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Inflation législative

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L'inflation législative ou inflation réglementaire, désigne l'augmentation quantitative des lois, se traduisant par une accumulation incessante de textes de loi provocant une dégradation équivalente de la notion de droit. Le système juridique est ainsi submergé par la prolifération de textes, complexifiant de fait celui-ci.

Cette manifestation de multiplication législative, résultat d'une emprise croissante de l'État sur la vie de chacun est condamnée par les libéraux qui en soulignent les dangers : en accumulant les lois, on perd l'essence du droit et l'on met en danger les fondements de l'état de droit.

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Les faits

France

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En France, la longueur moyenne du Journal officiel est ainsi passée de 15 000 pages par an dans les années 1980 à 23 000 pages annuelles ces dernières années, tandis que le Recueil des lois de l’Assemblée nationale passait de 433 pages en 1973 à 2 400 pages en 2003 et 3 721 pages en 2004[1].

Cette évolution ne tient pas tant à un accroissement du nombre de lois votées, qui est resté à peu près stable au cours des dix dernières années (45 lois votées au cours de l'année parlementaire 2005-2006 contre 46 en 1997-1998, hors lois autorisant l'approbation ou la ratification des conventions et traités[2]) qu'à un allongement des lois, qui dépassent désormais souvent les 100 pages[3],[4].

En 1991, dans son Rapport public, le Conseil d'État déplore la « logorrhée législative et règlementaire » et l'instabilité « incessante et parfois sans cause » des normes. Récemment, la critique de l'inflation législative a trouvé un écho médiatique particulier, suite notamment aux critiques du vice-président du Conseil d'État Renaud Denoix de Saint-Marc[5], du président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud[6] ou du président de l'Assemblée nationale Jean-Louis Debré. La prolifération des lois a de nouveau fait l'objet, en 2006, des critiques du Conseil d'État, qui y voit un facteur d'« insécurité juridique »[1]. En janvier 2008, le journal Les Échos écrivait à propos du droit social français qu'il était caractérisé par « [des] termes abscons, [un] contenu flou [et une] mise en œuvre difficile ». Philippe Masson, responsable droits et libertés de la CGT ajoutait : « Même s'il est inévitable que les règles se complexifient, il est clair qu'on est arrivé à un niveau d'obscurité trop élevé »[7]. Lionnel Luca, député UMP des Alpes-Maritimes, estime pour sa part que : « on a l'impression de bricolage afin de satisfaire l'ogre médiatique. Comme si la politique avait pour fonction de mettre le café du commerce en ordre juridique »[8].

États-Unis

Searchtool-80%.png Article détaillé : Red tape.

Dans La Liberté du choix publié en 1980, Milton Friedman rapporte une manifestation américaine de l'inflation législative : le Registre fédéral créé pour regrouper toutes les lois et règlementations faisait 2.599 pages en 1936, 10.528 pages en 1956, 16850 en 1966 et 36.487 en 1978.[9]

En 2009, ce nombre avait encore doublé, avec 70.000 pages[10].

Comparaisons

Ce phénomène d'inflation législative est bien moins marqué dans de nombreux autres pays ; au niveau de l'Union Européenne, toute nouvelle initiative législative ou réglementaire donne lieu, au préalable, à une étude d'impact économique et financier.

En Espagne, le nombre de lois adoptées est très inférieur : 32 en 1990, 23 en 2000, 65 en 2003. Les Cortes Generales (Parlement espagnol) ne siègent quasiment pas dans les années électorales.

En Italie, le fédéralisme croissant limite le vote de nouvelles lois nationales. En Belgique, la production législative oscille entre 20 et 60 textes par sessions de quatre ans.

Le Royaume-Uni a un nombre de Public Acts croissant (4 609 pages de lois adoptées en 2006) mais beaucoup relèvent de mesures « d'administration », rendant la comparaison difficile[11].

Causes

Les raisons de l'inflation législative sont de plusieurs ordres.

Donner une raison d'être à la politique

L'inflation législative

Faire une loi revient bien souvent pour un homme politique à se donner une raison d'être ou à acheter telle ou telle clientèle sur le marché politique. « Pour frapper l’opinion ou répondre aux sollicitations des différents groupes sociaux, l’action politique a pris la forme d’une gesticulation législative » déplorait Renaud Denoix de Saint-Marc en 2001[5]. Le président de l'union syndicale des magistrats (USM) défend la même position. Il a ainsi déclaré en 2008 que « l'inflation législative s'est accélérée depuis huit ans. Le moindre fait divers donne lieu à l'adoption d'une loi nouvelle votée dans la précipitation. »[12].

Le fait que l'action politique soit prioritairement orientée en fonction de la communication médiatique a été maintes fois dénoncé. Selon la formule du constitutionnaliste Guy Carcassonne, « tout sujet d’un “vingt heures” est virtuellement une loi ». Il ajoute qu'« il faut mais il suffit, qu’il soit suffisamment excitant, qu’il s’agisse d’exciter la compassion, la passion, ou l’indignation, pour instantanément se mette à l’œuvre un processus, tantôt dans les rangs gouvernementaux, tantôt dans les rangs parlementaires, qui va immanquablement aboutir au dépôt d’un projet ou d’une proposition. »[13] C'est ainsi par exemple qu'à la rentrée 2007, à la suite de plusieurs accidents, parfois mortels, impliquant des chiens, cinq propositions de loi sur les chiens dangereux ont été déposées à l'Assemblée nationale et une au Sénat, avant que le gouvernement ne dépose à son tour un projet de loi[14].

La multiplication des sources du droit

La multiplication des sources du droit, tant externes - Union européenne (510 directives adoptées entre 2000 et 2004 inclus), Conseil de l'Europe, accords internationaux - qu'internes - autorités administratives indépendantes, collectivités territoriales - est l'un des facteurs expliquant la prolifération normative[1].

Une partie de l'activité législative provient ainsi de la nécessité de transposer en droit interne les directives de l'Union européenne. Sur la période 2000-2004, elle a été à l'origine de plus du tiers des lois adoptées, hors lois autorisant la ratification d’un traité, soit en moyenne 17 lois de transposition par an[1].

Les lois autorisant, en vertu de l'article 53 de la Constitution, la ratification ou l'approbation de traités ou d'accords, représentent aussi une forte proportion de la législation : au cours de la session ordinaire 2005-2006, de telles lois ont représenté 36 des 81 projets ou propositions définitivement adoptés par l’Assemblée nationale, soit 44,4 %, et cette proportion s'est élevée à 66 % pour la session ordinaire 2004-2005[15].

De nouveaux domaines

Le droit doit aussi s'adapter constamment à l'émergence de nouveaux domaines et à l'apparition de contraintes nouvelles.

En matière économique, de nombreux aspects du droit des affaires font ainsi l'objet d'adaptations à un environnement mondialisé. La libéralisation de nouveaux secteurs (transports, télécommunications, énergie, ...) requiert l'instauration de règles nouvelles.

Dans le domaine scientifique, le développement des biotechnologies rend nécessaire la révision régulière des lois sur la bioéthique. L'essor des technologies de l'information et de la communication a notamment suscité la mise en place d'un cadre juridique adapté au développement de l'économie numérique et une nouvelle approche de la propriété intellectuelle. La nécessité de la sauvegarde de l'environnement et du développement durable entraîne aussi l'intervention fréquente du législateur.

Dangers

Cette approche constructiviste qui consiste à croire que tout peut être ordonné et régenté par des lois et que seule la loi peut résoudre des problèmes est une approche non seulement inefficace mais également dangereuse. Les lois nécessaires sont noyées dans les législations sur les chiens dangereux. En résumé, « trop de lois tuent la loi ».

Ces critiques sont développées par le magazine The Economist dans un article "The danger of lawyers"[10] ou par Philip K. Howard dans Life without Lawyers (2009) et The Collapse of the Common Good:How America's Lawsuit Culture Undermines Our Freedom (2001). Ce dernier souligne qu'en imposant des règles et des lois partout, on gèle toute initiative en incitant les individus à ne rien faire plutôt qu'à faire confiance à leur bon sens pour ne pas risquer d'enfreindre une loi.

In fine, comme le souligne Alain Madelin dans Quand les autruches relèveront la tête[16], cette complexité législative et règlementaire ne bénéficie qu'aux plus puissants, qui savent utiliser au mieux des règles complexes : « L'inflation législative est aussi pernicieuse que l'inflation monétaire : elle conduit à la dévaluation du droit. [...] C'est se moquer du monde : personne n'est censé se reconnaître dans cette accumulation de lois. Qu'est devenue l'égalité devant la loi ? Il y a ceux qui savent se débrouiller avec des conseillers efficaces, et les autres, les simples citoyens, qui se perdent dans le labyrinthe des formulaires et des règlements. »

Pour ces raisons, les libéraux s'opposent à cette inflation législative et proposent des solutions qui simplifient la vie de tous. Ainsi, certains libéraux demandent la suppression des niches fiscales et la lutte contre la créativité fiscale pour mettre en avant des solutions simples comme le salaire complet ou la flat tax.

Tentatives de correction

Partant du constat que le Code du travail « était devenu un outil difficile d'accès et peu lisible », le ministère du Travail français a lancé en 2005 une révision du code, à droit constant. Il a été très légèrement réduit (1,52 million de caractères contre 1,69 million auparavant) et découpé en plus petits articles[7]. De même, l'Assemblée nationale française a mis en place une commission de simplification des lois.

Ces mesures cosmétiques ne peuvent être que d'une faible efficacité tant que la cause essentielle subsiste, tant qu'à un problème donné on attend la réponse de l'État et non celle de ses proches ou de la société civile.

En outre, l'action de l'État étant conduite par des hommes, elle est toujours marquée par des défaillances, qui rendent nécessaires d'autres lois. Partant, on empile souvent les textes en ne faisant que décaler les problèmes. À l'inverse de cette logique constructiviste, les libéraux reconnaissent l'imperfection de l'action étatique et entendent la limiter pour laisser les individus agir librement, une méthode juste et plus efficace.

Citations

  • La multiplicité des lois flatte dans les législateurs deux penchants naturels, le besoin d’agir et le plaisir de se croire nécessaires. (Benjamin Constant)
  • La multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices en sorte qu'un État est bien mieux réglé lorsque n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées. (Descartes, Discours de la Méthode[17])
  • Les lois inutiles affaiblissent les nécessaires. (Montesquieu, De l'esprit des lois[18])
  • Les longues lois sont des calamités publiques. Celui qui donne à un peuple trop de lois est un tyran. (Saint Just, Fragments sur les institutions républicaines)
  • Il n'est pas dans l'intérêt du peuple que les lois soient trop volumineuses pour être lues, ou trop incohérentes pour être comprises. (James Madison)
  • Mais arrêtez donc d'emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux ! Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! (Georges Pompidou à Jacques Chirac[19])
  • Tremblotante et frileuse, la France se couvre de lois et d’interdits comme les vieillards se couvrent de petites laines. (Christian Millau, Journal d’un mauvais Français)
  • L'inflation législative est aussi pernicieuse que l'inflation monétaire : elle conduit à la dévaluation du droit. Trop de lois tue le droit. [...] L'inflation, c'est 8.000 lois, 400.000 décrets et règlements, 17.000 pages de Journal Officiel chaque année, sans oublier 20.000 textes d'origine européenne. Si nul n'est censé ignorer la loi, tout citoyen est un délinquant en puissance. C'est se moquer du monde : personne n'est censé se reconnaître dans cette accumulation de lois. Qu'est devenue l'égalité devant la loi ? Il y a ceux qui savent se débrouiller avec des conseillers efficaces, et les autres, les simples citoyens, qui se perdent dans le labyrinthe des formulaires et des règlements. (Alain Madelin, Quand les autruches relèveront la tête[16])
  • Il est plus important de tuer les mauvaises lois que d’en approuver de bonnes. (Calvin Coolidge)
  • Gouverner des hommes innocents est impossible. Le seul pouvoir d’un État, c’est de mettre les contrevenants hors d’état de nuire. Et quand il n’y a pas assez de contrevenants, on en fabrique. Il suffit de déclarer tellement de choses hors la loi qu’il devient impossible de vivre sans l’enfreindre. Qui voudrait d’une nation de citoyens respectueux des lois ? Que pourrait-on en tirer ? Mais si vous promulguez des lois qui ne peuvent être ni respectées ni appliquées ni objectivement interprétées, vous fabriquez une nation de fraudeurs… Et là, il ne reste plus qu’à en récolter les fruits. (Ayn Rand, La Grève)
  • C'est le marché des règlements. Un lex-shop à ciel ouvert. Chacun s'amène avec son brouillon de décret. Faire un débat sur quoi que ce soit, c'est découvrir un vide juridique. La conclusion est trouvée d'avance. "Il y a un vide juridique !" (...) Tout ce qui se montre, il faut l'encercler, le menotter de taxes et décrets. (Philippe Muray)
  • Dans tous les États de ce monde, une nouvelle loi est perçue comme le seul remède à tous les maux. Au lieu d'infléchir ce qui est mauvais, le peuple commence par exiger de nouvelles lois. Si une route entre deux villages devient impraticable, alors les paysans disent :"il devrait y avoir une loi sur les routes". En cas de récession dans l'agriculture ou le commerce, le père de famille, l'éleveur ou l'agriculteur fulminent : "c'est des lois de protection de notre marché que nous voulons". Du plus grand commerçant au tailleur le plus modeste, il n'y en a pas un qui n'exige la protection de son commerce. Si un employeur baisse les salaires ou augmente la durée du travail, le politicien dira "nous devons créer des lois pour régler ces injustices". En fait des lois partout et pour toute chose ! Une loi sur ce qu'il convient de porter, une loi sur les chiens fous, une loi sur la vertu, une autre pour mettre fin à tous les vices qui résultent de l'indolence et de la lâcheté humaine. (Pierre Kropotkine, De la loi et de l'autorité)
  • Ce qui constitue le sérieux danger de cette intervention des foules dans les gouvernements démocratiques, ce n’est pas seulement les dépenses exagérées qui en sont la suite, mais surtout cette illusion populaire redoutable qu’on peut remédier à tous les maux par des lois. Les parlements sont ainsi condamnés à enfanter un nombre immense de lois et de règlements dont personne ne prévoit les conséquences et qui ne font guère qu’entraver de mille entraves la liberté des citoyens et accroître les maux auxquels ils devaient remédier. (Gustave Le Bon)

Notes et références

  1. 1,0 1,1 1,2 et 1,3 Conseil d'État, Rapport public 2006 : Jurisprudence et avis de 2005. Sécurité juridique et complexité du droit, Paris : La Documentation française, 2006.
  2. Sénat, Le contrôle de l'application des lois : Synthèse des travaux des commissions permanentes au 30 septembre 2006 : 58e rapport : année parlementaire 2005-2006.
  3. Sauvé, Jean-Marc, allocution d'ouverture des Sixièmes rencontres internationales de la gestion publique : « Mieux légiférer, améliorer la qualité règlementaire », 5 juillet 2007.
  4. La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales représente ainsi 231 pages dans le Journal officiel.
  5. 5,0 et 5,1 Denoix de Saint-Marc, Renaud, Trop de lois tue la loi, entretien au Journal du Dimanche, 21 janvier 2001.
  6. Voir notamment : Mazeaud, Pierre, Voeux du Président du Conseil constitutionnel, M. Pierre Mazeaud, au Président de la République, 3 janvier 2005.
  7. 7,0 et 7,1 Complexité du droit social : les DRH n'en peuvent plus, Les Échos, 29 janvier 2008, p.10
  8. « Le Parlement, surmené, dénonce la frénésie de lois », Le Monde, 27 janvier 2010
  9. Milton Friedman, La Liberté du choix, pages 176-7
  10. 10,0 et 10,1 "The dangers of lawyers", The Economist, 15 janvier 2009, [lire en ligne]
  11. « L'inflation législative, une exception française », Le Figaro, 20 novembre 2007, [lire en ligne]
  12. «  La France à l'index de l'efficacité judiciaire », L'Express, 8 octobre 2008, [lire en ligne]
  13. Carcassonne, Guy, intervention à la conférence « Qui inspire les réformes pénales ? », 23 février 2006.
  14. Propositions de loi n°204, 208, 211, 213 et 235 à l'Assemblée nationale, proposition de loi n°444 au Sénat, et projet de loi n°29.
  15. Assemblée nationale, Statistiques de l'activité parlementaire à l'Assemblée nationale : XIIe législature (2002-2007).
  16. 16,0 et 16,1 Alain Madelin, Quand les autruches relèveront la tête, chapitre 1, [lire en ligne]
  17. René Descartes, Discours de la Méthode, édition Vrin, 1984, p.68
  18. Montesquieu, De l'esprit des lois, Livre XXIX, chap. XVI, [lire en ligne]
  19. Cité par Thierry Desjardins in Arrêtez d'emmerder les Français, Plon, 2000, p.11-12

Bibliographie

Articles connexes

Liens externes


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