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Démocratie totalitaire

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La démocratie totalitaire est un type de démocratie par laquelle un pouvoir instaure une société totalitaire.

Ce type de démocratie peut résulter des conceptions absolutistes de Hobbes autant que de Rousseau, mises en œuvre au XXe siècle par les idéologies collectivistes (communisme, nazisme) et à un certain degré par la social-démocratie.

Définition et origine de la démocratie totalitaire

Jacob Talmon, penseur de la démocratie totalitaire

Le terme de "démocratie totalitaire" est utilisé pour la première fois par Bertrand de Jouvenel, c'est le titre du chapitre XIV de son livre Du Pouvoir (1945). Il rappelle que « le Pouvoir est commandement, et tous ne peuvent commander. La souveraineté du peuple n'est donc qu'une fiction et c'est une fiction qui ne peut être à la longue que destructrice des libertés individuelles. »

Jouvenel indique que « la compétition des partis « machinisés » aboutit à la dictature d'un parti, c'est-à-dire d'une équipe », succédant à une équipe précédente qui, par sa propre vision totalitaire de la démocratie, laisse à celle qui lui succède un État très étendu. La dictature est bien pire que dans les monarchies d'autrefois, car le pouvoir « démocratique » y est bien plus absolu :

«  Un homme, une équipe, disposent de ressources immenses accumulées dans l'arsenal du Pouvoir. Qui les entassa successivement, sinon ces autres qui ne trouvaient jamais l’État assez développé lorsqu'ils en étaient les occupants ? Il n'existe dans la Société aucune contre-force capable d'arrêter le Pouvoir. Qui donc les a détruits, ces corps puissants sur lesquels les monarques de jadis n'osaient point porter la main ? »
    — Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir, XIV

L'historien Jacob Talmon (Les origines de la démocratie totalitaire, 1952) utilise également le terme de « démocratie totalitaire » (on lui en attribue parfois la paternité, par erreur). Il en voit les prémices dans la conception rousseauiste de la démocratie, puis les développements dans la Révolution française, le jacobinisme et la Terreur. La nature de la « volonté générale » rousseauiste aboutit à un assujettissement très étendu de la volonté de chacun. Selon Talmon, la démocratie totalitaire considère que la liberté ne peut être réalisée qu'à long terme, et seulement par un effort collectif, alors que pour le libéralisme la liberté est individuelle et immédiatement possible.

On rencontre parfois le mot-valise « démocrature » (Gérard Mermet, Démocrature : comment les médias transforment la démocratie, Aubier, 1987) pour désigner une dictature camouflée sous l’apparence de la démocratie.

Exemples historiques

L'histoire du XXe siècle fournit plusieurs exemples de démocraties totalitaires :

  • le nazisme a occupé le pouvoir à partir de 1933 en Allemagne en respectant strictement le processus démocratique (voir aussi : Erreur fréquente : le nazisme est antidémocratique) ;
  • le Régime de Vichy a été instauré après le vote du 10 juillet 1940 qui attribue les pleins pouvoirs constituants au maréchal Philippe Pétain, président du Conseil ;
  • les « démocraties populaires » exerçaient un pouvoir totalitaire tout en s'affirmant démocratiques, car la prise du pouvoir par la révolution violente était censée être l’œuvre du prolétariat, majorité de la population ; pour Marx, l’exercice du pouvoir politique par la classe ouvrière dans son ensemble (le prolétariat) — la majorité dans la société capitaliste — est le signe d'une « démocratie politique complète » ; pour Lénine, la dictature du prolétariat est « démocratie pour l'immense majorité du peuple et répression par la force, c'est-à-dire exclusion de la démocratie pour les exploiteurs, les oppresseurs du peuple » (L'État et la Révolution) ; le léninisme considère que les soviets représentent la volonté démocratique de la classe ouvrière et incarnent la dictature du prolétariat ; ainsi, il n'y a rien d'étonnant à ce que les différentes constitutions soviétiques ne contiennent aucune disposition garantissant les droits inaliénables du citoyen, puisque le prolétaire est censé avoir été libéré par la révolution ;
  • en France, la sécurité sociale a été instaurée de façon autoritaire en octobre 1945 sous l’influence du Parti communiste et des syndicats, pour remplacer les assurances sociales privées qui existaient auparavant et avaient été confisquées par le Maréchal Pétain pour créer la retraite par répartition[1]. Étendue progressivement à presque toute la population, la Sécurité sociale n’a jamais été confirmée par le suffrage universel[2]. Avec ironie, on pourrait donc la taxer d'être encore moins démocratique que le nazisme !
  • pour les libertariens, les États-Unis sont emportés, depuis les débuts du XXe siècle, dans une dérive interventionniste et belliciste qui en fait une démocratie totalitaire bien éloignée du modèle des Pères fondateurs. Il en est de même pour la plupart des démocraties occidentales, où, sur fond de bonnes intentions, le pouvoir met en œuvre selon eux un « fascisme contemporain », éloigné de l'État minimal originel.

Démocratie et totalitarisme, démocratie totalitaire et libéralisme

Nuvola apps colors.png Articles principaux : Libéralisme et démocratie.

Le fait qu'il y ait des élections dans une démocratie ne change rien à la nature liberticide que peut avoir le pouvoir. Les libéraux considèrent généralement que presque toutes les démocraties actuelles sont de nature totalitaire ; elles restent « démocratiques » en raison du droit de vote qui existe toujours, mais le pouvoir s'attaque continuellement aux libertés et à la propriété :

Friedrich Hayek rappelle à ce propos la prééminence libérale du droit sur le pouvoir (et donc sur la démocratie) :

«  Il semble que partout où les institutions démocratiques ont cessé d'être contenues par la tradition de suprématie du droit, elles aient conduit non seulement à la « démocratie totalitaire » mais, au bout d'un temps, à une « dictature plébiscitaire ». Cela devrait nous faire assurément comprendre que ce qui est précieux à posséder n'est pas un certain assemblage d'institutions certes faciles à imiter, mais quelques traditions moins tangibles ; et que la dégénérescence de ces institutions peut même être inévitable, partout où la logique intrinsèque de la machinerie n'est pas bloquée à temps par la prépondérance des conceptions que l'on se fait en général de la justice. Ne peut-on penser qu'en vérité, comme il a été bien dit, croire en la démocratie implique que l'on croie d'abord à des choses plus hautes que la démocratie. »
    — Friedrich Hayek, Droit, législation et liberté

Alexis de Tocqueville parlait déjà de « despotisme démocratique », une « forme particulière de la tyrannie » :

«  Plus de hiérarchie dans la société, plus de classes marquées, plus de rangs fixes ; un peuple composé d'individus presque semblables et entièrement égaux, cette masse confuse reconnue pour le seul souverain légitime, mais soigneusement privée de toutes les facultés qui pourraient lui permettre de diriger et même de surveiller elle-même son gouvernement. Au-dessus d'elle, un mandataire unique, chargé de tout faire en son nom sans la consulter. Pour contrôler celui-ci, une raison publique sans organes ; pour l'arrêter, des révolutions et non des lois : en droit, un agent subordonné ; en fait, un maître. »
    — Alexis de Tocqueville, L'ancien Régime et la Révolution

De même, Benjamin Constant rappelle le principe libéral de pouvoir limité :

«  L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer. »
    — Benjamin Constant, Cours de politique constitutionnelle

L'exemple des démocraties totalitaires montre que la démocratie ne peut être une fin en soi :

«  À présenter la démocratie comme le rivage à atteindre, plutôt que la liberté elle-même, nos sociétés risquent de perdre l'une et l‘autre. Par suffrage universel et élections sans trucages, les bien-pensants sous-entendent un régime plus ou moins libéral, certes, mais à ne pas le revendiquer ouvertement, ils abandonnent le champ aux adversaires de la liberté, aux intégristes religieux, aux nostalgiques de la manière forte et des milices musclées, qu'une foucade de l'électorat peut mener demain au pouvoir. Comment ces démocrates honteux de leur libéralisme pourraient-ils alors protester ? »
    — Christian Michel, La Démocratie ne Protège pas la Liberté, Libres ! 100 idées, 100 auteurs

Citations

  • «  Un sophisme fondamental de notre époque est que la démocratie serait le sésame universel vers la paix, la liberté et la prospérité. […] Mais la démocratie en elle-même ne définit ni ne garantit une société libre. »
        — Richard Ebeling

  • «  La France est bel et bien devenue ce qu'il convient d'appeler une démocratie totalitaire, c'est-à-dire un pays où l'on peut encore voter, mais où n'existe plus aucune liberté. »
        — Claude Reichman

  • «  Il convient de n'accepter la règle de la majorité comme principe fondateur d'un état démocratique que dans la mesure où elle est assortie d'un strict respect des droits naturels de l'homme, auxquels elle n'est pas autorisée à porter atteinte.  »
        — Claude Reichman

  • «  Les gens oublient souvent que les nazis étaient des socialistes. En Union soviétique c’étaient des internationaux-socialistes, en Allemagne c’étaient des nationaux-socialistes. Ce sont deux branches du socialisme. C’est la même chose, avec seulement une légère différence d’interprétation. »
        — Vladimir Boukovski

  • «  La simple observation montre effectivement qu'il n'y a pas de relation « automatique » entre démocratie et liberté. Ainsi, la démocratie peut être tyrannique et une monarchie constitutionnelle peut respecter la liberté individuelle, ce qui signifie bien qu'il n'est pas suffisant de se préoccuper de la forme du gouvernement pour obtenir une organisation souhaitable de la société. »
        — Pascal Salin, Libéralisme (2000)

  • «  Qu'il se pare des vertus démocratiques ou qu'il apparaisse dans sa force brute, l’État poursuit inexorablement sa croissance, il devient nécessairement, logiquement, totalitaire. Il est bien, en ce sens, le Léviathan qui dévore les êtres ; et il y arrive même avec leur assentiment. »
        — Pascal Salin, préface à L’État, la logique du pouvoir politique d'Anthony de Jasay

  • «  Ce n'est pas parce que vous êtes nombreux à avoir tort que vous avez raison.  »
        — Bernard Werber

  • «  Les signes ne manquent pas, toutefois, que la démocratie illimitée court à sa chute et qu’elle s’effondrera, non à grand bruit mais à bout de souffle... Tôt ou tard, les gens découvriront que non seulement ils sont à la merci de nouvelles castes privilégiées mais que la machinerie para gouvernementale, excroissance nécessaire de l’État tutélaire, est en train de créer une impasse en empêchant la société d’effectuer les adaptations qui, dans un monde mouvant, sont indispensables pour maintenir le niveau de vie atteint, sans parler d’en atteindre un plus élevé. »
        — Friedrich Hayek

  • «  J'apprends que le gouvernement estime que le peuple a « trahi la confiance du régime » et « devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités ». Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ? »
        — Bertolt Brecht, La Solution

  • «  La dictature parfaite aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s'évader. Un système d'esclavage où grâce à la consommation et au divertissement les esclaves auraient l'amour de leur servitude. »
        — Aldous Huxley

  • «  La démocratie n'est qu'un processus, si on l'érige en une fin en soi elle devient un instrument redoutable de tyrannie des masses et de collectivisme populiste. »
        — Murray Rothbard, Conservatism and Freedom: A Libertarian Comment[3]

  • «  Par définition, la démocratie ne se reconnaît pas de limite. »
        — Vladimir Volkoff, Pourquoi je suis moyennement démocrate

  • «  Quand on ne connaissait pas le socialisme, on disait toujours que la démocratie tendait naturellement au despotisme. Cela a paru changer et il a semblé qu'elle tendait au socialisme. Rien n'a changé : car en tendant au socialisme, c'est au despotisme qu'elle tend. Elle n'en a pas conscience ; car, consciemment, elle ne tend qu'à l'égalité ; mais de l'état égalitaire c'est toujours le despotisme qui sort. »
        — Émile Faguet, Le culte de l'incompétence et l'horreur des responsabilités, 1910

  • «  Les nombreuses variétés de socialisme, de syndicalisme, de radicalisme, de solidarisme, de tolstoïsme, de pacifisme, d’humanitarisme, etc., forment un ensemble que l'on peut rattacher à la religion démocratique, et qui est semblable à celui des innombrables sectes qui apparurent à l'origine de la religion chrétienne. Nous voyons maintenant croître et dominer la religion démocratique, de même que les hommes des premiers siècles de notre ère virent commencer et croître la domination de la religion chrétienne. »
        — Vilfredo Pareto, Traité de sociologie

  • «  La démocratie excite les convoitises, l'avidité, l'envie, la rage de posséder, de jouir, tout ce que Céline appelle « la prétention au bonheur ». Si les libertés individuelles peuvent paraître à bon droit souhaitables, c'est pour les artisans, les créateurs, les petits commerçants, les artistes, bref pour les gens qui aiment ce qu'ils font, et sont capables, en conséquence, de s'imposer une discipline. Les autres citoyens sont condamnés à devenir, de jour en jour, plus resquilleurs, plus revendicateurs, plus mécontents, moins gouvernables ; ils sont conduits à exiger de plus en plus de l’État et d'autrui, de moins en moins d'eux-mêmes, ce qui amène fatalement le déséquilibre économique, la faillite collective, le désarroi dans les consciences, et finalement la dictature. »
        — Pierre Gripari, L’Évangile du Rien

  • «  Son action [celle de l’État "social"] sur la société, et en réalité contre elle, même s’il n’est pas toujours facile de le percevoir, le distingue matériellement des États totalitaires en ce qu’il ne fait appel qu’en dernier recours à la violence physique. Ses moyens habituels sont autres : la propagande, l’éducation et la culture en général, les impôts prétendument redistributifs (qui augmentent le pouvoir des partis et leur capacité à contrôler le peuple par la bureaucratie) et la séduction des masses au moyen de l’offre et de la continuelle concession de droits pour plaire à tous. »
        — Dalmacio Negro Pavón, La loi de fer de l’oligarchie

  • «  La démocratie est nécessairement un despotisme, puisqu'elle établit un pouvoir exécutif où tous peuvent décider contre un seul dont l'avis est différent ; la volonté de tous n'y est donc pas exactement celle de tous, ce qui est contradictoire et opposé à la liberté. »
        — Emmanuel Kant, Vers la paix perpétuelle

Notes et références

  1. Retraites : le système par répartition, c'est à la faute à Pétain, Le Monde, 2 janvier 2020
  2. La sécurité sociale française n’est donc en rien un « acquis social », et elle n’a jamais été plébiscitée par quiconque. Des spécialistes comme Georges Lane parlent en ce qui la concerne de « coup d’État », car les ordonnances de 1945 relèvent du non-droit (en mai 1946, la proposition de Constitution de la IVe République est rejetée par référendum ; il y a un « trou » constitutionnel sur la période 1945 - 1946).
  3. Conservatism and Freedom: A Libertarian Comment

Bibliograhie

  • 1961, J. L. Talmon, "The Origins of Totalitarian Democracy", London: Mercury

Voir aussi

Liens externes


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