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Lutte des classes

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Un exemple de société de classes : les trois ordres de l'Ancien Régime

La lutte des classes est un concept qui tente d'expliquer l'histoire par les conflits entre des « classes ». Principalement connu pour sa variante marxiste, il est né dans la réflexion de certains penseurs libéraux au XIXe siècle. Les libéraux sont extrêmement critiques de la théorie marxiste et opposent à la vision belliciste du communisme la société ouverte libérale.

Origines

La lutte des classes est un concept dont la paternité est attribuée à tort à Karl Marx. Or ce sont les libéraux français de la Restauration, tels que Charles Comte et Charles Dunoyer, qui l'ont élaborée. Bien entendu, le sens accordé est différent. Il s'agissait - à la suite de Jean-Baptiste Say et de Antoine-Louis Destutt de Tracy - de montrer que l'État était le siège de la recherche de rentes financées par l'impôt. Ainsi, il existe deux grandes classes dans la société industrielle: les producteurs de richesses - soumis à l'impôt - et les consommateurs d'impôts. Leurs intérêts sont clairement antagonistes, puisque les premiers désireront être moins taxés alors que les seconds plaideront en faveur d'une continuelle augmentation de l'imposition.

La notion de lutte des classes au sens du libéralisme est déjà clairement exprimée chez Adolphe Blanqui (dont l'œuvre était connue de Marx et Engels), qui écrit en 1837 :

« Dans toutes les révolutions, il n'y a jamais eu que deux partis en présence : celui des gens qui veulent vivre de leur travail et celui des gens qui veulent vivre du travail d'autrui. Patriciens et plébéiens, esclaves et affranchis, guelfes et gibelins, roses rouges et roses blanches, libéraux et serviles, ne sont que des variétés de la même espèce. C'est toujours la question du bien-être qui les divise, chacun voulant, si j'ose me servir d'une expression vulgaire, tirer la couverture à soi au risque de découvrir son voisin. Ainsi, dans un pays, c'est par l'impôt qu'on arrache au travailleur, sous prétexte du bien de l'État, le fruit de ses sueurs ; dans un autre, c'est par les privilèges, en déclarant le travail objet de concession royale, et en faisant payer cher le droit de s'y livrer »
    — Adolphe Blanqui, Histoire de l'économie politique en Europe, depuis les anciens jusqu'à nos jours, volume 1, Introduction

À comparer avec l'affirmation du Manifeste du Parti communiste (1847) :

« L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours, c'est l'histoire de la lutte des classes. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot : oppresseurs et opprimés, se sont trouvés en constante opposition ; ils ont mené une lutte sans répit, tantôt déguisée, tantôt ouverte, qui chaque fois finissait soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la ruine des diverses classes en lutte. »
    — Karl Marx, Manifeste du Parti communiste

Les libéraux français (Charles Dunoyer, Charles Comte et Augustin Thierry) opposent ainsi les classes spoliatrices aux classes productives. Ils se fondent sur des exemples historiques pour valider cette opposition : les empires grecs et romains vivent de l’esclavage et de la spoliation des vaincus ; le féodalisme repose sur un système de spoliation des paysans par les élites guerrières nobles.

Marx, lui-même, reconnut qu'il avait emprunté sa théorie de la lutte des classes aux auteurs libéraux français :

Je n'ai aucun mérite pour la découverte des classes ni de la lutte entre les classes dans la société moderne. Bien avant moi, les historiens bourgeois avaient décrit le développement historique de cette lutte des classes et les économistes bourgeois l'anatomie économique des classes. (lettre de Marx à J. Weydemeyer, 5 mars 1852, Karl Marx and Friedrich Engels, Selected Correspondence, Moscou : Progress Publishers, 1965, p. 69)

Cette origine libérale apparaît clairement dans plusieurs passages de ses écrits. Ainsi, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852), on trouve une analyse du pouvoir étatique en France qui aurait pu être reprise par les libéraux :

« Ce pouvoir exécutif, avec sa bureaucratie énorme et son organisation militaire, avec sa machinerie étatique ingénieuse, qui embrassent des couches très larges, peuplée d'une foule de fonctionnaires d'environ 500 000 personnes, à côté d'une armée de 500 000 personnes supplémentaires, avec un corps affreusement parasite qui couvre la société française comme un filet et l'étouffe... »
    — Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte

La conception marxiste

Karl Marx a transformé cette théorie, inspirée également de Saint-Simon et de la dialectique du Maitre et de l'Esclave de Hegel, en prétendant que la société serait divisée, au sein même de l'activité productive, en classes économiques antagonistes : les capitalistes (qui possèdent un capital) et le prolétariat (travailleurs qui louent leur force de travail pour subsister), avec une classe intermédiaire, la petite et moyenne bourgeoisie (personnes qui possèdent leurs propres moyens de subsistance).

Il affirme, notamment dans le Manifeste du Parti communiste, que l'histoire des sociétés humaines a pour moteur la lutte des classes, et qu'à terme la bourgeoisie doit disparaître.

Dans Études philosophiques (publié en 1951), il nie explicitement la paternité du concept et explique comment il l'a enrichi:

  • la lutte des classes est une simple phase de l'histoire,
  • qui mène nécessairement à la dictature du prolétariat,
  • elle-même simple transition vers la société sans classe.

Marx se fonde sur la même idée que Hegel selon laquelle l'histoire a un sens et une fin. La fin de l'histoire correspond à l'achèvement de l'humanité, dans une société sans classe. Pourquoi ? Marx reste ambigu.

Aux annonces messianiques de fin de la lutte des classes (donc fin/aboutissement de l'Histoire) dans la société socialiste, s'oppose la conception maoïste (voire d'Althusser qui est tributaire de la première) pour qui la lutte des classes est un principe éternel indépassable.

Point de vue libéral et libertarien

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Pour les libéraux, la conception marxiste de la lutte des classes est primaire et manichéenne, et occulte le caractère coopératif et dynamique de la vie économique. Le travailleur s'engage librement par contrat avec l'entreprise et reçoit un salaire en échange de son travail (le droit au travail n'existe pas en soi). Le profit que perçoit l'entrepreneur est la rémunération du risque qu'il prend. Les théories marxistes de la valeur-travail et de la plus-value sont erronées et aboutissent à une vision biaisée de ce qu'est réellement l'économie. Chaque individu est capitaliste, car chacun dispose de son propre capital humain.

Pour Ludwig von Mises, « la faiblesse inhérente à cette doctrine est qu'elle traite de classes et non pas d'individus. Il faudrait montrer comment les individus sont conduits à agir de telle sorte que l'humanité finisse par atteindre le point que visent les forces productives. Marx répond que la conscience des intérêts de leur classe détermine la conduite des individus. Il reste à expliquer pourquoi les individus préfèreraient les intérêts de leur classe à leurs propres intérêts. » (Theory and History, 1957)

A la différence de la théorie marxiste, la conception libérale de la lutte des classes permet d'analyser l'histoire avec des instruments beaucoup plus fins que les concepts antagonistes de « bourgeoisie » et de « prolétariat ».

Alors que la vision marxiste de la lutte des classes se limite arbitrairement à l'aspect économique dépouillé de tout principe de droit ou de justice, le libertarisme revient à la définition libérale de la lutte des classes, qui découle de l'application de principes de droit : la lutte existe alors, non pas comme dans le marxisme entre « ceux qui ont » et « ceux qui n'ont pas », mais entre « ceux qui volent » ou profitent du vol (politiciens, hommes de l'État, assistés et subventionnés en tous genres) et « ceux qui sont volés » (contribuables, entrepreneurs non subventionnés, salariés ponctionnés, etc.), le vol étant défini comme le fait de s'approprier le bien d'autrui sans son consentement.

De même que le marxisme interprète l'histoire à travers sa conception strictement économique de la lutte des classes et aboutit à une critique erronée du capitalisme, le libertarisme peut également procéder à une analyse semblable (sur des bases de droit) et réexplorer l'histoire pour montrer comment l'étatisme à toute époque, y compris dans des régimes socialistes (capitalisme d'État) censés la dépasser, suscite la lutte des classes entre individus, ceux qui profitent de l'État, et ceux que ce dernier exploite. Les exploiteurs ne sont plus une élite guerrière ni une Noblesse, ce sont des nomenklaturistes, des technocrates, des politiciens corrompus ou des affairistes en cheville avec l'État.

Pour les anarcho-capitalistes, tel Gustave de Molinari, la politique est toujours l'arène de la lutte de classes où les propriétaires de l'État s'affrontent pour conquérir le droit de lever des impôts. Les impôts sont une continuation, avec certaines transformations purement formelles, de l'esclavage : c'est le tribut exigé par quiconque exerce le pouvoir sur les autres.

Dans la perspective libertarienne, le développement d'une « conscience de classe » (pour employer des termes marxistes) parmi ceux qui sont spoliés par l'État est la meilleure façon de lutter contre l'étatisme :

Sommes-nous condamnés à subir toujours l’exploitation ? Marx nous apprend que les classes dominantes perdent le pouvoir quand les classes productives deviennent conscientes de leur exploitation en tant que classes. La conscience de classe peut être éveillée par une avant-garde, par le travail d’éducation que consentent ceux qui ont pris conscience eux-mêmes du mécanisme d’exploitation et qui acceptent de s’engager dans un mouvement de libération. Marx ajoute que les conditions de cette libération sont réunies si au même moment une révolution technologique sape le pouvoir de la classe dominante dans son fondement économique. (Christian Michel)

Le libéral de gauche Piero Gobetti a, pour sa part, développé une théorie intéressante. Critiquant fermement le messianisme révolutionnaire, il conçoit la lutte des classes comme une composante essentielle du processus de sélection des élites dans une société démocratique ouverte. La lutte des classes devient ainsi une condition de possibilité de la civilisation capitaliste. L'espérance de l'abolition des classes est une utopie car sa réalisation concrète détruirait le moteur évolutif du progrès. Comme la concurrence des entreprises est la condition de fonctionnement de l'économie de marché, la concurrence des classes est la condition de fonctionnement des sociétés modernes.

La société de classes vue par les libertariens

Un exemple de société de classes : la France de la Cinquième République (selon Philippe Fabry).

Une société étatisée peut selon les libertariens être divisée en plusieurs classes:

  • la classe dirigeante exploiteuse :
Il s'agit des hommes de l'État, qui vivent de l'impôt (les « receleurs d'impôt », selon Murray Rothbard) et ont le monopole de la violence légale. Ce sont les parasites de premier niveau : politiciens, bureaucrates, policiers, soldats, un certain nombre de fonctionnaires (percepteurs, douaniers, inspecteurs du travail, etc) dont le « travail » n'a de sens que par l'existence de l'État. On peut y rajouter tous les élus à quelque niveau que ce soit, censés gérer les « biens publics ». Quand il s'agit d'une caste permanente (plus ou moins indépendante des changements politiques), on parle parfois d'État profond.
  • la classe des exploiteurs non dirigeants :
Sans faire partie forcément de l'État, ces personnes bénéficient indirectement de l'existence de l'État. Ce sont :
- les parasites de second niveau : activistes, lobbies et groupes d'intérêt, organisations et partis politiques, syndicats, associations ou corporations subventionnées par l'État (directement ou via le protectionnisme), etc.
- les profiteurs (free riders), qui pourraient très bien exercer leurs talents dans une société non étatisée, mais qui profitent de la coercition étatique (tout en la subissant aussi sous certains aspects) : PDGs de multinationales en cheville avec les politiciens ou l'Administration, scientifiques, chercheurs ou artistes subventionnés ou « engagés » politiquement, activistes, juristes ou avocats qui bénéficient de l'arbitraire du droit positif et du maquis juridique qui en résulte, professions de santé chapeautées par la sécurité sociale, enseignants du public, sportifs des équipes nationales, etc.
  • la classe des assistés :
Il s'agit de ceux qui sont maintenus dans la pauvreté par l'État qui s'en sert comme un alibi pour justifier son interventionnisme.
  • la classe des travailleurs, producteurs-esclaves :
Tous les autres, qui ne sont ni des assistés, ni des exploiteurs (peu importe qu'ils soient salariés, entrepreneurs, ou autre). Classe la plus nombreuse, maintenue idéologiquement et légalement dans la sujétion aux autres classes.

Dans une société anarcho-capitaliste, les trois premières classes n'ont plus de raison d'être.

Lysander Spooner opérait à peu près le même genre de distinctions dans The Constitution of No Authority, distinguant les classes suivantes :

  1. Les scélérats, qui utilisent le gouvernement comme un instrument pour s'enrichir ;
  2. Les dupes, qui se croient libres en démocratie, parce qu'ils peuvent voter ;
  3. Ceux qui ne sont pas dupes des vices du gouvernement, mais ne savent comment s'en débarrasser, ou ne le peuvent pas, ne souhaitant pas s'engager dans une telle lutte.

Citations

  • Il y a deux classes distinctes de personnes dans la nation : ceux qui payent des impôts, et ceux qui reçoivent et vivent des impôts. (Thomas Paine)
  • Les énormes récompenses et les avantages qui sont généralement liés à l’emploi public avivent grandement l’ambition et la cupidité. Ils créent une lutte violente entre ceux qui possèdent des postes et ceux qui en souhaitent. (Jean-Baptiste Say)
  • Les théories de gauche et de la pseudo droite sur l'entreprise, généralement conçues et propagées par des gens qui n'ont jamais mis les pieds dans une entreprise, partent de l'idée qu'il existe une opposition irréductible entre les intérêts des travailleurs et ceux des patrons. Il n'y a rien de plus contraire à la réalité, au moins dans un marché libre. Car dans un marché libre, il n'y a pas de chômage permanent, et les patrons sont en concurrence les uns avec les autres pour attirer les meilleurs salariés. (Jacques de Guenin)
  • Ceux qui ont recours à la violence aujourd'hui pour assurer leur revenu, à l'instar des seigneurs féodaux, sont les employés du secteur public. Ces fonctionnaires ne gagnent pas leur salaire en fournissant un service que les gens désirent suffisamment pour vouloir le payer. Les employés de l'État se servent tout simplement, en usant de la contrainte, de la grève, du racket, des impôts. Ce sont eux la nouvelle classe dominante. Nous sommes les exploités. Il est bien clair que la lutte des classes n'est pas finie. Nous sommes toujours face à nos exploiteurs, classe contre classe. Pourquoi l'exploitation par la classe dominante des employés de l'État n'apparaît pas évidente aux yeux de tous? Parce que la plupart des gens en Europe ne comprennent pas que l'impôt est du vol et que les interventions des hommes de l'État dans la vie économique et notre vie privée sont des violences illégitimes. (Christian Michel)
  • Si Marx avait compris que le fondement de la valeur n’était pas le travail mais l’utilité, il n’aurait pas commis l’erreur de considérer le prolétariat en tant que classe exploitée. L’existence d’échanges non contraints ne laisse d’ailleurs pas de place à l’exploitation dans la mesure où il ne peut y avoir d’échange sans que chacune des parties n’y trouve son intérêt. (Prégentil)
  • Les libertariens doivent développer une conscience de classe marquée, non pas dans le sens marxiste du terme, mais dans le sens de reconnaître qu’il existe une nette distinction entre ceux qui paient les impôts (les exploités) et ceux qui les consomment (les exploiteurs). (Hans-Hermann Hoppe)
  • Vous ne pouvez pas favoriser la fraternité humaine en encourageant la lutte des classes. (Abraham Lincoln, Déclaration au Congrès, 1860)
  • Dès l'origine des sociétés, une lutte incessante s'est établie entre les oppresseurs et les opprimés, les spoliateurs et les spoliés ; dès l'origine des sociétés, l'humanité a tendu constamment vers l'affranchissement de la propriété. L'histoire est pleine de cette grande lutte ! D'un côté, vous voyez les oppresseurs défendant les privilèges qu'ils se sont attribués sur la propriété d'autrui ; de l'autre, les opprimés réclamant la suppression de ces privilèges iniques et odieux. (Gustave de Molinari)
  • Les critiques de Marx, de Mikhail Bakounine à Machajski et Milovan Djilas, ont bien sûr souligné, à la fois prophétiquement et a posteriori, que la révolution prolétarienne, quel que soit le stade où on la considère, n'éliminerait pas les classes, mais, au contraire, mettrait en place une nouvelle classe dirigeante et une nouvelle classe opprimée. (Murray Rothbard)
  • La lutte des classes, sur laquelle Marx a particulièrement attiré l'attention, est un facteur réel, dont les marques peuvent être trouvées sur chaque page de l'histoire. Mais la lutte n'est pas limitée seulement à deux classes: le prolétariat et les capitalistes, elle a lieu entre un nombre infini de groupes avec des intérêts différents, et avant tout entre les élites rivalisant pour le pouvoir. (Vilfredo Pareto)
  • L’histoire des peuples qui ont une histoire est, dit-on, l’histoire de la lutte des classes. L’histoire des peuples sans histoire, c’est, dira-t-on avec autant de vérité au moins, l’histoire de leur lutte contre l’État. (Pierre Clastres, La Société contre l’État)

Informations complémentaires

Bibliographie

  • 1991, Christie Davies, "Class", In: Nigel Ashford, Steve Davies, dir., "A Dictionary of Conservative and Libertarian Thought", New York: Routledge

Voir aussi

Liens externes

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