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Du Pouvoir

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Du Pouvoir
Histoire naturelle de sa croissance
Jouvenel1.jpg
Auteur : Bertrand de Jouvenel
Genre
philosophie, histoire
Année de parution
1945
livre de guerre à tous égards (…) une méditation sur la marche historique à la guerre totale
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Du pouvoir, Histoire naturelle de sa croissance est selon son auteur Bertrand de Jouvenel un livre de guerre à tous égards (…) une méditation sur la marche historique à la guerre totale. Il se compose d'une introduction et de 19 chapitres regroupés en 6 parties.

Présentation du Minotaure

Lorsque nous remontons à l’époque (XIe-XIIe s.) où commencent de se former les premiers d’entre les États modernes, la guerre est toute petite car le pouvoir est petit : il ne dispose pas de ces deux leviers essentiels, l’obligation militaire et le droit d’imposer. Mais le pouvoir s’efforce de grandir et au terme de la Guerre de Cent Ans, par la taille et les compagnies d’ordonnance, il n’a plus besoin de mendier mais dispose d’une dotation permanente. Depuis la puissance publique a continué de grandir à un rythme accéléré. Autrefois visible (le Roi), le Pouvoir est à présent masqué par son anonymat : il se prétend instrument de la volonté générale. En ouvrant à toutes les ambitions la perspective du Pouvoir, ce régime facilite beaucoup son extension. La démocratie, telle que nous l’avons pratiquée, centralisatrice, règlementeuse et absolutiste apparaît comme la période d’incubation de la tyrannie.

LIVRE PREMIER : Métaphysiques du pouvoir

CH I : De l’obéissance civile

L’ordre émané du pouvoir obtient l’obéissance des membres de la communauté. Connaître les causes de l’obéissance, c’est connaître la nature du Pouvoir. Quoi de plus surprenant que la miraculeuse obéissance de milliers ou millions d’hommes se pliant aux règles et aux ordres de quelques-uns. S’il n’est pas l’œuvre de la seule force, l’empire du Pouvoir n’est pas non plus l’œuvre non plus de la seule participation, puisqu’on le trouve où la Société ne participe nullement au Pouvoir. Le Pouvoir est pour nous un fait de nature : la suite des gouvernements d’une même société peut être regardé comme un seul gouvernement qui subsiste toujours et s’enrichit continuellement. La pensée humaine a cherché la justification théorique de l’obéissance : soit parce que (un droit exercé par le Pouvoir à la condition d’être légitime) soit en vue de (le but que poursuit le Pouvoir, le Bien Commun). Dans l’obéissance, il entre une part énorme de croyance, de créance, de crédit.

CH II : Les théories de la souveraineté

La Souveraineté est le droit de diriger les actions des membres de la société, ce qui suppose un titulaire asse auguste : Dieu ou la Société. L’idée que le pouvoir vient de Dieu a été énoncée et employée dans des intentions fort différentes : il peut inviter le Pouvoir à l’obéissance envers Dieu. Le roi sacré médiéval est tenu par la Coutume et la Loi divine. Pour arguer du Peuple contre Dieu puis arguer de Dieu contre le Peuple, double manœuvre nécessaire à la construction de l’absolutisme, il aura fallu une révolution religieuse (Réforme). Ce n’est pas de la souveraineté de Dieu que Hobbes déduira le droit illimité du Pouvoir : c’est de la souveraineté du Peuple. Dès lors qu’on postule un droit de commander qui n’a point de bornes, il est moins choquant de supposer ce droit appartenant à tous. Le peuple crée la Souveraineté sans la donner, il en reste perpétuellement investi. Tous les pouvoirs tyranniques qui se sont depuis élevés, ont justifié leurs injures aux droits individuels par la prétention qu’ils s’arrogeaient de représenter le Peuple. Toutes ces théories tendent à faire obéir les sujets en montrant derrière le Pouvoir un principe transcendant et à subordonner le Pouvoir audit principe. Il peut sortir de la souveraineté populaire un despotisme plus poussé que de la souveraineté divine : la volonté générale n’est pas fixe mais mobile et la liberté du Pouvoir s’appelle l’Arbitraire.

CH III : Les théories organiques du pouvoir

Tant que subsiste dans les esprits l’idée que les hommes sont la réalité et la Société une convention, la notion de Souveraineté n’a donc pu faire les ravages qu’elle cause sitôt que cette philosophie s’affaiblit. Le Roi est un autre que le sujet mais la Nation n’est pas un autre, c’est un Nous hypostasié. Hegel décerne à la Nation un brevet d’existence philosophique. Au nom du Bien commun, le Pouvoir pourra justifier n’importe quel accroissement de son étendue. La souveraineté nationale est un Être collectif plus important que les individus. Pour Hegel, la Volonté générale accomplit ce qui doit être accompli, avec ou sans l’assentiment des individus qui n’ont pas conscience du but. Il appartient donc à la partie consciente de vouloir pour le Tout (le prolétariat chez Marx). Spencer au sens biologique, Comte au sens figuré, sont d’accord pour reconnaître dans le Pouvoir un produit de l’évolution, un organe dont le but est la coordination de la diversité sociale et la cohérence des parties. Les théories s’étagent historiquement de telle sorte qu’elles sont de plus en plus favorables au Pouvoir. Elles peuvent être engendrées dans l’intention de poser des obstacles au Pouvoir, elles finissent néanmoins par le servir.

LIVRE II : Origines du Pouvoir

CH IV : Les origines magiques du Pouvoir

Depuis l’Antiquité, les penseurs ont vu dans la famille la société initiale, dans l’autorité paternelle la première forme du commandement. L’agrégation des familles forme la société présidée par le père des pères ou bien les chefs des familles patriarcales s’associent volontairement : on arrive à considérer soit le gouvernement monarchique, soit le gouvernement sénatorial comme naturel. Cette conception classique est jetée à bas dans les années 1860. Les sociétés sauvages n’entrent pas dans la classification tripartite, monarchie, aristocratie, démocratie. Ce ne sont pas les labours et façons culturales qui assurent une bonne récolte mais les rites. Il semble que le pouvoir gérontocratique et ritualiste soit valable pour toutes les sociétés primitives. Le Pouvoir magique exerce un commandement politique, le seul que connaissent les peuples primitifs. Son principe est la crainte, son rôle social la fixation des coutumes. Aujourd’hui, comme il y a dix mille ans, un Pouvoir ne se maintient plus quand il a perdu sa vertu magique.

CH V : L’avènement du guerrier

La guerre cependant produit un profond ébranlement social en bouleversant la hiérarchie établie : l’emporte non le plus chargé de gris-gris mais le plus vaillant et le plus robuste. La gérontocratie était riche par accaparement de la richesse tribale, l’aristocratie l’est aussi, mais par le pillage. L’autorité paternelle est née de la conquête des femmes. La guerre enrichit inégalement. Les gentes s’enrichissent par la polygamie, l’esclavage et le clientélisme.

Il faut un chef pour la guerre qui jouisse d’une autorité absolue et qui a besoin de s’accorder avec les autres chefs de gentes sans lesquels il ne peut rien, le Sénat. La royauté présente un dualisme fondamental : le prêtre (rex) et le chef d’aventure (dux), le noyau mystique et la volonté de puissance. Le roi veut nécessairement enlever aux puissants leur pouvoir, il cherche et obtient l’appui de la poussière plébéienne. Le Pouvoir tend par une logique nécessaire à diminuer l’inégalité sociale et à augmenter et centraliser la puissance publique. Les rassemblements de sociétés diverses par une petite nation conquérante ont chaque foi offert au chef de celle-ci une chance prodigieuse d’absolutisme. Pour qu’une volonté se transmette et s’exécute dans un vaste royaume, il faut tout un système : l’appareil d’État est l’instrument naturel et nécessaire de la monarchie.

Les révolutions liquidatrices de la royauté en Grèce et à Rome tendent à empêcher l’élévation politique du roi et l’élévation sociale de la plèbe. Où les chefs de groupe ont triomphé, la res publica est la société maintenue entre eux pour l’avancement de leurs intérêts communs et qui se manifeste dans leur assemblée qui s’élargit avec le temps. Si le roi l’emporte, il décide et agit pour le peuple. Ainsi se forme la notion complexe d’État. La République c’est nous, l’État c’est ce qui commande souverainement à nous. Le moderne est citoyen uniquement à l’occasion des élections où il agit en souverain et le reste du temps, il est sujet de l’appareil.

LIVRE III : De la Nature du Pouvoir

CH VI : Dialectique du commandement

Le Pouvoir pur est un commandement qui existe par soi-même. Il n’est pas l’émanation de la Nation d’une création plus récente. Le principe de formation des vastes agrégats n’est autre que la conquête. L’État résulte essentiellement des succès d’une bande de brigands. Le seul souci de ce Pouvoir est d’exploiter à son profit les vaincus. Le chef de la bande victorieuse peut organiser à son profit une partie des forces latentes dans l’ensemble conquis : la force passe des mains collectives des conquérants aux mains individuelles du roi. Le commandement qui se prend pour fin est amené à veiller sur le bien commun. Le monarque est un élément dominateur parasitaire mais où le plus grand nombre possible des sujets trouvent leur avantage. Les conditions matérielles d’existence d’une Nation sont crées par la conquête mais ce n’est pas encore un Tout : le monarque va constituer le centre de cristallisation du sentiment national.

Le roi commande avec ses serviteurs permanents et dispense les bienfaits de l’ordre, de la justice, de la sécurité, de la prospérité comme si à la nature basique égoïste s’était substitué une nature acquise sociale. En durant, le Pouvoir se socialise, il doit se socialiser pour durer. Ensuite, on chasse l’occupant du palais et on met à sa place des représentants de la Nation.

Dès que le but social n’est pas poursuivi en commun mais qu’un groupe particulier se différencie pour y vaquer de façon permanente, ce groupe responsable forme corps, acquiert une vie et des intérêts propres. Le commandement est une altitude, on y respire un autre air. Le meneur se persuade aisément qu’il ne veut que servir l’ensemble.

CH VII : Le caractère expansionniste du Pouvoir

C’est le principe égoïste qui fournit au Pouvoir cette vigueur intime sans laquelle il ne saurait remplir cette fonction : rien dans le règne naturel ne continue de vivre qui ne soit soutenu par un intense et féroce amour de soi-même. Une certaine conviction de supériorité, un caractère impérieux sont convenables aux dirigeants. Il suffit que les dirigeants affectent une grande austérité pour que le vulgaire leur donne quitus de tout égoïsme, comme si les vraies voluptés de l’autoritaire n’étaient point ailleurs. Diriger un peuple, quelle dilatation du Moi ! Là où passent rapidement les occupants du Pouvoir, c’est dans les fonctionnaires que réside l’égoïsme sublimé conservateur du Pouvoir. La croissance extensive du Pouvoir a été davantage commentée que sa croissance intensive : dimensions de l’armée, charge des impôts, nombre des fonctionnaires. La puissance publique n’est qu’un des pouvoirs présents dans la Société avec d’autres, les pouvoirs sociaux, qui sont à la fois ses collaborateurs et ses rivaux. Chaque autorité particulière tend à se grandir, ce qui donne à l’État sa chance principale. La croissance de son autorité apparaît aux individus moins comme une entreprise contre leur liberté que comme un effort destructeur des dominations auxquels ils sont assujettis, cause capitale de la complicité perpétuelle des sujets avec le Pouvoir. S’il n’est pas capable d’une justice expéditive, d’une largesse soudaine, le Pouvoir perd son attrait féerique.

Même si la Pensée critique l’ordre existant et les autorités, on ne saurait méconnaître sa passion ordonnatrice et autoritaire. Voyez nos grands constructeurs de Paradis (Platon, More, Campanella) : tous ces rêves sont des tyrannies. Ainsi le philosophe travaille pour le Pouvoir. Se proclamant altruiste et se donnant pour le réalisateur d’un rêve de la pensée, le Pouvoir peut briser tout obstacle à sa marche triomphale.

CH VIII : De la concurrence politique

La guerre est une activité essentielle des États. Le Pouvoir administre pour conquérir et conquiert pour administrer. Plus les Pouvoirs sont intimement liés aux peuples qu’ils régissent plus ils obtiennent d’eux. Les grands pas dans la militarisation sont liés à de grandes avances du Pouvoir. Le régime social qui donne le moins à la guerre est le régime aristocratique car si la classe dominante est guerrière, elle est seule guerrière. Le développement de la monarchie absolue en Angleterre et en France est liée aux efforts des deux dynasties pour résister à la menace espagnole. Mais l’accroissement des prélèvements étatiques sur la nation ne donne qu’un avantage éphémère et incite les rivaux à des pratiques semblables. Toute la nation devient aux mains de l’État un outil de guerre. La seconde guerre mondiale a été l’occasion du triomphe de l’État. Tout est jeté dans la guerre parce que le Pouvoir dispose de tout. Ceux qui sont l’État n’admettent pas d’intérêt de la Nation distinct de l’intérêt de l’État.

LIVRE IV : L’État comme révolution permanente

CH IX : Le Pouvoir, agresseur de l’ordre social

Ce qui aide au pouvoir de l’État c’est qu’il lutte contre d’autres maîtres ; et l’on regarde leur abaissement plutôt que son élévation. Ce qui lui est obstacle c’est tout commandement autre que le sien. Ce qui lui est aliment c’est toute force où qu’elle se trouve. Il est niveleur en tant qu’il est État, parce qu’il est État. Magistrature, police et armée font respecter les droits acquis : si on l’examine dans son Être, il est défenseur des privilégiés, mais si on l’examine dans son Devenir, on le trouve agresseur de toutes les formes d’autorité sociale. Il détruit naturellement l’ordre social dont il émane. Les grands sont abaissés tandis que s’élève une statocratie. Les privilégiés ne sont plus en face de l’État, ils sont dans l’État et constitués par lui et l’État est menacé de démembrement : cette construction et destruction de l’État rythme la vie sociale.

CH X : Le Pouvoir et la Plèbe

Si le Pouvoir grandit aux dépens des puissants, la plèbe doit être son éternelle alliée. La passion de l’absolutisme doit nécessairement conspirer avec la passion de l’égalité. Ce qu’a fait César en quelques années, la monarchie capétienne a mis 400 ans à l’accomplir mais c’est la même tâche et la même tactique. Des conseillers plébéiens, des soldats plébéiens, des fonctionnaires plébéiens sont les instruments du pouvoir qui se veut absolu. Quel spectacle cette montée des hommes noirs qui dévorent peu à peu la grandeur féodale. Le Pouvoir monarchique n’a pourtant point atteint sa fin logique, répugnant à détruire la noblesse toujours résistante. Lorsque se lèvera la vague démocratique, elle trouvera en Angleterre un Pouvoir tout investi de tranchées aristocratiques, au lieu qu’en France, elle s’emparera tout d’un coup d’un Pouvoir monarchique sans frein : ce qui explique assez la différence des deux démocraties.

CH XI : Le Pouvoir et les croyances

Plus les croyances d’une société sont stables et enracinées, plus les comportements sont prédéterminés, moins le Pouvoir est libre dans son action. Moins une société est évoluée, plus sainte est la Coutume. Chaque peuple en marche vers la civilisation a eu son Livre de Dieu, condition de son progrès. Un Pouvoir qui définit le Bien et le Juste est tout autrement absolu qu’un Pouvoir qui trouve le Bien et le Juste définis par une autorité surnaturelle. La Loi-Commandement reçue d’en haut s’accompagne de lois-règlements faites par les hommes. Une nation peut se passer de toute puissance législative, la jurisprudence ecclésiastique en tenant lieu. Plus les conduites se développent hors d’un conformisme primitif, plus elles donnent lieu à des heurts d’où la nécessité de décisions particulières (judiciaires) ou générales (législatives). Les deux sources du Droit : un Droit Objectif de caractère religieux et un Droit Objectif de caractère utilitaire.

Lorsque nous voyons le Pouvoir faire des lois avec le concours du peuple ou d’une assemblée, nous l’interprétons comme une restriction du Pouvoir. Loin d’entraver une liberté qu’il n’avait point, il permet au contraire à l’activité gouvernementale de s’étendre. On ne fait d’abord que constater la coutume puis on introduit des lois innovatrices présentées comme des retours aux bons usages anciens. La superstition, dit-on, était le soutien de trône et l’offensive rationaliste, donc, ébranle le Pouvoir et pourtant l’ébranlement des croyances du XVIe au XVIIIe s. coïncide avec l’élévation des monarchies absolues. Une fois l’homme déclaré mesure de toutes choses, il n’y a plus ni Vrai, ni Bien, ni Juste, mais seulement des opinions dont le conflit ne peut être tranché que par la force politique. Le siècle du rationalisme est celui des despotes éclairés.

LIVRE V : Le Pouvoir change d’aspect mais non de nature

CH XII : Des révolutions

Les Cromwell ou les Staline ne sont pas conséquences fortuites mais bien le terme fatal des révolutions. Les débuts des révolutions offrent un charme inexplicable : l’événement va tout réparer, tout exaucer et tout accomplir. La Révolution française affranchit les paysans mais les force à porter un fusil, elle supprime les lettres de cachet mais élève la guillotine. Par la révolution de 1917, un pouvoir bien plus étendu que celui du tsar permet de regagner et au-delà le terrain que l’Empire avait perdu. On ne peut citer aucune révolution qui ait renversé un despote véritable (Charles 1er et non Henri VIII, Louis XVI et non Louis XIV, Nicolas II et non Pierre le Grand). Ils sont morts non de leur tyrannie mais de leur faiblesse.

La révolution établit une tyrannie d’autant plus complète que la liquidation aristocratique a été plus poussée. Les populations ne voulaient plus d’intendants royaux mais s’administrer elles-mêmes sur le plan local mais la Constituante détruit les unités historiques qui avaient la capacité et la volonté de gouverner. La Révolution a écrasé les droits qu’elle prétendait exalter. Dès janvier 1790, tout acte des tribunaux tendant à contrarier le mouvement de l’administration est déclaré inconstitutionnel. Ce sont des élections renouvelées pour choisir les juges mais le peuple ne choisit jamais assez au gré du Pouvoir et ses choix sont épurés a posteriori. En l’an VIII, le Pouvoir s’attribue la nomination des juges. Lénine déclare l’État foncièrement mauvais et il édifie un formidable appareil de contrainte en Russie.

CH XIII : Imperium et Démocratie

La doctrine démocratique conçue pour fonder la liberté se trouve préparer la tyrannie. Pour elle, la liberté est le principe et la fin de la société, il n’y a d’autre souveraineté acceptable que celle de la loi. Le Pouvoir est là pour exécuter la loi. Puisque la loi commande tout, il faut une puissance législative nécessairement suprême. Le Parlement est à l’origine la convocation des puissances grandes et petites avec lesquels le roi devait négocier, dialogue de l’Unité avec la Diversité. Investie de la puissance législative, l’assemblée au lieu d’être la juxtaposition d’intérêts divers devint représentation totale de la totalité nationale. Le Parlement succédait au Roi comme représentant de l’ensemble mais sans avoir à tenir compte de représentants de la Diversité. L’aristocratie parlementaire constitue alors le Prince. La suprématie des lois présente de grandes difficultés, surtout si l’on veut que le Pouvoir soit astreint et le peuple attaché à des lois nouvelles destinées à changer avec les progrès de la raison. Chacun souhaitera les modifier à sa fantaisie ou à son avantage. La loi n’est plus loi par le consentement du peuple mais tout ce que veut le peuple, ou tout ce qu’on représente comme voulu par lui, est loi. Dire que la loi consiste à n’obéir qu’aux lois suppose dans la loi des caractères de justice et de permanence. Mais si la loi devient le simple reflet des caprices du peuple ? Le corps parlementaire a été, de plus en plus, la voie d’ascension des plébéiens dans la conquête de l’Imperium. La souveraineté populaire devait être naturellement être invoquée au service de cette ambition. Il appartient désormais au peuple non de se prononcer sur les lois mais de gouverner.

CH XIV : La démocratie totalitaire

Dégénérescence du principe démocratique, d’abord conçu comme Souveraineté de la Loi et qui n’a triomphé qu’entendu comme Souveraineté du Peuple. L’Imperium traditionnellement tenu pour un principe d’autorité nécessaire mais ennemi de la Liberté, il a été regardé comme l’agent de cette liberté. Autrefois il était une volonté, il passe désormais pour la Volonté Générale. Jadis on y reconnaissait un intérêt éminent dans la société, il est devenu l’Intérêt de la société. L’idée libertaire est par nature indifférente au caractère du Pouvoir mais cette indifférence ne convient pas aux ambitions qui s’arment des idées nouvelles. La confusion entre le pouvoir du peuple et la liberté du peuple est le principe du despotisme moderne. Le Pouvoir est commandement et tous ne peuvent commander. La souveraineté du peuple n’est donc qu’une fiction. La volonté royale était humaine et particulière, la volonté du Pouvoir démocratique opprime chaque intérêt particulier au nom de l’intérêt général.

Le Pouvoir démocratique proclame la souveraineté du peuple mais les membres de la société ne sont citoyens qu’un jour. Il n’y a point d’intérêt légitime contre l’intérêt général mais les intérêts qui n’étaient plus garantis ont cherché à se défendre d’où la formation spontanée de syndicats d’intérêts. Le Pouvoir démocratique est éminemment susceptible de captation. Si des intérêts fractionnaires acquièrent l’art de créer des mouvements d’opinion, ils peuvent s’asservir le Pouvoir. L’Autorité n’est plus alors qu’un enjeu.

L’extension des attributions étatiques en démocratie rendait fatal l’avènement d’un principe autoritaire. Le régime censitaire ne s’est soutenu en aucun pays. Remettre à une portion du peuple la fonction électorale ne pouvait se concilier avec le caractère totalitaire revêtu par le Pouvoir. Ceux qui ne sont pas représentés sont nécessairement écrasés. Dès que l’assemblée représentative dispose du Pouvoir, l’appétit de commandement porte les membres à s’ordonner en fractions permanentes (les partis) : les élections à venir doivent renforcer ou affaiblir le groupe auquel on appartient. Il faut arracher à l’électeur par n’importe quel moyen la voix dont il dispose. Le tourment de peser le pour et le contre des programmes et les mérites des candidats lui est évité par la machine qui fait passer la liste toute établie de ceux qu’il doit élire. Former l’esprit des électeurs c’est l’ouvrir aux arguments adverses, il faut donc agir sur les émotions. Plus la machine est puissante, plus les votes sont disciplinés, moins la discussion a d’importance. Si un parti domine l’assemblée, elle n’est plus qu’une chambre d’enregistrement. Les élections ne sont plus qu’un plébiscite par lequel tout un peuple se remet entre les mains d’une équipe. La loi est devenue l’expression des passions du moment.

LIVRE VI : Pouvoir limité ou pouvoir illimité

CH XV : Le pouvoir limité

Le Pouvoir est une nécessité sociale mais, ensemble vivant animé d’un dynamisme, il est aussi un péril social. Au Moyen Age, des pouvoirs divers se bornent mutuellement. Ce n’est pas quand les facultés du gouvernement sont les plus étendues qu’il est le plus stable. Que le pouvoir arrête le pouvoir, on l’imagine malaisément là où les diverses autorités pubmiques sont des parties dépendantes d’un même appareil centralisé. A Rome, la volonté négative l’emportait sur la positive, les différentes magistratures étant indépendantes. Un contre-pouvoir est une puissance sociale : noblesse, Clergé, Parlements, assemblées d’États, corporations, etc.

Avec la destruction de touts les contre-pouvoirs par la Révolution, on en voit plus que l’État : on en attend tout, on en craint tout, on désire sans cesse son changement de mains. Avec l’absorption du Droit dans l’État, n’importe quel acte du gouvernement est possible pourvu qu’une loi l’autorise et n’importe quel loi devient possible pourvu que le Parlement la vote. Dès que la Volonté Générale peut tout, les représentants de cette Volonté Générale sont d’autant plus redoutables qu’ils ne se disent qu’instruments dociles de cette volonté prétendue (Benjamin Constant). L’omnipotence s’est élevée en détruisant au nom de la masse les groupes animées d’une vie réelle. Les circonstances et l’esprit de facilité ramènent la limitation du Pouvoir au système formel de la Séparation des pouvoirs. Mais en Angleterre, les soubassements sociaux donnaient leur force réelle aux pouvoirs constitués : le Parlement avait une existence de plusieurs siècles, les pairs (propriétaires terriens) une importance sociale. En France, le Roi se tenait pour héritier d’un roi qui fut absolu et l’assemblée d’une assemblée qui fut absolue, d’où la révolution de 48. La Constitution peut bien établir des organes : ils ne prennent vie et force qu’autant qu’ils se remplissent de la vie et de la force d’une puissance sociale.

CH XVI : Le Pouvoir et le Droit

Que le Pouvoir ne trouve plus dans la Société de puissances concrètes capables de le contenir, n’importe s’il s’arrête respectueusement devant la puissance abstraite du Droit. Le Pouvoir se légitime lorsqu’il s’exerce conformément au Droit mais le Droit n’est que l’ensemble des règles édictées par l’autorité politique ! Le Droit ne peut donc être un rempart contre le Pouvoir. En tout pays civilisé, la fonction judiciaire consiste à punir, au criminel, à réparer, au civil, l’atteinte d’un particulier aux droits d’un autre. Dans les pays anglo-saxons, ces droits de la justice s’étendent aux gestes d’un agent du Pouvoir à l’égard de quiconque. Cette précieuse garantie de la liberté que confère l’intervention du juge, nous avons vu la Révolution française acharnée à la détruire. Mais le flot montant des lois modernes n’a pas épargné l’Angleterre ou les États-Unis. Le sentiment moderne ne peut souffrir que l’opinion de quelques hommes arrête à elle seule ce que réclame l’opinion de toute la Société. Dire que le Droit doit suivre le mouvement des idées c’est baptiser flatteusement le glissement des intérêts.

CH XVII : Les racines aristocratiques de la liberté

La liberté est la souveraineté concrète de l’homme sur soi-même. La liberté n’est pas une invention moderne. Nous concevons à peine qu’une société puisse vivre où chacun est juge et maître de ses actions. Le Romain est libre de tout faire mais il doit en supporter toutes les conséquences. Tout peut se faire mais il faut y mettre les formes, formes d’une extrême rigueur. Le plein droit civil n’a d’abord été le lot que des eupatrides ou patriciens. Puis les familles énergiques de la plèbe accèdent aux magistratures et forment avec le patriciat la nobilitas. La plèbe juridique disparaît mais il y a une plèbe de fait. Les hommes de la masse en viennent à priser moins leur liberté juridique que leur participation à la puissance publique. Le Sénat souffre que les tribuns réunissent la plèbe pour voter des résolutions, plebiscita. Le tribunat accoutume le peuple à l’idée du sauveur. T. Gracchus voulait que tout citoyen redevienne propriétaire. C. Gracchus que chaque citoyen ait sa ration de blé à bas prix (bientôt gratuite). Au lieu que se généralise l’indépendance concrète des membres de la société, ils deviennent les clients de la puissance publique.

Il y a un Pouvoir, un État dès que le divorce des intérêts individuels est assez profond pour qu’il faille un tuteur permanent compensant la faiblesse du grand nombre. En Angleterre, le système de la liberté est progressivement étendu à tous : la plèbe est appelée aux droits de l’aristocratie ou extension à tous d’une Liberté individuelle. En France, le système de l’autorité, la machine construite par la monarchie tombe aux mains du peuple pris en masse ou attribution à tous d’une Souveraineté armée.

Dès que le peuple politique comprend une majorité de personnes qui n’ont rien ou croient ne rien avoir à défendre, le peuple se livre au messianisme du Pouvoir. Trois choses importent au césarisme : perte du crédit moral des membres les plus anciennement libres, élévation d’une classe nouvelle de capitalistes séparée par sa richesse du reste des citoyens, réunion de la force politique avec la faiblesse sociale.

CH XVIII : Liberté ou sécurité

L’objet de la démocratie est de transformer le maître suprême de la Société, l’État, en son serviteur. La liberté n’est qu’un besoin secondaire par rapport au besoin primaire de sécurité. A tout instant, il existe dans n’importe quelle société des individus qui ne se sentent pas assez protégés (sécuritaires), et d’autres qui ne sentent pas assez libres (libertaires). Le roi s’appuyant sur les classes inférieures, il y a versement progressif dans les hautes couches sociales d’éléments puisés en bas, montés par le canal étatique. La dégénérescence intérieure transforme l’aristocratie. Les privilégiés cherchent à être protégés par l’État. N’ayant plus de force propre, ils sont devenus incapables de limiter le pouvoir : les aspirations libertaires résident alors dans la classe moyenne, alliée du pouvoir s’il faut discipliner une aristocratie désordonnée, alliée de l’aristocratie lorsque l’État veut étouffer la liberté. Tous les individus, toutes les classes tâchent d’appuyer leur existence individuelle à l’État et les nouveaux droits de l’Homme contredisent et abrogent ceux qu’avait proclamés le XVIIIe s. : la plénitude de la liberté implique la plénitude du risque. Dès qu’on attend de l’État une protection, une sécurité, il lui suffit de justifier ses envahissements par les nécessités de son protectorat. L’aspiration religieuse est naturelle à l’homme, on a vainement chassé la foi de la scène politique : le Pouvoir revêt un caractère de théocratie.

CH XIX : Ordre ou protectorat social

Une puissance bienfaisante veillera sur chaque homme, depuis le berceau jusqu’à la tombe, dirigeant son développement individuel et l’orientant vers l’emploi le plus approprié de son activité. Le jeu des lois positives laisse beaucoup de place à quantité de misères et de malheurs individuels. Les victimes réclament une intervention providentielle qui corrige ces conséquences. Le trouble social n’est pas imaginaire mais le Pouvoir procède par décisions arbitraires. L’homme concret agit sous l’empire de sentiments et de croyances. Nous sommes dirigés par des images de comportement : nous n’avons qu’à imiter, qu’à répéter. L’harmonie est menacée quand les images de comportement sont troublées. Le faux dogme de l’égalité, flatteur aux faibles, aboutit en réalité à la licence infinie des puissants. Aucun ordre social ne saurait se maintenir ou se rétablir si les dirigeants des groupes des groupes et les aînés des collèges ne remplissent pas leur mission. Le trouble des images de comportement se répand de haut en bas. La cohérence sociale ne peut alors être rétablie que par le Pouvoir, usant des méthodes grossières de la suggestion collective et de la propagande. C’est la solution totalitaire, mal appelé par le mal individualiste. Une métaphysique destructrice n’a voulu voir dans la Société que l’État et l’Individu. Elle a méconnu le rôle des autorités morales et de tous ces pouvoirs sociaux intermédiaires qui encadrent et protègent l’homme de l’intervention du Pouvoir.

Liens externes

Livre premier - Métaphysiques du Pouvoir
  • Chapitre 1 - De l’obéissance civile Audio kavel divers.png [audio]
  • Chapitre 2 - Les théories de la souveraineté Audio kavel divers.png [audio]
  • Chapitre 3 - Les théories organiques du pouvoir Audio kavel divers.png [audio]
Livre deuxième : Origines du pouvoir
  • Chapitre 4 - Les origines magiques du pouvoir Audio kavel divers.png [audio]
  • Chapitre 5 - L'avènement du guerrier Audio kavel divers.png [audio]
Livre troisième : De la nature du Pouvoir
  • Chapitre 6 - Dialectique du commandement Audio kavel divers.png [audio]


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