province au rythme de la malle-poste : Émile Ollivier à Marseille le 29 février, par exemple. En raison des difficultés économiques, le peuple est agité : le château de Louis-Philippe à Neuilly, celui de Rothschild à Suresnes sont forcés et pillés. A Lyon, les canuts attaquent les couvents accusés de concurrence déloyale. Dans les campagnes, en Alsace, dans les Pyrénées, les villageois s'en prennent aux forêts domaniales et chassent les gardes forestiers. Cependant, l'armée d'Alger commandée par le duc d'Aumale, fils du roi déchu, se rallie, satisfaite du maintien du drapeau tricolore.

Lamartine, ministre des Affaires étrangères, faisait figure de véritable chef du gouvernement. Diplomate de métier, parlementaire et académicien, venu du royalisme, il en gardait une méfiance à l'égard du libéralisme économique. Reprenant le terme d'ateliers nationaux à Louis Blanc, mais qui songeait à des coopératives de travailleurs, le gouvernement met en place en réalité des ateliers de charité pour trouver une solution au chômage. Une manifestation socialiste réclame la création d'un ministère du Travail le 28 février. On crée une « Commission du gouvernement pour les travailleurs » présidée par Louis Blanc assisté d'Albert qui siège au Luxembourg dans l'ancienne Chambre des Pairs. Par ailleurs, un décret fixe la durée maximale de la journée de travail en usine à 10 heures à Paris et 12 heures en province. Pendant quelques temps, la liberté d'expression la plus absolue règne. Mais l'euphorie conciliatrice dure peu. Louis Blanc se voit dépassé sur sa gauche par les hommes des clubs, Raspail et Auguste Blanqui.

Entre les deux camps, libéral et socialiste, la province doit arbitrer mais la gauche, sentant bien qu'elle n'est pas majoritaire, souhaite retarder les élections pour laisser au bon peuple des campagnes le soin de s'éveiller. En province, tout le monde se dit républicain si bien que l'on distingue les « républicains de la veille » des « républicains du lendemain ». A l'occasion de la plantation des arbres de la liberté, le clergé bénit la cérémonie : l'Église bénéficie des tracasseries qu'elle a subi sous Louis-Philippe. Pour un temps très court, catholicisme et républicanisme s'accordent. Ledru-Rollin, ministre de l'Intérieur, envoie une circulaire, le 8 avril, pour inciter les commissaires de la République à favoriser l'élection des républicains de la veille. Il s'agit d'élire quelques 900 « représentants du peuple. » Le 23 avril les élections donnent la majorité à une République libérale sans révolution sociale ni réaction monarchique. Les représentants d'origine ouvrière siègent au centre-gauche, l'extrême-gauche socialiste compte surtout des intellectuels, dont Lacordaire. Lors de la réunion du 4 mai, la Constituante proclame de nouveau, mais cette fois officiellement et légalement, la république.

L'échec du socialisme et le rétablissement de l'ordre : 1848-1849

On revient au système de l'an III en instaurant une Commission exécutive de cinq membres : Lamartine, élu dans cinq départements, avait sa place d'office, il obtint de s'adjoindre Ledru-Rollin incarnant le progressisme non socialiste avec Arago, Garnier-Pagès et Marie, autres membres de l'ancien gouvernement provisoire. Le ministère est constitué de gens du National. Sous prétexte de manifester en faveur de la Pologne, les clubs d'extrême-gauche incitent le peuple parisien à envahir l'Assemblée, le 15 mai. La salle est finalement évacuée par les forces de l'ordre et les leaders extrémistes sont arrêtés. Lors des élections partielles, provoquées par les élections multiples d'avril, des hommes nouveaux entrent à la Constituante : Adolphe Thiers, Proudhon, Victor Hugo et Louis-Napoléon Bonaparte pour citer les plus connus. Ce dernier bien que validé par la majorité préfère démissionner depuis Londres.

Le 21 juin, la Commission cédant à la pression de l'Assemblée décide la suppression des ateliers nationaux. L'agitation ouvrière commence dès le lendemain. Un ouvrier répond à Arago venu discuter : « Ah, monsieur Arago, vous n'avez jamais eu faim ! » Le 23 juin des barricades sont dressées au cri de « La liberté ou la mort. » Karl Marx va voir dans les journées de juin la manifestation de la lutte des classes. L'Assemblée en tout cas se montre résolue à résister. En province, l'unanimité s'est faite derrière le gouvernement. La lutte est rude les 23, 24 et 25 juin 1848. Cavaignac se montre froid et résolu : le 24 juin, la Commission a dû démissionner au profit du nouveau « chef du pouvoir exécutif. » L'archevêque de Paris, Mgr Affre, qui essaie de s'interposer, est victime d'un faubourien isolé. Qualifié de « prince du sang » par les faubourgs, le nouveau chef de l'État était un républicain de la veille, fils d'un conventionnel. Il constitue un gouvernement strictement républicain tendance National.

Une des conséquences des journées de juin est la restriction de la liberté d'expression par une réglementation des clubs et le rétablissement du timbre et du cautionnement dans la presse. Louis Blanc doit s'exiler. En province cependant, les élections locales de juillet et août se déroulent dans le calme.

Les discussions sur la Constitution s'ouvrent le 4 septembre et le travail s'achève le 31 octobre avant le vote définitif du 4 novembre qui l'adopte par 739 voix contre 30. L'Assemblée s'est inspirée à la fois de la Révolution française et de la république des États-Unis. Le préambule débute ainsi : « En présence de Dieu et au nom du Peuple français. » La Seconde République adopte le monocamérisme de la tradition révolutionnaire et l'élection d'un président de la République, chef d'État et chef de gouvernement à l'américaine. Le droit au travail est rejeté lors d'une discussion passionnée.

Les candidatures pour l'élection présidentielle sont sans surprise et deux hommes s'imposent : Cavaignac était favorisé par sa position ; Louis-Napoléon Bonaparte, élu finalement représentant lors d'une élection partielle en septembre, venait d'arriver à Paris et paraissait médiocre à la droite conservatrice qui en fit son candidat pour profiter de la popularité de son nom. Pour le comité de la rue de Poitiers dont la grande intelligence est Adolphe Thiers, il sera facile à manipuler. Ledru-Rollin se voulait le candidat de l'opposition de gauche et Lamartine surestimait sa popularité. Le 10 décembre, la victoire de Bonaparte est écrasante : plus de 5 400 000 voix contre 1 400 000 à Cavaignac. Pour beaucoup désormais le bonapartisme apparaîtra comme le test de l'analphabétisme politique. Le 20 décembre, le nouveau président de la république prête serment et les représentants, troublés, préfèrent acclamer Cavaignac qui dépose dignement le pouvoir. Très vite, le citoyen président devient le prince président.

Serment du président élu le 20 décembre 1848

Le gouvernement formé par Louis-Napoléon se compose d'anciens notables royalistes, Odilon Barrot, Alexis de Tocqueville et le comte de Falloux en sont les figures principales. Les élections législatives du 13 mai 1849 manifestent la polarisation de la vie politique. A gauche les « rouges » se disent aussi montagnards et partisans de la « république démocratique et sociale. » A droite les « blancs » rassemblent tous les partisans de l'ordre. Les « bleus » acceptent 1789 mais rejettent le socialisme : Cavaignac, Louis-Napoléon et Thiers incarnent toute la diversité de cette position. On compte à l'Assemblée près de 500 conservateurs contre moins d'une centaine de républicains et près de 200 montagnards. Désormais le socialisme séduisait un électorat paysan. Ledru-Rollin dénonce à la tribune l'expédition de Rome et le rétablissement du pape. Il songe à organiser le 13 juin une manifestation sur les boulevards : c'est un échec et il doit s'exiler.

La république conservatrice 1849-1851

Il n'y avait rien de commun entre Louis-Napoléon, l'aventurier romantique convaincu de son destin et les burgraves, ces notables conservateurs qui l'avaient porté au pouvoir. La répression contre le mouvement démocratique les unit un temps. L'état de siège est décrété dans les départements touchés par les troubles du 13 juin. La loi sur la presse du 27 juillet 1849 définit de nouveaux délits politiques. Mais le 31 octobre, le président annonçait à l'Assemblée sa décision de former un ministère selon ses vues, responsable devant lui seul. La loi Falloux adoptée par l'Assemblée le 15 mars 1850 établit la liberté d'enseignement secondaire remettant en cause le monopole de l'Université. Elle ouvre ainsi l'ère des « deux jeunesses. » La loi du 31 mai 1850 restreint le corps électoral, en écartant une grande partie des ouvriers, et celle du 8 juin entrave la presse.

Profitant de l'écrasement de la gauche et de l'impopularité croissante de la droite, le président flatte de plus en plus l'armée, peut compter sur la dévotion grandissante des préfets et fait de grandes tournées en province. Il fait campagne pour la révision d'une constitution qui lui interdit de se représenter en 1852. La mort de Louis-Philippe fait espérer une fusion dynastique, le comte de Chambord n'ayant pas de descendant, mais c'est un échec et la division du camp royaliste accentue la décomposition du parti de l'ordre.

Louis-Napoléon résolu de plus en plus à un coup d'État démet le 3 janvier 1851, Changarnier, commandant en chef de l'armée de Paris, qui était l'épée de la Législative. C'est un tollé, les ministres démissionnent mais le président ne cède pas et constitue un « petit ministère » qui lui est entièrement dévoué, faisant fi du vote hostile de l'Assemblée. Celle-ci est désormais coupée en quatre : républicains, orléanistes (qui penchent à gauche), légitimistes (qui penchent du côté de l'Élysée) et le parti de l'Élysée. Ces groupes sont instables et les majorités contradictoires et éphémères. Le président laisse à l'Assemblée une chance de réviser la constitution mais l'opposition républicaine (renforcée d'orléanistes de tendance Thiers) la rend peu probable. Le seuil constitutionnel des trois quarts n'est pas atteint en juillet.

Le coup d'État est désormais inévitable. Très habilement, le président se déclare partisan de l'abrogation de la loi du 31 mai, divisant républicains et orléanistes et mettant la droite dans l'embarras. L'opération Rubicon est exécutée le 2 décembre 1851. Pour faire accepter le coup d'État à l'opinion publique, des affiches sont placardées à l'aube avec une proclamation à l'armée et une autre à la population. Le suffrage universel (masculin) était rétabli, l'Assemblée dissoute et un plébiscite était annoncé pour ratifier une nouvelle Constitution. Morny s'installe au ministère de l'Intérieur. Les militants démocrates et une vingtaine de représentants, dont Cavaignac et Thiers, sont arrêtés.

Discours de Berryer à la fenêtre de la mairie du Xe arrondissement

La majorité des représentants acceptent le fait accompli, environ deux cents, les libéraux, essaient d'établir les voies d'une résistance légale. Ils votent la déchéance du président dans la mairie du Xe arrondissement avant d'être arrêtés, parmi eux Odilon Barrot, Alexis de Tocqueville, le comte de Falloux et Pierre-Antoine Berryer. Cette résistance légale de six heures contribue à donner l'idée que le coup d'État est en difficulté. Quelques dizaines de montagnards décident d'inciter le peuple à combattre. Le 3 décembre, les premiers coups de feu éclatent. Les barricades se multiplient le 4 décembre et la répression se fait brutale. Paris est maté mais la province résiste à son tour, surtout dans le Sud-Est, touchant les campagnes plus que les villes. Mais la République était morte. Le plébiscite du 20 décembre 1851 approuve Louis-Napoléon par 7 millions et demi de oui contre 640 000 non.

Citations

  • Il me semblait que je voyais pour la première fois ces Montagnards, tant leur idiome et leurs mœurs me surprirent. Ils parlaient un jargon qui n'était proprement ni le français des ignorants ni celui des lettrés, mais qui tenait des défauts de l'un et de l'autre, car il abondait en gros mots et en expressions ambitieuses. (…) Evidemment, ces gens là n'appartenaient pas plus au cabaret qu'au salon ; je crois qu'ils avaient poli leurs mœurs dans l'intermédiaire des cafés et nourri leur esprit de la seule littérature des journaux. (…) L'Assemblée constituante avait deux autres aspects qui me parurent aussi nouveaux que celui-ci, quoique bien différents de lui. Elle renfermait infiniment plus de grands propriétaires et même de gentilshommes que n'en avait eu aucune des Chambres choisies dans les temps où la condition nécessaire pour être électeur et pour être élu était l'argent. Et l'on y rencontrait un parti religieux plus nombreux et plus puissant que sous la Restauration même. (Tocqueville, Souvenirs)
  • L'Assemblée constituante de 1848 a de l'honnêteté et du courage. Son malheur est d'être médiocre, ce qui la fait hostile aux grandes intelligences qu'elle contient. L'éloquence vraie, mâle et ferme l'étonne et la hérisse. Le beau langage lui est patois. Elle est presque entièrement composée d'hommes qui, ne sachant pas parler, ne savent pas écouter. Ils ne savent que dire et ils ne veulent pas se taire. Que faire ? Ils font du bruit. (…) Je contemple souvent en rêvant l'immensité de la salle et la petitesse de l'Assemblée. (Victor Hugo, Choses vues)
  • Ce qui compose le moment que nous traversons, c'est la forme la plus fragile, un prince-président, et le fond le plus indestructible, la démocratie, l'impossible combiné avec le nécessaire. De là vient que les uns disent : cela est éternel, et que les autres disent : cela ne peut pas durer, et que tous ont raison. (Victor Hugo, Choses vues)

Sources

  • Maurice Agulhon, 1848 ou l'apprentissage de la république 1848-1852 volume 8 de la Nouvelle histoire de la France contemporaine, Points Histoire 1973, 250 p.
  • Serge Bernstein et Michel Winock (dir.), L'Invention de la démocratie 1789-1914 volume 3 de l' Histoire de la France politique, Points Histoire 2002, 620 p.


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